Grandes gueules

Rock canadien: au-delà des clichés

En réponse à la Grande Gueule de François Desmeules, Buena Vista Social Clones, publiée il y a deux semaines.

Le premier séparatiste que j’ai rencontré était François, un jeune de 16 ans qui vivait en résidence à mon école, sur la Côte Ouest. Lorsque nous parlions de politique, il n’acceptait aucun compromis. La seule voie possible du Québec était l’indépendance : se libérer du carcan fédéral, prendre sa place à la table des nations, bla-bla-bla.

Un jour que j’ allais rendre visite à son coloc, j’ai jeté un coup d’oeil sur la bibliothèque de François. À côté des ouvrages de physique et de bio, il y avait une vingtaine de livres de poche écornés par de nombreuses lectures. C’étaient tous des traductions de best-sellers de Stephen King. "François, demandai-je, tu n’as pas de romans québécois?

– Non.

– Pas de Gabrielle Roy, d’Anne Hébert ou de Hubert Aquin?

– Qui?"

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François a sûrement applaudi lorsque la ministre Diane Lemieux a affirmé que la culture ontarienne n’existait pas. Et il a sûrement souri en lisant la chronique de mon camarade François Desmeules sur l’état de santé du rock canadien…

L’argument de Desmeules était que le rock canadien constitue une pâle imitation de ce qui se fait aux États-Unis. Il ne se distingue que par sa banalité, ses platitudes et les généreuses subventions que le gouvernement fédéral donne aux grosses compagnies de disques canadiennes. Malheureusement, ce fan de Neil Young a omis certains faits en écrivant sa charge nationaliste.

Sa première erreur fut d’établir une équation entre le commerce et la culture. Desmeules s’appuie sur la récente remise des Juno Awards pour montrer que le rock canadien est un gros trou noir. Or, considérer les Junos comme l’arbitre de la bonne musique, équivaudrait à considérer les Oscars comme l’arbitre du bon cinéma. Les Junos ne sont pas une indication de ce qui est valable dans le rock canadien, mais une indication de ce qui se vend, point.

Bien sûr que le palmarès des Junos est dominé par les p’tites tounes commerciales produites par les grosses compagnies! Desmeules a raison de dire que cette musique est de la merde. Je n’écouterais jamais les Moffats pour tout l’or du monde et l’enfer se transformera en palais de glace le jour où je glisserai un CD des Skydiggers dans mon lecteur.

Mais Desmeules est de mauvaise foi lorsqu’il affirme que ces groupes sont représentatifs de l’ensemble du rock canadien. Juste comme ça, je peux vous sortir le nom de dix groupes – The Rheostatics, The New Pornographers, Danko Jones, Bob Wiseman, Blue Rodeo, The Cash Brothers, DOA, SNFU, Hawksley Workman, Eric’s Trip – qui font de la bonne musique marquée du sceau de la feuille d’érable.

(En passant, je trouve très instructif que les trois groupes canadiens qui méritent la bénédiction de Desmeules – The Tea Party, Matthew Good Band et Our Lady Peace – ont tous déjà remporté des Junos. Cela contredit sa propre thèse…)

Quant à sa théorie voulant que le rock canadien soit un complot du gouvernement fédéral, je lui rappelle que le Québec reçoit beaucoup plus de subventions pour la culture que toutes les autres provinces; et que son industrie du disque est la plus subventionnée du Canada. Je ne remets pas ces subventions en question: mais il est difficile de dire que le rock canadien ne serait rien sans argent du fédéral, alors que tous les artistes québécois ont besoin de subventions pour survivre!

Mais la cerise sur le gâteau, c’est lorsque Desmeules cite la musique d’inspiration cubaine de Jane Burnett pour affirmer que le rock canadien mange à la table des autres cultures. Je ne sais pas de qui il parle, mais toujours est-il qu’il y avait une Jane Bunnet en nomination, et qu’elle intègre les rythmes cubains depuis le début de sa carrière, soit depuis une bonne vingtaine d’années, bien avant le succès du Buena Vista Social Club. Oh well.

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Ce que sous-entend l’analyse supesrficielle de Desmeules, c’est que la culture canadienne est idiote, alors que celle du Québec est unique. Comme un bully, il s’attaque aux plus faibles pour prouver sa supposée force.

Tout d’abord, même les gens qui habitent à l’ouest de Hull se moquent des mauvais groupes rock canadiens. Pour chaque référence aux Moffats, je vous citerai une Marie-Chantale Toupin et une Jacynthe. Mais plus important encore; la théorie avancée par Desmeules n’a aucune pertinence et s’avère complètement dépassée.

Tout ce qui se fait d’intéressant dans la musique contemporaine provient d’artistes ayant abandonné leurs idées nationalistes primitives. Les plus grands du Québec, comme Jean Leloup, Les Colocs, Bran Van 3000 et Loco Locass, s’inspirent de ce qui se fait ailleurs.

La musique populaire n’est pas et n’a jamais été la seule propriété d’une nation ou d’un peuple. En essayant de brosser un portrait en noir et blanc du paysage culturel, Desmeules, tout comme mon vieil ami François, ne réussit à prouver qu’une chose: que la culture n’est jamais simple, et qu’elle ne peut être placée dans le carcan d’aucun discours nationaliste. Dieu merci.