Grandes gueules

Comment va l’Amérique?

C’est un petit pays du bout du nord du tiers-monde.

C’est la Somalie, l’Afghanistan, l’Albanie, la Corée du Nord, le Sierra-Leone, l’Irak…

Des tôlés, des cassés, des malfoutus, quelques millions de crève-la-faim endoctrinés par des dictatures pittoresques qui disposent d’un produit national brut inférieur aux profits annuels du Wal-Mart de Frobisher Bay.

Ce sont des vilains qui nous ont pris en grippe, nous, riches capitalistes. Ils veulent se venger de la couleur du Coca-Cola et de l’odeur du Kentucky… Et pas n’importe comment.

Les païens, les fakirs, les ploucs, les cannibales avaient d’abord envisagé de kidnapper le colonel Sanders. Mais maintenant, ils voient plus grand. Sans doute inspirés par une vieille comédie de Disney ou un roman de Jules Verne, ces dangereux terroristes ont construit une fusée de papier, un gros pétard à la farine rempli de poivre de Cayenne…

Et puis, on sait pas trop comment, peut-être en vendant des médailles de l’ayatollah Khomunist, ils ont trouvé, paraît-il, le moyen de s’acheter un énorme slingshot afin de nous la garrocher sur la gueule, leur piñata satanique.

Américains, Canadiens de tous pays, unissons-nous contre cette immonde menace! Vite! Enfilons nos masques à gaz et luttons contre cette "nation-pirate".

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"Nation-pirate", c’est l’expression utilisée par l’administration Bush pour nommer la menace à nos portes. Un ennemi improbable, qui justifie pourtant la mise en place du bouclier spatial. Une patente de 30 milliards dont se repaîtront pour 10 ans les Lockheed, Boeing, Letton et toute une industrie militaire pleine de sous-traitants désoeuvrés.

Ce bouclier est une connerie parmi tant d’autres, initiée et provoquée par ces crétins de républicains qui ont pris – in extremis – le contrôle de la plus puissante nation du monde depuis 100 jours.

Cent jours dont on fait d’ailleurs le bilan ces temps-ci.

Cent jours de dégâts et de catastrophes. Cent jours de retour en arrière où tous les efforts vaguement progressistes des dernières années se retrouvent maintenant relégués aux oubliettes.

Et si les promesses de Clinton en matière de santé ou de reconnaissance des droits des homosexuels ne furent jamais tenues (grâce à l’opposition des mêmes abrutis), visiblement nous n’avions pas assisté au pire.

50 ans plus tard, et revoilà des relents de Guerre froide, un petit gouffre qui se creuse en chicanes opportunes.

Ainsi va le monde.

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Et comment va l’Amérique? Assez mal merci. Par la faute des mêmes…

Anti-écologique, antidémocratique, belliqueuse jusqu’à l’insignifiance chez elle, l’Amérique consacre ses forces à la répression de son "terrorisme": survivialistes du Manitoba, nationalistes québécois, féroces immigrants mexicains, pentecôtistes du Vermont, poteux de New York, féministes de Toronto. Dans son grand solde préélectoral, elle brade entre-temps tous les acquis de longue date qui lui ont valu le nom de démocratie. Elle dissout ses syndicats, confie les restes du filet social au prosélytisme des religions, creuse des puits de pétrole dans les parcs nationaux, avorte dans l’illégalité tandis que la présomption d’innocence s’en va, menottes aux poings, vers la chaise électrique.

Le péril ne viendra pas de l’est, mais de l’intérieur.

Ce sera l’incidence subite d’une obscure forme de cancer venue des oranges de la Floride ou du soja transgénique. La fuite des fluides d’une vieille centrale nucléaire remise en marche… Un gros pétard à la farine qui fera assez de bruit et de mal pour que le citoyen inquiet se sente un peu moins disposé à nourrir profits et dividendes au péril de sa vie.

Boum!