(auteurs du documentaire Le jeu, ça change pas le monde, sauf que…)Le pire ennemi des joueurs compulsifs est le gouvernement du Québec. En misant sur les jeux de hasard comme facteur important de développement économique, le gouvernement a donné carte blanche à Loto-Québec pour aller pomper les économies des citoyens, sans égard pour les malades du jeu.
Avec l’apparition du premier casino en 1993, les occasions de jeu de hasard ont explosé de façon exponentielle. On est passé d’une habitude de mise hebdomadaire (loterie) à quotidienne (casino).
Dans une entrevue accordée dans le cadre de notre documentaire, Loto-Québec a nié former des joueurs compulsifs. Pour Loto-Québec, les joueurs compulsifs sont une patate chaude dont elle ne sait que faire. C’est pourtant simple: la société d’État n’a qu’à se conduire en bon citoyen corporatif plutôt qu’en capitaliste sauvage.
Loto-Québec dispose d’un formidable laboratoire d’étude du jeu avec ses trois casinos, ses loteries et ses quelque 15 000 machines de vidéo-poker. Jour après jour, les employés de Loto-Québec observent dans le détail les tics des joueurs et savent pertinemment ce qui va et ce qui ne va plus. De plus, l’entreprise possède une mine de données sur les tenants et aboutissants du jeu compulsif, colligées par les agences de publicité au cours des décennies de recherches marketing auprès des consommateurs. Enfin, Loto-Québec finance depuis plus de 20 ans les meilleurs chercheurs. Si les gestionnaires de Loto-Québec nient encore ce qui apparaît comme une évidence à n’importe quel esprit éclairé, ils sont soit de vils démagogues, soit de formidables incompétents.
Chose certaine, les tout-nus n’intéressent ni Loto-Québec ni le ministre des Finances. Loto-Québec s’intéresse plutôt à ceux qui ont de l’argent. Ainsi, elle est prête à tout pour faire jouer les citoyens, dût-elle aller chercher des personnes âgées au Saguenay-Lac-Saint-Jean en autobus et les emmener au casino de Charlevoix pour huit dollars, repas inclus, à la condition qu’elles ne sortent pas du territoire du casino.
Par un marketing agressif, Loto-Québec nous interpelle de partout: à la télévision, à la radio, sur les panneaux d’affichage, dans les magazines, les bulletins de la météo, etc. On ne peut même pas acheter un litre de lait ou payer l’essence en paix sans se faire demander: "Un billet de 6/49 avec ça?" Cette petite phrase innocente fait partie de la politique de gavage.
Avec son poids immense, Loto-Québec fait peur à beaucoup de monde au Québec. À Hull, des intervenants sociaux se sont plaints d’un manque de ressources, mais pas devant la caméra, car ils attendaient une réponse du casino à une demande de subvention. À Montréal, la responsable de l’achat de documentaires d’une station de télévision a refusé notre projet sur le jeu compulsif parce qu’elle avait peur des représailles de l’annonceur Loto-Québec. Dans Charlevoix, des gens ont refusé de nous parler à la caméra parce que le casino achète de la publicité chez leur employeur ou embauche un parent.
En produisant des annonces publicitaires incitant les joueurs à limiter les excès, Loto-Québec admet implicitement les problèmes dus au jeu. La société d’État doit aller plus loin. Elle doit admettre sa responsabilité quant à la montée du jeu compulsif et financer des programmes de réhabilitation des joueurs. L’argent investi en amont dans la recherche ne suffit pas; il faut aussi des fonds en aval pour limiter les dégâts.
Nous avons raison d’être fiers du rayonnement de sociétés d’État telles Hydro-Québec, la SAQ ou la Caisse de dépôt. Mais Loto-Québec est la seule du lot dont les activités peuvent mener un de ses clients à la mort. Devons-nous applaudir?