Chers confrères de la communauté gaie, maintenant que l’été est bien avancé et que nous sommes tous bien entraînés, épilés, "liposucés" et électrostimulés, il est temps de démontrer notre fierté et notre appartenance à la "communauté" gaie. Mais je me demande bien pour quelle communauté je marcherai, le 5 août, quand cette dernière m’embarrasse au plus haut point.
Ce qui me gêne tout d’abord de la communauté gaie et des discours que nous tenons ici et là, c’est sa crainte de toute forme d’altérité: tout y est ramené au Même et au Semblable. De l’entrevue avec Spencer Tunick dans le journal Être, où le journaliste ne peut s’empêcher de demander au photographe (qui, d’ailleurs, ne répondra pas) s’il est gai, à la critique de l’album de Daft Punk dans le Fugues, où l’on reproche à Discovery de ne pas pouvoir se danser (et on sait qu’un gai, ça danse!), en passant par les "homotextuels" (!) qui ne lisent plus que Proust (gai) et Gombrowicz (bi) et qui délaissent les oeuvres de Pierre Soulages parce que ce dernier ne l’est pas, les propos tenus par l’intelligentsia gaie m’ennuient et viennent presque faire écho, dans mon esprit, à ceux de Dr. Laura, une fasciste à qui l’Autre et la différence font peur.
En ce sens, je ne peux pas célébrer ma "fierté gaie", parce qu’à nous écouter et à nous lire, je ne suis tout simplement pas fier.
Et je ne parle même pas du 69e épisode de Sortie Gaie, où un exhibitionniste s’est masturbé allègrement devant la caméra et le Québec tout entier. Ces exemples vulgaires, voire sordides, seraient-ils vraiment le roc sur lequel se construit notre communauté? Si c’est le cas, il faudrait alors appeler la Gay Pride "la marche de la honte"…
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Que l’on ne me serve pas ici pour une énième fois qu’il faut marcher, comme on nous y exhorte ces temps-ci, pour les adolescents suicidaires des régions, ces martyrs des temps modernes: je suis désolé, mais je viens d’une région, le Lac-Saint-Jean, pas plus tendre qu’ailleurs à l’égard des gais. Mais là-bas, c’est aussi difficile pour les autochtones, les handicapés visuels et les familles monoparentales.
J’ai malgré tout grandi sans modèle gai, avec un Odipe mal résolu et une vie amoureuse retardataire, certes; mais je considère avoir eu une adolescence saine et guère plus difficile que mes amis hétérosexuels. Je marche donc dans le même sens que la parade gaie de Montréal, des pubs de Daniel Pinard sur le "plus on vieilli, mieux c’est", et du coming out de Claude Rajotte; mais je me demande qui marchera, alors, pour le juif orthodoxe gai d’Outremont ou pour le père de famille de Laval qui se paye des danses à 10 dollars au Westside sur son heure de lunch.
Font-ils partie de la communauté?
À cet égard, l’identité gaie pour laquelle nous marcherons est désuète, pour ne pas dire sectaire. Faut-il vraiment se demander pourquoi l’ado de Baie-Comeau se sent isolé?
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Je serai malgré tout de la parade dimanche prochain, avec mon groupe d’amis: des homos, des lesbiennes, des faghag et des straights, des gens avec qui j’ai plus d’affinités qu’avec le staff du Sauna du Plateau, et avec qui j’embrasse la différence.
Ensuite, j’irai assister au concert de Radiohead et continuerai à croire qu’être gai n’est qu’une facette de mon quotidien et que, à l’instar de l’écrivain français Guillaume Dustan, "l’identité homosexuelle est un truc daté".
Mais contrairement à ce dernier, je ne suis pas nihiliste, ni particulièrement hédoniste: je ne revendique que le droit d’assumer mon homosexualité comme bon me semble, soit la liberté de vivre autrement que selon les modèles et les discours que ma "communauté" me propose.
Je n’ai pas choisi cette orientation sexuelle, mais je compte bien choisir comment je la vivrai, c’est-à-dire libre de tous ces discours, certains rétrogrades, d’autres trop agressifs, qui ne sont pas les miens. C’est donc sur le plan individuel que se jouent l’identité gaie et les notions d’appartenance, de communauté et d’éthique.
N’en déplaise aux élites homosexuelles épilées, aux éditeurs de la très articulée Revue Gaie et à Mado.