Avouez-le, vous avez eu un petit frisson de plaisir lorsque vous avez appris que le ministre des Transports Guy Chevrette ne bronche pas d’un poil lorsque son chauffeur enfreint les lois les plus élémentaires du Code de la route.
Rien de plus normal: on s’attend de nos politiciens à ce qu’ils respectent les lois qu’ils sont chargés de défendre. C’est la base même du système démocratique.
L’attitude de Guy Chevrette est d’autant plus savoureuse que le 29 mai dernier, il tenait ces propos lors d’une session de l’Assemblée nationale:
"Nous constatons que les campagnes publicitaires, de plus en plus ciblées, de plus en plus réalistes, qui sont reliées à la vitesse ont atteint un plafonnement. Malgré les images-chocs qui devraient frapper l’imagination et amener à réfléchir, beaucoup de conducteurs ne prennent pas conscience du lien qui existe entre la vitesse et les conséquences qui peuvent en découler. Nombre d’entre eux perçoivent la limite de vitesse comme une indication plutôt qu’une obligation qu’il faut respecter. Ils croient que les chances d’être pris en infraction sont relativement peu élevées, par rapport au temps qu’ils peuvent gagner en conduisant plus vite."
Or, le voici à bord d’un bolide qui dépasse à droite et qui fait du 100 km/heure sur la rue Notre-Dame!
Méchante cohérence…
Cela dit, qu’est-ce que le scoop du Journal de Montréal nous apprend sur le ministère des Transports? Rien.
Ce n’est pas parce que Guy Chevrette le citoyen est fautif que Guy Chevrette le ministre est pourri. Comme m’a dit un de mes amis: "Un médecin peut être un excellent pneumologue, même s’il fume…"
Mais voilà, ce genre de reportage personnalisé est dans l’air du temps. C’est plus facile de suivre l’auto du ministre des Transports (ou de fouiller les poubelles du ministre de l’Environnement) que d’effectuer une enquête approfondie sur le fonctionnement de son ministère. Un après-midi de boulot, et le tour est joué. Même pas besoin d’avoir recours aux services de la Commission d’accès à l’information.
C’est comme Denis Coderre.
Coderre est Secrétaire d’État au sport amateur. Or, le gars est gros comme un boudin et n’a probablement jamais fait d’exercice physique de sa vie. Est-il un mauvais Secrétaire pour autant?
Vous me direz que Denis Coderre ne brise aucune loi en baladant fièrement sa bedaine aux quatre coins du monde; je vous l’accorde. Mais il ne donne pas l’exemple. Il semble même faire le contraire de ce qu’il prêche… "Faites de l’exercice et suivez le Guide alimentaire canadien à la lettre pendant que je vais m’enfiler deux Mae West et quatre litres de Pepsi derrière mon bureau." Mais est-ce suffisant pour le vouer aux gémonies?
Oui, le ministre de l’Éducation envoie ses enfants à l’école privée. Non, le ministre de l’Environnement ne recycle peut-être pas toutes ses boîtes de carton. Et puis?
En s’attardant sur la personne, on finit par oublier ce qui est vraiment important, c’est-à-dire l’ensemble, les vraies affaires. The Big Picture.
À la limite, je me fous que Chevrette roule à 70 km/heure ou non. S’il fait de la vitesse, qu’on l’arrête et qu’on lui donne une contravention, comme on le fait pour tout le monde.
Non, moi, ce que je veux savoir, c’est s’il accorde des contrats de réfection d’autoroutes aux amis du gouvernement; s’il cède aux pressions des constructeurs de camions; s’il reçoit des enveloppes; s’il gère intelligemment les fonds publics. Mais voilà, pour avoir des réponses à ces questions, ça nécessite plus qu’une demi-journée de travail.
Ça prend du temps, beaucoup de temps.
Or, le temps est justement ce qui manque le plus aux journalistes. Comme n’importe quel travailleur, ils sont eux aussi soumis à des impératifs financiers. Ils doivent pondre des feuillets maison, couvrir les principales conférences de presse de la journée, faire plus avec moins…
Alors ils filent l’auto de Guy Chevrette, ou comptent le nombre de fois où la ministre de la Culture est allée à des spectacles de ballet au cours des 12 derniers mois.
Question quiz: si Guy Chevrette avait effectivement suivi le Code de la route de A à Z le jour où le reporter du Journal de Montréal l’a suivi, est-ce que cela aurait voulu dire qu’il est un bon ministre? Bien sûr que non. Poser la question, c’est y répondre.
On dit que la religion a foutu le camp, au Québec. C’est faux: elle a tout simplement changé de forme. Notre Église, maintenant, c’est l’État.
Et comme des grenouilles de bénitier, on exige de nos hommes et de nos femmes d’État qu’ils se conduisent comme des saints.