Grandes gueules

Guerres saintes

Depuis les tragiques événements du 11 septembre, tous les médias ont fait état du formidable élan de solidarité qui a traversé l’Amérique et l’ensemble du monde civilisé, alors que des citoyens de tous âges et de toutes origines s’unissaient dans la prière et le recueillement.

Pour le commun des mortels, l’heure n’était peut-être pas encore aux savantes analyses. Mais l’observateur athée ne pouvait que ressentir un certain malaise devant ce peuple bêlant et priant, reprenant en choeur des hymnes tantôt profanes, tantôt religieux.

Malgré leur apparente bonne volonté, les Américains qui se rangent en masse derrière les intentions revanchardes du chimpanzé belliqueux qui leur sert de président ne semblent pas pressés d’éradiquer la violence de la terre. Ils en appellent plutôt à la fin d’une violence qui menace leur confort et souhaitent, consciemment ou non, l’établissement total de la Pax Americana, avec la bénédiction des Saintes Écritures.

C’est George W. Bush lui-même qui a donné le ton avec son "adresse à la nation" à la suite du drame. En consacrant plus de la moitié de son discours à citer un passage des Psaumes: "Even though I walk through the valley of the shadow of death, I will fear no evil, for you are with me; your rod and your staff, they comfort me." (Quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi; ta houlette et ton bâton me rassurent.)

"Ta houlette et ton bâton"

C’est donc un dieu berger, mais aussi un dieu vengeur qui marche aux côtés de Dubya, main dans la main, doit-on supposer, puisque ce dernier s’en réclame dans les moments les plus sombres de sa présidence. Et God Bless America.

Est-il normal qu’en temps de crise, l’homme le plus important de la planète s’en remette à Dieu? Qu’il se serve de ce passage isolé d’un psaume rempli d’amour et de bonne volonté pour déclencher ce qui s’annonce comme une guerre mondiale? Le message de W. est clair: il ne saurait y avoir d’autre paix que la nôtre, ni d’autre texte sacré que la Bible. Notre Bible. Puisque nous sommes jusqu’au cou dans l’imagerie religieuse, allons-y directement: bien à l’abri derrière leur apparente grandeur d’âme chrétienne, les têtes dirigeantes américaines s’enfoncent dans une guerre de religion qui ne peut mener qu’à l’apocalypse.

Aveuglés par l’incompréhension, la tristesse et un désir de vengeance bien compréhensible, les Américains ne songent pas encore à remettre en cause leur politique étrangère tordue. L’heure est au recueillement, et on se tourne vers la prière plutôt que d’analyser les erreurs du passé et du présent. Ailleurs dans le monde, on sait bien que c’est le soutien américain aux dictateurs fantoches et l’étouffement systématique des moindres germes de socialisme à travers le monde qui ont créé des monstres comme Oussama ben Laden. Il est temps de réévaluer ces guerres idéologiques menées au Viêt Nam ou au Nicaragua, cette vieille hantise du communisme qui a conduit l’Amérique à traquer les siens (à quand une commission des affaires anti-islamiques?); et, enfin, ce soutien inconditionnel aux politiques expansionnistes d’Israël, qui, lui aussi, puise dans les textes sacrés une justification à son militarisme débridé.

N’en déplaise à Maurice Dantec (voir texte ci-contre), l’opposition à l’occupation israélienne des territoires palestiniens n’a rien d’un antisémitisme déguisé. C’est une simple dénonciation d’un système de rétribution débile ("nous avons souffert, alors nous pouvons agir en toute impunité") et appuyé par de vagues notions mystico-religieuses qu’il décrie lui-même en vomissant son fiel sur les tentatives de réparation entreprises à la conférence de Durban.

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Lorsque George W. Bush a lâché le fatidique "Nous sommes en guerre", il annonçait le début d’une guerre sainte. Et ne vous y trompez pas: elle ne se passe pas à sens unique. À entendre ce God fearing Christian à la tête d’une nation qui compte bon nombre d’universités "créationnistes" et où la balance du pouvoir repose entre les mains de la droite religieuse (comme c’est aussi le cas en Israël), il y a de quoi se demander si on a vraiment vécu les Lumières.

Cette semaine, le sénateur John McCain, poussant l’aveugle ironie à son paroxysme, a même déclaré à propos de ces ennemis qui tardent toujours à être identifiés (mais qui ont pris forme, dans l’imaginaire collectif, sous les traits démoniaques d’Oussama ben Laden): "God may have mercy on you, but we won’t."

(Dieu aura peut-être pitié de vous, mais pas nous )

Avec son intervention militaire imminente, l’Amérique pourrait malheureusement faire basculer le monde dans ce même obscurantisme qu’elle dénonce chez ses ennemis. Ces musulmans fanatiques, qui détournent la parole sacrée du Coran pour justifier les pires actes de barbaries sont-ils si différents des soldats américains qui croient combattre au nom du droit et de l’ordre, au nom du Nouvel Ordre Mondial ou de la Pax Americana, avec l’assentiment de Dieu qui guide leurs pas?

Nous entrons dans une ère sombre où les âmes égarées, déçues par la politique, s’en remettent de plus en plus à Dieu et à ses messagers. Au Moyen-Orient, des populations étouffées soutiennent des fatwas absurdes, acceptent de vivre sous la charia et se rangent derrière le Djihad. Pendant que l’on dénonce, fort à propos, ce retour à l’âge de pierre, les USA s’empêtrent dans un amalgame de christianisme et de capitalisme, et se fient aveuglément à leurs apôtres. En l’occurrence à Dubya, faux prophète de malheur qui entend répondre à la barbarie des actes innommables dont nous avons tous été témoins par une autre, plus sophistiquée et plus chirurgicale (cf. la guerre du Golfe), mais néanmoins barbare.

Comme ils disent au Texas: God have mercy on our souls.