"J’ai peur de Britney Spears et de Christina Aguilera, hurle une quelconque voix anglophone féminine dans une chanson dont l’insipide mélodie est déjà garante d’un succès radiophonique fabriqué et inespéré. Aucune idée du reste du texte, mais cette phrase, répétée ad nauseam, traduit le plus justement du monde un état de fait qui devrait effrayer: l’acceptation de la sexualisation des enfants et des jeunes adolescents, avec l’aval salivant des producteurs, l’entrain malsain du public, des mères dépassées, des pères fantasmant, tous des adolescents attardés, l’esprit boutonneux.
Oui, j’ai peur de Britney Spears, virginale prostituée. J’ai peur de ce paradoxe avec lequel joue (jouit?) la blonde enfant de l’Amérique, qui aurait sans doute fait perdre la tête à Nabokov. J’ai peur d’elle, pour la fille que je n’aurai jamais et même pour le fils que je n’aurai pas.
Les talons, le maquillage lourd, les gilets sexy… La prestation de la Britney sur MTV, pantalons moulants, taille basse laissant voir le string aguichant… Les vêtements que l’on revêt sont un peu comme la langue que l’on parle: ils traduisent un état d’esprit, une pensée, une façon d’être au monde. Les habits, comme les mots, sont chargés; ils ne sont pas innocents.
Vous rappelez-vous comment nous habillaient nos parents? C’était laid, d’accord. Mais le message était clair: nous étions des enfants. Nous jouions dehors. C’était l’époque où les mecs pouvaient assister au spectacle de Boy George sans en ressortir travelos. C’était l’époque où les filles pouvaient aimer Madonna sans jouer à la fausse vierge effarouchée et maniérée; l’époque où les filles feuilletaient Filles d’aujourd’hui sans vouloir singer le mannequin de la couverture. Les êtres et les choses étaient alors à leur place. Madonna ne dormait pas avec un t-shirt de Britney Spears. Si elle le faisait, ce n’en devenait pas une anecdote promotionnelle.
Puis, sont arrivés les stars du vidéo ("Video kills the radio stars", sur MTV) et les gens d’affaires affamés. Château Girl, Gap Kid, ellegirl.com… les enfants se déguisent en adultes, les parents chouchoutent leurs poupées. Il n’y a pas que le viol qui vole les enfances. Les proxénètes sont dans les tours de verre des centres-ville. Ils font des plans d’affaires.
Personne ne s’est formalisé jusque-là de la publicité télévisée et estivale de Coca-Cola pour la "Carte Coke" ("Profite de l’été, sors ta carte"), mettant en scène trois (très) jeunes filles au comptoir d’un magasin de quartier, simulant un strip-tease afin d’obtenir du Coke et des croustilles. Ce n’est qu’à la fin de la publicité que le téléspectateur comprend qu’il ne s’agit pas de strip-tease, mais d’une façon peu orthodoxe de dévoiler au caissier, non pas des charmes, mais l’indispensable Carte Coke.
On peut bien supputer sur l’importance de l’éducation, des programmes scolaires, sur la qualité du corps professoral; l’on peut bien consommer des émissions douteuses sur la psychologie de l’enfance et de l’adolescence… Le marketing se charge du reste. Surtout que l’on ne m’objecte pas que c’est le désir des enfants de s’habiller de ce que l’industrie vestimentaire enfantine prospère propose.
C’est le désir d’une industrie malsaine, qui pose en idéal les tank tops, le peroxyde, le silicone, le collagène, l’acrylique, les chaussures plates-formes surplombées de corps filiformes. Et, pour clore la caricature, vivent le tatouage et le piercing. On marque le bétail!
Les enfants désirent le sable, la boue, la terre, les Dinky Toys, Toys’R Us, le catalogue de Noël de Sears, les jeux imaginaires, les cours de récré… La dernière chose qui devrait les préoccuper est bien l’habillement!
Il n’y a pas que le viol qui vole les enfances. Les proxénètes sont dans les tours de verre des centres-ville. Ils font des plans d’affaires.