Grandes gueules

Les condophobes

"Au pays du Québec, rien ne doit mourir et rien ne doit changer."

– Louis Hémon

Stationnement de Montréal, créature occulte et inimputable offerte par la Ville à la Chambre de commerce, a vendu à un promoteur les droits aériens sur des terrains de stationnement situés au nord de l’avenue du Mont-Royal. Celui-ci envisage de construire des habitations là où, jusqu’à ce que Jean Drapeau et ses bulldozers en décident autrement, on trouvait quoi? Je vous le donne en mille: des habitations. Vous me suivez toujours? On veut construire des habitations, pas Gentilly 3.

Il s’agira de bâtiments normaux, respectant le zonage. À l’arrière, ils reposeront sur des pilotis afin de permettre l’accès à des espaces de stationnement payant. On perd en fait 30 espaces de stationnement sur 140, mais on gagne 98 logements neufs. Si sa genèse sent tout de même un peu la magouille, le projet est tout à fait légal et répond aux pressions du marché. Le marché, c’est moi, mon voisin, votre soeur et son beau-frère. L’affaire est simple et sera vite entendue, se dit-on. On acquiescera, avec les réserves d’usage, en demandant à Gérald de jurer sur le plan directeur que son administration à lui va jouer cartes sur table. Un autre problème de réglé. Et au suivant!

Fin de l’épisode? C’est mal connaître le Plateau où les seigneurs de la guerre communautaire veillent au grain. Nos vertueux et grisonnants gauchistes ont enfourché la pancarte et ressorti la pétition, outrés de ce que, depuis la chute du RCM, on ne les consulte plus sur la couleur des bornes-fontaines. Depuis quelques semaines, les imprécations fusent. On défend ou pourfend tout ce qui bouge: "Mort aux capitalistes! On veut des HLM! À bas les pilotis! Sauvons nos enfants! On a le droit de voir la montagne! Rendez-moi mon parking! Vivement un référendum!"

Un référendum pour sauver un parking? Et quoi encore? Je travaille à temps plein; je n’ai pas le temps d’aller voter chaque fois que Don Quichotte a la chienne de voir un moulin débarquer dans sa cour. On élit déjà des représentants et on paie des fonctionnaires pour voir à l’intendance.

Nos gardiens autoproclamés des belles valeurs bien de chez nous vont jusqu’à prétendre que meurtres et viols deviendront monnaie courante because la surpopulation. Bordels, tripots et piqueries fleuriront dans les stationnements couverts. Vous n’adhérez pas spontanément à cette vision sortie tout droit d’un tableau de Bosch? Vous pourriez au moins faire semblant. Vous êtes sûrement un mauvais Québécois, un sale néolibéral qui crache sur la solidarité, un égoïste qui se torche avec le contrat social. Et vlan! Sans blague. Ils me l’ont dit. 7500 signatures? Oui, peut-être, mais obtenues en agitant des épouvantails et en exagérant la représentativité de leurs groupuscules.

Nul ne sait d’où ces groupes tirent leur légitimité, mais ils sévissent en notre nom, pour nous sauver, toujours à l’affût d’une paire de pieds à laver ou d’un calice à vider. Rappelez-vous le Métro Chèvrefils: pour vous et moi, une simple épicerie qu’on agrandissait pour affronter la concurrence. Pour nos preux chevaliers, c’était une tour de Babel des temps modernes dont l’érection allait attirer sur nous les foudres divines. Or, comme moi, vous l’avez vu le nouveau bâtiment de l’avenue Laurier; il est très correct.

Montréal n’est ni Amos ni Louiseville. Oui, bien sûr, ses quartiers étaient autrefois de pittoresques villages, chacun pourvu de son idiot, de son curé et de son quêteux. Mais c’est bien fini. Revenons-en. Montréal est depuis longtemps déjà une ville, une grande ville même, avec un centre fort, centre vers lequel convergent chaque matin des milliers de travailleurs. Ça vous étonne, vous, que les quartiers centraux soient prisés? Moi non plus. C’est tout à fait normal. Les résidants du Plateau ne sont pas une espèce protégée à qui on doit une pérennité immuable. Aux dernières nouvelles, on ne leur a toujours pas accordé de droits ancestraux.

On ne va pas se retrancher dans la fausse nostalgie d’un âge d’or mythique où le lion et la gazelle fourraient à l’ombre de l’arbre du bien et du mal. Soyons sérieux. Nous sommes entre adultes. Ce quartier s’enrichit et change; il bat au rythme d’une entité urbaine complexe, au sein d’une économie de marché en pleine forme. Il mérite meilleurs chantres qu’une bande de taxidermistes en manque de consultation publique à noyauter. Je ne veux pas de leur Éden subventionné. J’en ai marre de tous ces hypocrites qui se drapent dans la social-démocratie et l’amour du pauvre pour défendre leur place de parking.