Pierre Rivard, prêtre, a décidé de réagir à la chronique Ondes de choc de Richard Martineau publiée le 7 mars dernier et intitulée Ceci est mon corps. Notre collaborateur dénonçait la pédophilie de certains prêtres aux États-Unis et la loi du silence qui règne au sein de l’Église catholique au sujet de fautes commises par ses membres. Monsieur Rivard n’excuse pas l’Église: il voudrait qu’elle change.
Il y a quelques semaines, l’éditorial Ceci est mon corps a attiré mon attention et, bien que je ne sois pas un représentant très important de l’Église, je me suis senti poussé à prendre un peu de temps pour partager mes réflexions sur les sujets dont il était question dans cette chronique.
Je désire d’abord me situer: je suis un prêtre de 29 ans de sacerdoce du diocèse de Montréal, ordonné en 1972, au tout début de la débâcle religieuse, au moment où les prêtres déposaient leurs cols romains en grand nombre, les religieuses, leurs voiles, et où les chrétiens délaissaient les bancs d’église.
Par conséquent, au cours des 30 dernières années, j’ai vécu en dedans et au dehors de moi les remises en question, les recherches, les expériences de toutes sortes, les abandons, les critiques, les rejets de plus d’une génération de chrétiens et de chrétiennes. Je ne sais pratiquement rien de ce qu’il est advenu de la grande majorité de ceux et celles que j’ai baptisés, confirmés, communiés, mariés. Des milliers de jeunes que j’ai côtoyés en pastorale scolaire au secondaire pendant 10 ans, je ne sais plus rien. Les seules personnes avec lesquelles je sois allé jusqu’au bout, ce sont ceux et celles dont j’ai célébré les funérailles! Ce qu’il me reste actuellement de ces expériences, c’est le sentiment d’avoir vécu la plupart du temps des moments forts de relation humaine et de connexion à la vraie vie.
Quand je lis ce qui est rapporté dans l’article ci-haut mentionné, je ressens un profond malaise. J’ai mal que nous ne soyons pas plus parfaits comme prêtres. J’ai mal que nous ayons de gros défauts, des failles énormes et même criminelles pour certains d’entre nous. J’ai mal que nous soyons à la une des journaux aux deux jours, presque toujours dans des situations humiliantes, sauf quand il s’agit de funérailles d’agents de police ou de victimes de crimes. Et encore là, ce qui est rapporté des propos des prêtres est souvent d’une mièvrerie à faire mourir. Toujours les mêmes discours sur le pardon, la miséricorde de Dieu et la nécessité de nous aimer les uns les autres! Rarement un prêtre exprime-t-il sa révolte et son impuissance devant des situations sans réponse.
Ce que je désire mettre de l’avant dans cette brève réflexion, c’est qu’il existe des prêtres capables d’être sensibles à la souffrance des autres parce qu’ils ont eux-mêmes connu la maladie, la dépression et diverses formes de dépendance, et qu’ils en portent encore les séquelles dans leur âme et dans leur corps. Et je fais partie de ceux-là.
Je veux aussi ajouter qu’il existe des prêtres sensibles aux besoins des hommes et des femmes d’aujourd’hui parce qu’ils ressentent eux-mêmes ces besoins et souffrent de voir l’Église officielle user encore de condamnation malgré des paroles complaisantes et des airs d’ouverture. Des prêtres qui voudraient qu’il appartienne à chacun et à chacune de choisir son état de vie même quand ils ont opté pour le sacerdoce. Des prêtres qui sont tristes et déprimés de voir que tout est décidé en haut dans un retour au fonctionnement d’avant le concile Vatican II et qui se savent considérés comme de simples pions par un système qui se suffit à lui-même. Des prêtres qui voudraient voir l’Église réinvestie par les pauvres, les exclus et les marginaux, et capable d’accueillir leur contestation au nom de leur humanité et de l’Évangile. Des prêtres qui voudraient voir l’Église officielle perdre une fois pour toutes ses airs de grandeur, de monseigneur et d’éminence, et capable de faire une place réelle et significative à tous ses membres. Des prêtres qui voudraient voir l’Église se considérer en cheminement et, par conséquent, capable d’admettre qu’elle n’a pas les réponses à toutes les questions et qu’elle a besoin de l’apport de tous ses membres pour aborder la vérité. Et je veux être de ceux-là.
Le risque est grand de prendre la parole. Le risque de l’exclusion, sinon officielle, du moins officieuse de la part de l’autorité, celle qui fait encore plus mal parce qu’elle est sournoise,subtile et non clairement nommée. Elle prend la forme d’attentes interminables de nominations, d’affectations à de petits postes insignifiants, de racontars, de calomnies, de doutes entretenus concernant la santé, même mentale.
Un système, c’est un système; qu’il soit religieux ou autre. Son premier réflexe est la protection de ses acquis et la défense de ses intérêts. À la longue, les individus, surtout s’ils se permettent d’être libres, deviennent des menaces. Et comme le rapporte l’Évangile au cours du procès de Jésus: "Vaut mieux qu’un seul homme meure pour sauver tout le peuple." Mais ce risque est le prix de la liberté, le plus grand don que Dieu ait fait à l’être humain après la vie.