Ici Radio-Canada: des messages préenregistrés des animateurs en lock-out annoncent toujours les émissions à venir. Des bulletins de nouvelles, fabriqués à partir de reportages européens ou de ceux de journalistes situés ailleurs au Canada, nous informent. La Soirée du hockey est tout de même diffusée, malgré un silence symbolique. Documentaires, films, reportages et séries à succès (en reprise) se suivent sans problème.
À la Première Chaîne, transformée en "station de musique en continu", les grands succès francophones sont entrecoupés de reprises d’émissions, dont Le Cabaret des refrains de Monique Giroux. Les bulletins de nouvelles sont quant à eux mis en ondes comme si de rien n’était. Et sur le Web, les pages sont mises à jour quand même, fautes d’orthographe en prime, sans aucune mention de l’existence d’un… quoi déjà? Oh oui: d’un conflit de travail.
Même sans les quelque 1400 journalistes, animateurs et recherchistes, on tente de nous persuader que tout est normal. Tout roule, tout baigne. "Ici Radio-Canada!" Et bon 50e, tout le monde!
Après un mois et demi de lock-out, à l’aide de reprises par-ci et de pseudo-bulletins par-là (qui dénaturent le travail des Tisseyre, Giroux et Cie), on veut nous faire croire, pauvres dupes, que rien de scandaleux ne se joue au sein de la société d’État. Or, il n’en est rien. Vous vous comptez chanceux d’avoir toujours accès à Radio-Canada? Détrompez-vous: vous ne recevez pas l’information à laquelle vous avez droit, comme contribuables et citoyens. Et ça, la direction de la SRC ne le dit pas. Trop dur. "Un problème? Où ça?" Ne trouvez-vous pas dommage que la privation d’information ne fasse pas dérailler le système, alors qu’un barrage de la 132 par des autochtones au sujet du partage des coupes de bois y parvient?
Radio-Canada a une responsabilité: celle de nous expliquer pourquoi elle fait perdurer un conflit sur le dos de ses travailleurs, directement sous les yeux et les oreilles insouciants de ses téléspectateurs et auditeurs. En acceptant, comme nous le faisons actuellement, cet état de fait, nous encourageons la SRC à opérer un nivellement par le bas et à dénigrer le travail de ses employés.
De plus, l’attitude de Radio-Canada nous prouve que l’information, fondement même d’une saine démocratie, n’a finalement plus de valeur, sinon celle de n’importe quel autre produit commercial. Qui a besoin de journalistes? Il suffit de savoir écrire et parler entre quelques topos étrangers, et le tour est joué!
D’ailleurs, Radio-Canada devra inévitablement procéder à un examen de conscience quant à son mandat, ses priorités, ses devoirs aussi, que ce soit en information internationale ou à la programmation des Beaux Dimanches. Le conflit n’aura qu’amplifié la crise identitaire de la SRC.
Imaginez un peu: certaines personnalités au Canada anglais se sont même demandé s’il fallait conserver un service public d’information, prétextant que le privé était plus efficace. Questions: le privé fait-il mieux, avec ses "bonnes nouvelles GM" et ses "infos Bell Mobilité"? Se soucie-t-il des principes démocratiques? Dans un monde de synergie et de convergence, de fusions et d’alliances, de Quebecor et de Gesca, il faut une autre voix, non sujette aux impératifs purement commerciaux.
Qui s’en soucie à l’heure actuelle? Personne. Ou presque. Il y a bien quelques lettres aux lecteurs ici et là. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec n’a pas, quant à elle, le mandat d’intervenir dans des conflits de travail ni de prendre parti (mais elle souhaite, comme tout le monde, le retour du service public!). Les journalistes des quotidiens et des réseaux de télévision font des reportages et articles polis. D’autres encore n’ont tout simplement pas le culot de parler: qui oserait mettre en doute le sérieux de Radio-Canada? C’est pourtant cette prestigieuse institution qui se fout de la qualité de l’information comme de la couleur des chaussettes de Stéphan Bureau.
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En plus de démontrer un manque de respect flagrant envers ses auditeurs, téléspectateurs et internautes, Radio-Canada adopte une attitude cavalière envers ses travailleurs. Il n’est aucunement question ici de salaires, mais bien de PRÉ-CA-RI-TÉ. Exemple parmi d’autres: un jeune recherchiste (ou un rédacteur) sans contrat travaille sur appel 50 heures par semaine depuis cinq ans, temps de travail réparti aussi bien le matin, la nuit que le week-end. Il ne reçoit son horaire que quelques jours à l’avance (moins d’une semaine), sans bénéficier de l’assurance collective ni de la caisse de retraite. De plus, la direction entretient avec lui un climat de peur: tu acceptes ça ou tu es mis de côté, nous ne pouvons rien te garantir pour la semaine prochaine, etc. Bref, il est coincé, alors que le travail qu’il accomplit vaut bien un contrat. Bébés gâtés? Soyons sérieux…
On vit dans un monde de travailleurs remplaçables à volonté; une société de précarité, où rien n’est facile et où il vaut mieux se la fermer parce que c’est pire ailleurs; et où l’on dit aux femmes d’accepter ce qu’on leur donne même si ce n’est pas le salaire qui leur est dû. Basta! Une Loi sur l’équité salariale a été adoptée au Québec. Que Radio-Canada ne l’applique toujours pas est carrément scandaleux.
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Le conflit à Radio-Canada n’est pas simplement celui des quelque 1400 journalistes, recherchistes et animateurs, ni même celui de la direction de la société d’État. C’est aussi et surtout le nôtre.
C’est le nôtre, car NOUS sommes des contribuables, NOUS sommes des consommateurs d’information et, surtout, NOUS sommes des citoyens.
Plus largement, nous devons défendre nos valeurs à l’intérieur de nos sociétés publiques: il faudra donc trouver un moyen de débattre de ces enjeux cruciaux que sont la précarité d’emploi (le lot de plus en plus de Québécois) et l’équité salariale. Ne rien faire reviendrait à cautionner la discrimination et la précarité, à laisser le marché dicter les conditions de travail.
Il ne faut pas souhaiter un règlement politique: l’indépendance des travailleurs serait en péril. Il ne faut pas non plus compter sur l’initiative des entreprises privées d’information: elles ont trop à gagner à voir le conflit s’éterniser. C’est NOUS qui avons tout à perdre et pouvons renverser cette tendance. Réagissez. Envoyez des lettres de mécontentement à l’ombudsman Renaud Gilbert ([email protected]). Téléchargez la pétition sur le site www.scrc.qc.ca. On appelle ça un devoir de citoyen.