Toute la semaine dernière, nos ondes ont été consacrées à l’omniprésence papale. Pas moyen d’allumer la télé sans tomber sur quelque lancinant reportage en direct de Toronto.
Dès lundi matin aux aurores, avant même que le "Saint Père, notre pepa, notre grand-pepa à tous", comme l’a dit un jeune catéchumène enthousiaste, ne fasse sa première vacillante apparition, avait commencé la litanie des lieux communs les plus visqueux entendus à la télé. À côté de ce chapelet d’insignifiances à l’eau bénite, la couverture des matchs sportifs fait office de grand art. Cela sans parler des puceaux sanctifiés aux sourires béats, aux regards extasiés, qu’on nous a donnés à voir et à entendre. Un Woodstock chaste pour simplets. Le sel de la terre, la lumière du monde! Je dirais plutôt la grande noirceur de l’hystérie charismatique collective.
Comment ne pas s’amuser des propos consternants de mièvrerie de nos très honorables politiciens, de Gérald Tremblay à Jean Chrétien, en passant par le maire de Toronto – l’homme qui serre indifféremment la main d’un Hells ou de Jean-Paul II sans broncher -, des théories de l’ineffable cardinal Turcotte sur le bon appétit de Sa Sainteté, des commentaires opportunistes de toute la bande de théologiens patentés et de nouveaux convertis appelés en renfort pour l’occasion. Ce qui se comprend un peu, étant donné la durée extravagante de la couverture télévisuelle de cette apologie de la religion catholique. Au nom de quoi, on se le demande, alors que 9 % seulement de la population québécoise se dit pratiquante, et que la Charte des droits et libertés devrait rendre l’État, incluant la télévision d’État, neutre face à une religion en particulier.
Au diable l’esprit critique, la distance journalistique, les nécessaires et brûlantes questions sur la pertinence et le sens de l’Église catholique dans une société dite laïque et pluraliste. Disparus sous les vapeurs d’encens, les récents scandales pédophiles qui ont éclaboussé la "vénérable" institution. Peu de mots sur les vies mutilées des trop nombreux jeunes gens abusés par nos bons prélats du monde entier! Ironiquement, au moment même où se déroulait cette urgente offensive de relations publiques, cette entreprise d’évangélisation massive à ciel ouvert, les journaux rapportaient l’arrestation de braves curés du New Jersey âgés respectivement de 60 et 70 ans. L’affaire ayant conduit au démantèlement d’un réseau de prostitution pédophile dans le Village gai. Malgré toute la sympathie que l’on peut avoir pour un vieil homme, malade de surcroît, il n’en demeure pas moins que le pape est la caution morale du réseau pédophile le plus stable et le mieux organisé au monde.
Ce qui surprend encore plus, c’est la disproportion entre le contenu du discours d’un homme dont on a peine à saisir les râlements et le formidable engouement collectif que ces propos ont suscité. Ou comment les médias parviennent à créer de toutes pièces un simulacre de ferveur qui n’a rien à voir avec l’état réel de la foi. Funérailles de Lady Di, mariage de Céline, le badaud accourt en grand nombre, porté par la transe collective. De toute façon, à la lumière même des valeurs prônées par l’Église, la foi spectacle est une contradiction à sa face même.
Pour comprendre cette institution de l’hypocrisie et le zèle des médias, il serait utile de rappeler que derrière tout ce cirque est tapie une puissante et redoutable institution politique mondiale; que chez nous au Québec, à l’Université de Montréal, haut lieu de savoir présumé non confessionnel, subsiste encore un modérateur ecclésiastique en la personne de Mgr Turcotte, l’homme dont la rustique bonhomie ne devrait pas nous faire oublier qu’il pactise avec les plus puissants de la société et qu’il a le droit de vie ou de mort sur la carrière des profs et du doyen de la faculté de théologie.
Au fond, pour tempérer les ardeurs manipulatrices de ce pouvoir désuet mais bien présent, faudrait-il qu’il existe un noyau d’individus, politiciens ou autres, décidés à réitérer la valeur émancipatrice de la séparation stricte entre la religion et l’État, fondement d’une véritable société civile.