Grandes gueules

Lire et délire

Tous les trois ans, le débat refait surface: les émissions littéraires télévisées ne rapportent pas, on les fait donc disparaître des ondes.

Des centaines de chaînes au pays nous montrent TOUT: des "drôles" de vidéos où paradent des abrutis, la météo en long, en large et en travers, des émissions sur les maisons de riches, sur la cuisine, sur la couture, sur le jardinage, sur les artistes "Bizart", sur la décoration, sur la pub, sur la vie de vieilles vedettes; on nous inonde de navets-téléromans, de séries imbéciles, de films insignifiants, de bulletins de nouvelles farcis de faits divers (INUTILES à notre vie de tous les jours); bref, la télé bourdonne de ce brouhaha où chacun est censé trouver son compte, donc être heureux.

Tout le monde sauf ceux qui aiment les livres. Bien que le gouvernement fédéral se fasse une fierté de subventionner éditeurs et écrivains québécois, et surtout francophones, de récompenser pompeusement nos meilleurs livres avec les Prix du Gouverneur général, la télé publique refuse de programmer 30 malheureuses minutes par semaine sur la littérature pour tout un pays et, ce faisant, d’aller jusqu’au bout de son engagement.

Bref, un lecteur francophone est doublement minoritaire dans ce pays.

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Pourquoi sommes-nous privés d’émissions littéraires à la radio et à la télé (Paysages littéraires et Passages à la radio, Jamais sans mon livre à la télé), catastrophe que déplorent avec raison plusieurs intellectuels, animateurs et critiques littéraires? Parce que, disent les diffuseurs, les livres n’attirent pas un assez grand public, parce que la littérature ne "swingue" pas assez, ennuyant les téléspectateurs.

Travaillant dans ce milieu depuis plusieurs années, ex-étudiante en littérature, et surtout, livrophile invétérée, que dois-je faire pour assouvir mon appétit? Lire en anglais? Regarder les émissions françaises me parachuter leurs livres, leurs auteurs, leurs débats?

En supprimant son unique magazine littéraire, Radio-Canada se comporte comme une entreprise: or, elle est avant tout un service public que NOUS payons. Ce n’est même pas une question de choix: la chaîne DOIT donner aux francophones de ce pays une émission littéraire de qualité, un lieu où l’on parle livres dans la langue que partagent des millions de Canadiens. Les chaînes publiques, parce qu’elles sont financées par les citoyens, ont l’obligation de nous renseigner sur la vie littéraire et intellectuelle des gens qui y vivent (ce que fait chez nous Télé-Québec, il faut le souligner).

Qu’il faille exiger cela haut et fort est un scandale: on dirait que l’information, l’éducation (oui, c’est aussi noble que de savoir vendre, messieurs les administrateurs) sont des désirs dépassés. Pourtant, n’est-ce pas la base des métiers de la communication? Où est cette ardeur de faire partager des connaissances, des découvertes, de débattre d’idées? N’y a-t-il plus aucune passion dans ces professions?

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Le débat sur la disparition des émissions littéraires est d’abord un débat sur la culture au Québec. Culture que nous devons défendre, protéger, développer. Au diable la rentabilité!!! Il y a des domaines que nous devons soutenir pour le "bien commun", et la littérature en fait partie.

Encore vendredi dernier, le v.-p. de CKAC annonçait la disparition de la chronique culturelle à son émission matinale quotidienne, se fiant à un sondage (!) selon lequel ce sujet n’attirait pas d’auditeurs. Bien sûr, CKAC n’a jamais excellé dans la critique culturelle, mais tenir son public au courant des activités culturelles serait un minimum.

Et que dire de la chaîne ARTV, qui devrait être la première à diffuser du contenu original sur la littérature? Elle ne joue pas son rôle. On nous sert du recyclage, de qualité, peut-être, mais du recyclage quand même.

Pendant ce temps, le Canada anglais se paie une CHAÎNE COMPLÈTE sur les livres (BookTV); Bravo fait des émissions à contenu inédit, dans lesquelles les animateurs ne font pas de courbettes, mais invitent des écrivains et des critiques littéraires qui n’ont pas peur de leurs opinions, qui ne craignent pas d’avoir l’air intelligents, et où ne règne pas comme ici un anti-intellectualisme primaire. Les Québécois seraient-ils trop idiots pour avoir droit à une télévision culturelle digne de ce nom?

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Les chaînes publiques n’ont pas le droit de nous priver d’espaces de réflexion, d’échanges intellectuels. Le Québec affiche un taux d’analphabétisme consternant (près d’un million de personnes), pendant que Pauline Marois se promène dans le monde pour vendre notre main-d’oeuvre bon marché, projetant l’image d’une société bien docile, qui se met à genoux devant n’importe quel investisseur, sans résister. Comment le pourrait-on, quand on n’a plus l’usage de sa tête ni de ses mots?

Il est révoltant de constater à quel point la littérature et la culture sont encore considérées comme un luxe dans un pays qui s’est pourtant toujours caractérisé par sa culture.

Bientôt, la seule chose qui nous distinguera des autres Canadiens, ce sera de ne plus savoir penser, ni parler, ni écrire. Est-ce vraiment ce que nous voulons?