Ayant un intérêt profond pour tout ce qui concerne la famille, j’ai écouté avec grande attention l’entrevue faite par Richard Martineau avec Pascale Navarro (auteure féministe) et Serge Ferrand (bédéiste et réalisateur du film Entre père et fils) au sujet de la place des pères dans la famille d’aujourd’hui, dans le cadre de l’émission Les Francs-Tireurs à Télé-Québec. Le sujet de la paternité a engendré une discussion plus large, sur la place des hommes et des femmes dans la famille et dans la société, sur le féminisme, etc. Pour moi, ce fut surtout l’occasion de mieux comprendre l’idéologie qui sous-tend un certain discours féministe contemporain, ici représenté par les propos de Pascale Navarro. Après l’écoute de cette émission, je n’ai pu m’empêcher d’émettre l’opinion que le féminisme actuel carbure à fond la caisse à la victimisation de la femme et est encore motivé par une logique de guerre (de "guéguerre", pour employer l’expression de madame Navarro) contre les hommes.
Premier exemple: Pascale Navarro affirme, en accord avec Serge Ferrand, que les mères sont parfois trop perfectionnistes et exigeantes envers les pères qui tentent de s’impliquer à leur manière dans les soins et l’éducation des enfants, ce qui décourage ceux-ci. Par contre, elle enchaîne immédiatement en disant que cette situation est due à l’influence de la "société sexiste" qui inculque aux femmes l’idée qu’elles sont les meilleures pour éduquer les enfants, pour faire à manger, pour s’occuper des tâches ménagères, etc. Autrement dit, Mme Navarro avoue que certaines mères nuisent à l’implication des pères auprès de leurs enfants (tout en reprochant à ces derniers de ne pas s’impliquer), mais que ce n’est pas la faute des mères, car elles sont victimes. En fait, c’est la société sexiste qu’il faut pointer du doigt. Pour avoir écouté de nombreux discours de femmes se revendiquant féministes, je pense que cette manière de penser est encore assez répandue. Ce qui est dangereux, car elle amène une banalisation des injustices commises par des femmes et institue une logique de guerre où un abus en justifie un autre.
Autre exemple: toujours durant l’émission, Serge Ferrand dénonce la situation de l’existence de quotas pour favoriser l’intégration des femmes dans certains secteurs traditionnellement réservés aux hommes, sans qu’il y ait son pendant masculin (face au manque d’hommes dans les garderies et au niveau de l’enseignement primaire, l’instauration de quotas favorisant l’augmentation de ceux-ci). La réponse de Pascale Navarro face à cette situation est qu’au Canadian Club, il n’y a encore presque exclusivement que des hommes, sous-entendant ainsi que les femmes ne sont pas encore assez représentées dans ce groupe de riches sélects. Ici encore, Mme Navarro fait preuve d’illogisme: d’un côté, parce que certains secteurs de la société ne sont encore occupés que par des hommes, il est justifié de redresser cette situation par des mesures qui favorisent l’intégration des femmes, pour plus d’égalité; de l’autre côté, lorsqu’un secteur est occupé en majorité par des femmes, les projets d’intégration des hommes ne sont pas nécessaires (et ce, même si ce serait pour le bien des enfants). Pourquoi? Parce que certains secteurs sont encore occupés en majorité par des hommes. Belle logique. En fait, la suite de la réponse de Pascale Navarro face au manque d’hommes dans le système d’éducation a été: "Qu’ils y aillent, les hommes!" Comme si les hommes ne pouvaient pas revendiquer d’être traités avec les mêmes critères que les femmes. J’imagine la réaction de Mme Navarro si un homme lui disait: "Qu’elles y aillent, les femmes, au Canadian Club!" Deux poids, deux mesures.
En fait, on peut observer que la victimisation est une idéologie très populaire. Bien utilisée, elle donne certains privilèges à ceux qui s’en servent; d’abord, se positionner comme victimes semble justifier le droit aux "martyrs" de commettre à leur tour des abus, particulièrement envers ceux identifiés comme bourreaux; ensuite, ces victimes qui abusent peuvent réprimer efficacement les critiques à leur égard en accusant les auteurs de celles-ci de tortionnaires, d’ennemis, ou encore mieux, de traîtres s’il s’agit de critiques venant de l’intérieur. Le problème principal avec la victimisation, c’est qu’elle évacue chez son utilisateur la prise de conscience de sa propre responsabilité, qu’elle empêche ainsi d’assumer sa part de blâme. C’est encore ce que semblent faire actuellement bon nombre de féministes en accusant (souvent avec raison d’ailleurs1) les pères de ne pas assez s’impliquer auprès de leurs enfants, mais en oubliant que beaucoup de mères ne laissent pas beaucoup d’espace aux pères pour le faire.
En conclusion, je souhaite ardemment que le féminisme sorte de cette (il)logique de (gué)guerre et qu’il adopte une réelle idéologie égalitariste. À quand la création d’un réel mouvement égalitariste mixte?
1 Pour mieux comprendre le sujet de la paternité, lire l’ouvrage La Part du père (1980) de la psychanalyste-ethnologue Geneviève Delaisi De Parseval, aux Éditions du Seuil.