Devenir un homme
, Paroles d’hommes, Le Code Boilard du vrai gars, Stiffed, The Betrayal of American Man… Ces titres de livres sont sans équivoque. Le sujet le plus populaire des essais publiés récemment se résume en trois mots: la condition masculine.
Celle-ci n’intéresse pas uniquement les éditeurs. Dans les journaux, à la télé et sur les ondes, les hommes ont décidé de prendre la parole. Les hommes blancs et hétérosexuels, s’entend. Ceux qui, naguère, préféraient exprimer leurs émotions sur une patinoire plutôt que sur la place publique.
Leur constat est troublant: les hommes sont tannés, frustrés, émasculés. Ils reprochent aux femmes leurs échecs scolaires; ils reprochent aux mères d’avoir le monopole de la famille; ils reprochent aux gais de parader avec trop de fierté; ils reprochent aux médias et à la pub de diffuser une image d’eux digne de l’âge des cavernes.
Bref, les hommes se trouvent victimes des récents changements de société. Les nouvelles victimes d’une époque qui a déjà son lot d’incompris.
Bien sûr, leurs récriminations ne sont pas toutes dénuées de sens. Le malaise masculin – le taux de suicide chez les jeunes hommes en témoigne – est aussi réel que la menace écologique. Les hommes, malgré leur force et leur orgueil, sont assez vulnérables. Le problème, c’est que le discours masculin ne dépasse jamais l’acte d’accusation.
Il serait temps de passer à l’argumentation.
De nos jours, chacun a son bourreau, chacun a sa victime. Les féministes blâment les hommes de leurs malheurs, et vice versa. Les nationalistes accusent les fédéralistes de briser leur rêve, et vice versa. Les minorités dénoncent la dictature de la majorité qui brime leurs droits. Or, voilà que la majorité s’en prend désormais à la rectitude politique des minorités.
À ce rythme-là, dans 20 ans, la société n’aura plus besoin de sociologues: on devra s’en remettre aux arithméticiens, car les conflits entre les groupes sociaux vont se multiplier à l’infini!
Mais revenons au sujet de l’heure dans les médias. Rarement des hommes ont-ils alimenté avec tant de fougue un tel faux débat. Car, à mon avis, il n’existe pas de débat sur la condition masculine. Tout simplement parce qu’il n’y a pas UNE condition masculine, mais DES conditions masculines.
Entre l’ouvrage de Mathias Brunet, Paroles d’hommes, écrit par un journaliste criblé d’incertitudes, et celui de Marc Boilard, l’animateur de Testostérone qui vante son expertise ès drague, il y a un énorme fossé idéologique. Un fossé encore plus grand que celui qui existe entre la militante Françoise David et l’aguicheuse Anne-Marie Losique.
Vous avez sans doute entendu parler du best-seller américain des dernières années, Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus, vendu à plus de dix millions d’exemplaires dans le monde entier. Son titre est un raccourci qui illustre parfaitement un mal contemporain: la polarisation des débats.
À force de polariser les sujets, de les résumer en noir et blanc, en masculin et féminin, en straight et gai, notre époque a fini par empêcher tout débat véritable. Ce qu’on appelle aujourd’hui débat demeure trop souvent une démonstration savante d’un art mineur: l’art de tourner en rond.
Je connais des hommes qui viennent de Mars, mais aussi de Vénus, de Saturne, de Mercure, de Pluton. Je connais des pères absents, d’autres exemplaires. Je connais des gais plus machos et virils que bien des hétéros, des hommes plus sensibles que des femmes, et des femmes plus déterminées que des caporaux.
Dans son livre d’entretiens, Mathias Brunet interroge cinq personnalités masculines (dont Guy A. Lepage et Pierre Foglia) sur un tas de choses, de la mort à la paternité, en passant par l’amour. Toutefois, aucun interviewé n’arrive à fournir de réponses ultimes aux angoisses de Brunet. Sauf une, peut-être: il nous faudrait plus d’une vie pour arriver à bien se connaître.
Curieux paradoxe, hélas, qu’il soit si difficile de se connaître soi-même, mais si facile de se convaincre de la justesse de notre perception des autres…
Contrairement à l’idée reçue, les hommes inquiets et vulnérables ne sont pas des hommes roses. Ni beiges, ni mous, ni faibles. Ce sont des hommes qui doutent.
Dans la série sur Jean Duceppe à Télé-Québec, on constate à quel point cet homme illustre (acteur-vedette, fondateur d’une compagnie de théâtre, président de l’Union des artistes, père de sept enfants) était pourtant un homme fragile qui doutait toujours de lui.
"Vingt-quatre heures de doute… mais une minute d’espérance", disait Bernanos à propos de la foi. C’est ainsi que les hommes devraient concevoir les relations humaines, avant d’accuser l’autre (les femmes, les gais, les minorités) de tous leurs maux.
Dans leur combat identitaire, les hommes devront en finir avec les règlements de comptes. Alors, ils pourront se poser de vraies questions sur leur place dans la société. Pour arriver un jour à vraiment vivre ensemble.
Malgré les différences.