Grandes gueules

Viens voir les « comédiens »…

Je suis comédien. C’est mon métier. Un métier extraordinaire, exigeant, gratifiant. Un métier. Je ne suis pas pour autant plus important qu’un plombier et pas moins qu’un neurochirurgien…

Je suis comédien. C’est le métier que j’ai choisi. Pour bien l’exercer, il m’a fallu apprendre à jouer. Cela peut sembler paradoxal puisque jouer est dans notre nature. Les enfants jouent instinctivement et sont, dans la rue, d’un naturel troublant. Mais je le répète, j’ai APPRIS à jouer. Parce que jouer ne se limite pas à copier la vie, ou la reproduire avec naturel, ou la dire avec justesse de ton. Le processus de jouer pour un comédien est plus complexe, plus engageant. Je suis cependant d’accord pour dire qu’il y a des degrés dans l’engagement, et que certaines productions (souvent télévisuelles) n’appellent pas toujours les mêmes compétences. Comme pour un plombier. Y’a une différence entre une job de caulking pis une job de robinetterie…

Vous allez me dire que je ne suis pas obligé de faire venir un plombier pour une job de caulking, que je pourrais la faire moi-même alors que ce n’est pas mon métier. C’est vrai. Certains diront aussi que, si je le veux vraiment, je pourrais m’attaquer à la robinetterie… Mais je ne sais pas, je préfère engager un plombier. C’est son métier. Et un plombier qui pratique bien son métier, ça m’émeut… Je trouve cela noble, précieux.

Et on peut-tu le dire, esti: c’est mieux fait quand c’est un plombier qui le fait!

Si c’est un bon plombier, évidemment!

Alors quand Marc Gagnon nous annonce qu’il veut devenir comédien, quand on présente Patrick Huard comme un des plus grands comédiens du Québec, quand Véro joue dans Music-hall, quand Dan Bigras fait sa police-bum dans Tag, quand Pierre Brassard essaie de nous faire croire à son cauchemar d’amour, quand n’importe qui et j’en passe (même Guy Bertrand, calvaire!), soudain, peut devenir comédien, je suis en colère! Je ne joue plus! Ça m’écoeure ben raide! Parce que mon terrain de jeu est devenu un centre commercial et ses acteurs, trop souvent, des marchandises interchangeables, des produits potentiellement rentables!

Ils jouent sur ce terrain non pas pour leur valeur artistique mais pour leur valeur marchande!

Ne vous méprenez pas, il ne s’agit pas d’une charge contre ces personnes en particulier. Certaines ont du talent, un vrai talent. Il y en a même qui appellent mon respect à plusieurs égards. Et, non, je ne suis pas un comédien frustré! Je travaille, je gagne très bien ma vie avec le métier que j’ai choisi. J’ai dû travailler très fort pour y arriver cependant. Travailler! Je le redis parce que souvent, dans l’imagerie populaire, dans l’image que l’on véhicule de ce métier, on pourrait croire que c’est toujours comme un crisse de gros party, que tout est facile, que c’est pas un vrai métier dans l’fond! Mais ce sont des heures et des heures et des années de travail, de répétitions, d’apprentissage, de déceptions douloureuses et de rêves portés à bout de bras… J’ai APPRIS mon métier.

Que me diriez-vous si je vous annonçais que je veux devenir champion olympique en patinage de vitesse l’an prochain? "Hold on tight to your dream en esti, mon gars!" C’est juste pas mon métier!!! On n’est pas peintre parce qu’on peinture des cannes en bois ou parce qu’on fait des clowns avec des faces de vedettes, esti! Ni écrivain parce qu’on a vécu quelque chose d’exceptionnel qui se vendrait bien! Ni Dieu parce qu’on écrit des téléromans…

Chu un bon cook mais j’en ouvrirai pas de restaurant! C’est-tu clair?!

J’ai trop de respect pour ceux et celles qui pratiquent un métier qui n’est pas le mien. Le respect…

Les producteurs, les diffuseurs et autres vendeurs de chars usagés aveuglés par le vedettariat et la dictature des cotes d’écoute, et qui sont aujourd’hui complètement déconnectés des besoins et envies d’un auditoire en changement, ne semblent pas en avoir beaucoup à l’égard de mon métier, de respect!!!

C’est particulièrement eux qui me mettent en crisse!

Je ne dis pas qu’il faille absolument passer par une école, il y a de grands autodidactes! Il est possible d’apprendre sur le tas. C’est juste que ce n’est pas magique! C’est un métier, crisse!!!

Je connais trop de comédiens et de comédiennes qui ne peuvent pratiquer leur métier (leur MÉTIER, CIBOIRE!) de manière à en vivre décemment! Je sais trop l’immense talent qui dort! Et, malheureusement, tous et toutes n’ont pas le temps de se recycler à l’ITHQ ou à l’ENH…

À travers les âges, la perception des comédiens qu’ont eue les différentes sociétés a beaucoup changé. On les a adulés, méprisés, damnés… Aujourd’hui, on ne sait même pas ce qu’ils sont, parce que quelqu’un quelque part leur faire croire qu’une animatrice, un avocat, un athlète olympique ou un comédien, c’est du pareil au même! Et l’écran est devenu le lieu de tous les possibles, le nouvel Eldorado, le terrain de jeu ultime où tous et toutes sont conviés à tenter leur chance… Welcome to the ultimate open house party!

Mais bon, vous me direz que je me scandalise pour pas grand-chose! Je suis juste comédien dans l’fond! C’est aussi vrai…

Seulement, force m’est de constater que je ne pratique plus un métier qui s’apprend, mais un métier qui se vend – plutôt bien et cher, d’ailleurs!

Ça fait sûrement des heureux quelque part, non?

Quelqu’un chantait: "Viens voir les comédiens!"

Ouais, ben cours toujours…!