Je suis d’un sexe qui est aussi un peu une maladie. Ma maturation biologique est jalonnée d’étapes quelque peu craintes et maudites. C’est que je suis d’un sexe qui perd du sang, du lait, des hormones et ainsi, à ce qu’il paraît, un peu la tête. On veut m’aider. Qu’on fasse dans la pharmacopée naturelle ou de synthèse, partout, on développe arsenaux de pilules et cocktails d’hormones pour me soulager.
Ma vie de femme est marquée par de pénibles afflictions menstruelles, j’accouche dans la douleur, j’étouffe dans mes bouffées de chaleur ménopausiques, et je m’effrite de l’os en vieillissant. Merci à tous les corps médicaux de s’intéresser au mien. Je suis certaine que le parcours physique de ma vie sera autrement moins éprouvant que celui de mes aïeules. Cependant, en notre époque qui médicalise de plus en plus les étapes biologiques de la vie d’une femme, il me trouble d’observer que c’est aussi sur le caractère féminin qu’on continue à opérer. En le disqualifiant. Plus subtilement qu’en des temps qui nous ont précédés, mais en le dévaluant tout de même.
À commencer par les "états d’âme" accompagnant les différents parcours hormonaux féminins qui, de plus en plus, sont présentés comme d’inutiles, encombrants et irraisonnés états-dames. C’est vrai, pourquoi donc s’enfarger dans des étapes de vie qui nous prodiguent entre autres blues, irascibilité et remises en question alors qu’on peut aujourd’hui sauter par-dessus? Pourquoi m’entêter à évacuer tous les mois mes menstruations alors que je puis maintenant avaler une pilule qui me les fera avaler, et mes humeurs avec? Pourquoi ne pas me faire chaperonner à la ménopause par de faibles antidépresseurs qui me garderont doucement de me sentir trop?
Certes, on a cautionné certains épisodes de la vie des femmes en ajoutant au vocabulaire des mots liés au syndrome prémenstruel, à la dépression post-partum ou aux humeurs influencées par la ménopause, par exemple. Malheureusement, ces états sont couramment présentés de bien funeste façon. Si on qualifiait autrefois mon sexe de potentiellement hystérique, on insinue aujourd’hui qu’il est porté – par ses hormones – à la dépression. Il y a de quoi déprimer…
Bien qu’il puisse être rassurant de lire sur la normalité de se sentir déprimée, égarée ou vaguement folle à certaines étapes de sa vie, il est désolant de constater qu’on ne publie à peu près rien sur ce que ces étapes peuvent ensemencer souvent de fondateur, de créateur et de puissant en soi.
Heureusement, une nouvelle vague d’anthropologues, de biologistes et de médecins consacrent leurs travaux à une réhabilitation de la biologie féminine. Pour elles, le sentier de l’"empowerment féminin" passe obligatoirement par là. Opinion que partagent des "marraines-fées" de mon entourage, qui m’ont conduite à réévaluer mes "maux" de femme.
Merci, maman de m’avoir dit, alors qu’adolescente et menstruée je me discréditais de brailler de façon trop spectaculaire: "Ce qui te sort quand t’es menstruée, ça sort p’têt’ trop fort, mais ça veut pas dire que c’est pas vrai ni précieux!" Je remercie Lise qui, à 60 ans, tonne en riant contre ses bouffées de chaleur et ses pertes d’énergie mais me dit que sa ménopause l’invite comme jamais à l’intériorité – et pas à la modestie féminine, au contraire. Merci à Isabelle Brabant qui, par son beau livre Une naissance apprivoisée, m’a incitée à trouver un sens à la douleur des contractions. À l’intérieur de la bulle complice que mon compagnon et moi nous sommes inventée pendant les 15 heures de travail qui précédèrent mon épidurale, nous avons parcouru le plus amoureux, intrépide et désinhibé de nos voyages.
Mais faudrait pas croire… La réhabilitation de ma biologie me demande une sacrée vigilance. Je me vois encore il y a deux mois, participer à la tribune Féminin pluriel de l’émission Indicatif présent animée par Marie-France Bazzo. Il me fut loufoque de constater que dans mon cas, ce matin-là, le véritable discours sur la femme ne sortait pas de ma bouche, mais se jouait (de moi) dans ma tête: "Mais tu ne te souviens d’absolument rien de ce que tu as préparé hier! Arrête d’allaiter, ta matière grise te fuit par les mamelons! T’es vraiment pas encore sortable!" Alors qu’allaitante et en déficit de sommeil, je m’entêtais sans succès à penser dans le même mode qu’"avant", je passais complètement à côté de mon mode de pensée actuel, me privant de lui. Non pas qu’il eût été génial, mais incarné. En discréditant mon parcours féminin, je passais à côté de moi.
On n’a quand même pas que ça à faire, avoir des humeurs, errances et débordements. Ça demande temps et énergie et c’est pas propre. Un peu comme du sang, ça peut saloper partout. Vivement l’ultime tampon hygiénique: le tampon-à-humeurs-super-absorbant. Il refoulera à la sortie ces fichues hormones, ces hors-norme, ces hors-la-loi, et les mots des maux de femmes avec!