Quelque temps avant Noël, le magazine pour adolescentes Adorable et, surtout, son "Guide 100 % sexe" ont suscité l’indignation de plusieurs parents. Truffé de trucs pour "amener votre mec au 7e ciel", ce guide suggérait notamment aux filles de filmer leurs ébats amoureux et d’envoyer des courriels érotiques. Le tout était bien sûr accompagné de moult détails sur l’art subtil de la fellation. Après de menus remous dans les médias, le guide a été retiré des présentoirs, avec les excuses de la rédaction. C’est bien dommage…
Non pas que j’aurais souhaité consulter ladite publication, même si je fais partie du groupe d’âge théoriquement visé par Adorable (les 16 à 24 ans!). D’ailleurs, ne vous méprenez pas, je comprends la réaction des parents: on a beau être très ouvert, on n’aime pas imaginer que notre enfant lèche autre chose que de la crème glacée. Ce qui me déçoit, c’est l’absence de débat. Parents et journalistes se sont contentés de relever les conseils les plus croustillants du guide, soulignant qu’on n’y trouvait nulle mention de sexe sécuritaire. Étonnamment – et peut-être heureusement -, on n’a pas relancé à cette occasion la polémique sur l’omniprésence du sexe dans les médias. On n’a pas non plus levé les yeux sur la page couverture du magazine et son titre: "Devenez la femme que les hommes désirent". À peine Sophie Thibault a-t-elle commenté la chose, le sourcil droit haussé et l’autre à sa place habituelle.
Le mot "fellation" dans un magazine pour adolescentes ne me choque pas. Ces articles sur la sexualité semblent satisfaire un besoin auquel ni les parents ni l’école – loin s’en faut – ne peuvent (et ne souhaitent) répondre de manière aussi directe et complète. Le problème, puisqu’il y en a un, ne se situe pas non plus du côté de la quantité d’articles ou d’émissions de télé traitant du sujet. Sans vouloir absolument m’exprimer sur un sujet chaud: l’heure à laquelle on cause pénis à la SRC m’importe bien moins que la manière dont on en parle. Je partage totalement l’opinion de l’activiste féministe Jean Kilbourne lorsqu’elle souligne que la question de la sexualité dans les médias est souvent commentée d’un point de vue puritain (on en parle trop et de manière trop crue) alors qu’il ne s’agit pas d’un "problème de moralité, mais de superficialité et de cynisme. [Les médias proposent une] pseudo-sexualité qui rend difficile la quête de notre authentique sexualité personnelle".
Ainsi, ce qui me fait bondir lorsque les médias traitent de sexualité, c’est l’aspect mensonger, stéréotypé, superficiel et impératif de leur discours. Un exemple? Toutes ces chroniques dans lesquelles des sexologues expliquent en détail comment caresser son partenaire présentent LA méthode pour ne jamais manquer son "coup", en promettant le nirvana à quiconque observera les règles énoncées. L’obsession de la performance a-t-elle déjà profité d’une meilleure publicité? Je ne crois pas, d’autant plus que cette conception mécanique et fausse de la sexualité est souvent véhiculée par des spécialistes. En plus de supprimer ce qui peut rester de spontanéité au lit (ou dans la garde-robe, pardon, je suis tellement out!), ce type de discours dénature la sexualité. À un point tel que notre intimité est désormais soumise aux tendances de la mode, moins influencée par la crainte du qu’en-dira-t-on d’autrefois que par le souci du qu’aurai-je-à-raconter.
Si je bondis encore plus haut quand ce discours s’adresse directement à la jeune génération – qu’il s’agisse des 14 à 18 ans ou des 16 à 24 ans ne change rien à l’affaire -, c’est parce que je constate les dégâts qu’il a pu faire auprès de gens "expérimentés" et matures. Dans un article intitulé "Bonsoir tristesse" paru dans le Voir du 19 décembre 2002, Nelly Arcan mentionne un de ces dégâts: l’omniprésence de la sexualité dans les médias a engendré un sentiment d’insuffisance. Cette impression d’incomplétude qui nous pousse à acquérir diverses prothèses pour maintenir le désir (celui qu’on ressent comme celui qu’on inspire) a atteint un niveau himalayen.
Les gars et les filles de 15 ans sont naturellement inquiets de leur sexualité et d’eux-mêmes. Il est criminel – oui, j’ai un certain sens du tragique – de renforcer chez eux l’obsession de la performance et de leur fournir, noir sur blanc, des raisons (frauduleuses) de se faire du souci.
Le magazine Adorable s’est excusé pour son guide du sexe, mais lui et ses clones en feront-ils autant pour leurs articles réguliers sur la sexualité et l’amour? Des articles par lesquels les adolescentes apprennent, en plus de ce qui a déjà été mentionné, des bêtises archaïques telles que: les filles se ressemblent toutes et les gars sont tous pareils; les deux sexes communiquent par signaux, un peu comme les antilopes et les papillons, il faut savoir les décoder; enfin, sexuellement, les filles aiment… faire plaisir à leur chum et les gars apprécient tous les mêmes caresses.
L’obscénité n’est pas toujours là où on la voit…