Grandes gueules

Vol de reconnaissance

L’antiaméricanisme est à son comble. À un point tel que l’extrême gauche, aveuglée par les prémices d’une guerre en Irak, en est venue à se réjouir en voyant la navette Columbia s’effriter dans l’azur du Texas, samedi dernier.

Certes, il s’agit là d’une perte dérisoire à l’échelle de l’humanité. Sept vies, c’est moins qu’il n’en disparaît chaque heure en Éthiopie. Moins qu’en Irak chaque avant-midi, moins que sur les routes du Québec une fin de semaine de tempête.

"C’est un symbole de la guerre froide et de la course à l’armement qui tombe", a-t-on aussi pu entendre chez les uns, pendant que chez d’autres, on applaudissait la "faillibilité du géant".

Et c’est sans compter les blagues douteuses des écolos concernant les déchets en orbite dans l’espace, ceux qui rigolent en avançant que Columbia aurait heurté quelques morceaux s’étant autrefois détachés de la défunte station MIR.

Quel cynisme!

Et si à force de combattre la barbarie, nous devenions nous-mêmes les barbares?

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En 1986, la navette Challenger transportait à son bord une institutrice. Nos profs, jubilant littéralement de voir une représentante de leur corps de travail s’envoler en orbite autour du globe, avaient décidé de consacrer toute une période de cours à regarder la navette s’arracher à l’attraction terrestre.

Soixante-douze secondes de bonheur avant que l’excitation ne fasse place à l’horreur. Dans ma tête d’enfant, je trouvais que l’explosion ressemblait à celle des dessins animés que je regardais religieusement, mais cette fois, je ne pouvais faire autrement que de ressentir une terrible tristesse que je m’expliquais bien mal.

Jadis, nous admirions le courage des pionniers de l’espace. Sans notion de géopolitique, sans repère aucun, nous enviions tout simplement ces hommes et femmes qui avaient le privilège d’embrasser les étoiles, de flotter en apesanteur, de manipuler le bras canadien et de se nourrir de pilules de toutes les couleurs. La naïveté de l’enfance a ceci de beau – mais aussi de terrible – qu’elle n’admet ni la haine ni le ressentiment, qu’elle fait place à la noblesse du courage et de l’ambition sans pouvoir la mettre en perspective.

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Dans le film The Right Stuff, le réalisateur Philip Kaufman met en relief la trame de la guerre froide servant de fondement à la course à l’espace. Et si on sent bien l’absurdité qui régnait sur le monde à cette époque, on peut aussi y voir un hommage sensible rendu aux pionniers de l’espace, du pilote de test, Chuck Yeager, au premier homme en orbite, John Glenn. À leur courage.

Mais le courage, on s’en balance pas mal aujourd’hui. Même qu’il s’agirait plutôt d’une tare, d’un terme péjoratif qu’on attribue à de pauvres cons manipulés.

Comme si l’humain voulait finalement renier tout ce qu’il est, ce qui le fait avancer.

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Mettre les choses en perspective, c’est ne pas s’incliner stupidement devant le stars and stripes, constater que bien des actes héroïques cachent de machiavéliques desseins, que derrière le programme spatial américain s’esquisse une idée de domination d’un espace où tout est encore à faire. Des relents de colonisation, quoi.

Mais c’est aussi accepter cette pulsion de découvreur qui habite l’humain, qui ne nous quittera jamais.

C’est regarder les étoiles avec l’innocence des enfants de ces astronautes qui observeront à jamais la voûte céleste en pensant à leur père ou à leur mère, en songeant que leur courage leur a coûté la vie. Une vie consacrée à l’avancement de la race humaine, à la découverte, et non pas à la destruction.

C’est constater que toute conquête ne porte pas nécessairement l’empreinte du mal.