Y avait-il, début avril, lors du débat des chefs, de quoi perdre contact avec la tragédie qui s’étire au fond du Moyen-Orient?
Après un départ bien banal, Jean Charest attaque:
"L’Amérique du Nord a connu 10 années de croissance économique… Comment on s’en est tirés, au Québec? On a toujours un taux de chômage plus élevé que la moyenne canadienne. Les Québécois sont les citoyens les plus taxés en Amérique du Nord… On a l’État qui coûte le plus cher sur le continent…" Bang!
"Monsieur Landry n’a rien fait pour éviter le pire désastre financier de l’histoire du Québec: des pertes de 13 milliards $ en deux ans à la Caisse de dépôt. C’est l’équivalent du salaire de 26 000 infirmières pendant 10 ans. C’est 7 500 $ par famille de quatre personnes au Québec. C’est votre argent qui a été perdu." Re-bang!
"Le gouvernement péquiste a créé 60 nouvelles sociétés d’État entre 1995 et 2001…" Re-re-bang!
Après cette tirade, Bernard Landry est dans les câbles, essoufflé, sonné, son lutrin s’affaisse même sous le poids de sa fonction.
Un p’tit coup de système de santé, une dose de vote ethnique à la sauce au thermidor Parizeau, et ciel! Le chef libéral soutire même l’aveu d’un agenda caché pour un nouveau référendum… Charest triomphe.
Groggy, le premier ministre se perdra ensuite dans les kilowatts du projet hydroélectrique de l’ADQ, projet dont personne n’a jamais entendu parler. Fin de partie… Quoi? Qui? Mario Dumont… où ça?
Si le manichéisme de Jean Charest a irrité de fins esprits qui se sont ensuite empressés de rappeler que la chute des cours de la Bourse fut une irrésistible tendance mondiale, il aura forcé un premier ministre stupéfait à défendre sur-le-champ le bilan d’un gouvernement qui règne sans partage depuis une décennie sur le Québec. Voici un des rares moments où les Québécois ont eu quelque chose à se mettre sous la dent dans cette très courte campagne électorale opportunément déclenchée dans une rare période de satisfaction à l’égard du PQ.
N’oublions pas non plus que ces questions, aussi simplistes qu’on puisse les croire, sont celles que pose la population. Un amateur de bingo comme monsieur Landry n’est d’ailleurs pas sans le savoir.
Aussi a-t-il senti ensuite la nécessité de multiplier les conférences de presse afin de répliquer sur le tard, tandis que quelqu’un quelque part devait bien discuter avec le citoyen Parizeau de la meilleure manière de s’éclipser en douce.
Damage control, pas de vagues… retournez sur CNN, les enfants…
Entre-temps, une oreille sensible aura pu entendre Bernard Landry invoquer le non-interventionnisme de son gouvernement dans les affaires de la Caisse de dépôt pour se laver les mains de son krach.
Non-interventionnisme!? Faites-moi rire. Si la Caisse de dépôt, encouragée par le gouvernement, a financé l’acquisition de Vidéotron par Quebecor à même le bas de laine des Québécois, c’est strictement pour des raisons politiques: empêcher la télé câblée de prendre le chemin des Prairies dans un camion de la Brink’s.
Comment le premier ministre a-t-il pu imaginer qu’il créerait quelques mois plus tard une première: subventionner la mise à pied d’employés afin de permettre à Quebecor de combler une partie de ses pertes en trayant à fond sa nouvelle vache à lait. Bravo pour le projet de société.
Qu’on m’explique aussi comment le PM, qui règne en roi et maître sur les finances du Québec depuis la nuit des temps, n’a pu trouver le moyen de s’intéresser aux dépenses excentriques engagées par la Caisse en période de graves pertes financières, dans ce nouvel édifice high-tech dont mon collègue Martineau vous a fait faire une délirante visite virtuelle dans une de ses chroniques.
Choisir d’invoquer maintenant la nouvelle imputabilité des dirigeants de la Caisse pour balayer son déficit sous le tapis, c’est comme invoquer le dernier mandat des libéraux pour expliquer les 9 % de chômage dans la région de Montréal: trop peu, trop tard…
Ce soir-là, Jean Charest se faisait aussi l’écho de millions de Québécois lorsqu’il questionnait les ratés d’un système de santé en partie sacrifié à la lutte au déficit. Quelqu’un pourra-t-il nous dire si espérer ne pas poireauter dans une urgence durant deux jours est une ambition au-dessus de nos moyens collectifs? Nous dire si le vertueux socialisme de pacotille dans lequel se drape le gouvernement est encore de mise face à la hausse des coûts des services? Si la course à la médecine privée ouvrira réellement toutes grandes les portes du favoritisme et favorisera l’exclusion, en me permettant de passer devant la file avec un bill de cent entre les dents? C’est un fait: le système de santé actuel est décrié par tous ceux qui y sont en première ligne: infirmiers, médecins. Et nous sommes bien obligés de croire que tous ces gens ne cherchent pas simplement à satisfaire les intérêts de leurs ordres professionnels.
Comme ses prédécesseurs depuis Trudeau, le 3 avril, Charest jouait de l’indépendance comme d’un péril en la demeure. C’était pourtant bien inutile… Mise et remise en veilleuse par ses promoteurs jusqu’à passer pour une lubie de gens du troisième âge à l’ère de la mondialisation, diluée dans les tergiversations d’étapistes-espions comme un dentier dans un verre d’eau, l’option a tellement été brocardée au rythme des sondages qu’on est surpris d’entendre les mêmes en parler encore sans se garder comme une petite gêne.
Y a-t-il dans ces dérives matière à rejeter le parti québécois ou son chef ?
À l’issue de ce débat, certains électeurs ont, paraît-il, finalement découvert en Jean Charest l’étoffe d’un premier ministre. Arriverait-il à se défaire de cette aura de paresse et d’opportunisme qui l’entoure, le problème, resterait son entourage sorti tout droit du jurassique : Les Margaret Delisle, Pierre Paradis et Raymond Garneau qui évoquent plutôt des réminiscences de Robert Bourassa que l’évolution du Québec d’aujourd’hui, forcément plus identitaire que ne le prônent les tenants du cours d’anglais dès les premières classes primaires…
Passons sur l’ADQ, non sans apprécier au passage l’ironie ressentie lorsque j’ai appris que le programme santé d’un parti qui prône un paisible statu quo sur la question nationale puisse être considéré comme illégal par Ottawa…
Restent les tiers partis: UFP, le Parti vert… j’oserais dire l’ADQ presque sans rire… Un vote perdu? Pas pour toujours, pas pour tout le monde! Ce serait une assez bonne manière de réveiller ceux qui se pètent les bretelles sur les sièges de l’Assemblée nationale entre deux élections… Réaliste, j’imagine une sorte de gouvernement minoritaire, consensuel… Deux-trois sièges pour de nouveaux partis, la balance du pouvoir aux libéraux. Ce serait une sorte de 2 pour 1… 2 pour 1? Mon Dieu, ne nous souhaitons pas de malheur!