Nous avons perdu. Presque tout perdu. Il n’y a plus de morue dans le golfe du Saint-Laurent et les bateaux s’enlisent dans la boue des battures comme autant d’orphelins qu’on fait passer pour fous pour pouvoir les enfermer. Bientôt, il n’y aura plus d’arbres à bûcher ni de rivière assez vivante ou assez propre pour s’y baigner. Notre arrière-pays se videra de toute vie, sa jeunesse partie s’urbaniser sans peine et sans remords.
Nous nous sommes égarés, quelque part entre 1980 et les festivités du Year 2K. Les rares petits que nous avons engendrés, nous les avons parqués dans des crèches à cinq piastres, et nous laissons nos vieux pourrir dans des mouroirs trop souvent gérés par des avares intéressés.
Pendant que les boutiques ayant pignon sur rue, l’épicerie du coin et la quincaillerie du quartier fermaient les unes après les autres au profit des avaleurs géants pour la plupart états-uniens, nous nous sommes engraissés au Big Mac et à la chansonnette adolescente.
Depuis 20 ans, nous nous complaisons dans la futilité, nous chérissons des stars patentées et nous faisons de nos humoristes nos maîtres à penser. Nous nous contentons du peu qu’on nous offre, de la violence à la télé, de notre Celine américaine, des gratteux d’Escroc-Québec, de la niaiserie publicitaire, de notre état de sous-peuple et des recettes de Maman Dion.
Nous n’avons rien acquis, rien préservé. Oui, nous avons manifesté contre la guerre en Irak, sortie sans risque qui ne coûtait rien et qui a pour un temps réchauffé notre ego. À quand une caravane vers Washington pour aller crier à Bush que nous ne voulons pas de sa démocratie? Et si nous allions bloquer le poste-frontière de Lacolle demain matin? Des plans pour se faire écraser par tous ces camionneurs québécois qui arborent depuis trois semaines le drapeau yankee à leur miroir.
Le Québec français est un soubresaut de l’histoire, un hoquet qui se résorbera bientôt. Devant l’inévitable érosion de notre population, confirmée recensement après recensement, nous devrons faire le deuil de notre indépendance. Nous n’aurons jamais de siège aux Nations unies. Pour ce que nous aurions à y dire…
Nos jeunes terminent leurs études secondaires sans savoir ce qui s’est passé d’important au Québec en 1980. C’était il y a à peine 20 ans. Pourquoi personne ne leur a parlé des rêves que nous avions de bâtir un pays libre et fier, capable de dire ce qu’il veut… et ce qu’il refuse? Un pays qui allait garantir à son peuple la paix, la justice et la fierté d’être au monde.
Avec Jean, Bernard et Mario, qui ont tous les trois contracté une dette auprès de la haute finance, et surtout avec la très grande majorité de Québécois qui leur a accordé son appui lors de la dernière élection, il ne nous reste plus beaucoup de place pour l’espoir. Avec 1,6 % des voix, la gauche ressemble davantage à un club social où tout le monde se connaît qu’à un parti politique d’envergure nationale.
Nous devons avoir la force de caractère de nous convaincre que la vie est ailleurs, dans les petites actions et les bonheurs modestes, et que rien ne nous permet de croire que cela puisse changer dans un avenir prévisible.