Je suis de la génération qui a connu à la fin des années 60 et au début des années 70 la chasse féroce que menait encore la Gendarmerie royale du Canada dans la fonction publique fédérale afin d’en débusquer les homos qui représentaient supposément une menace pour la sécurité nationale.
Je n’ai donc été nullement surpris en 1973 lorsque j’entrepris de vivre ouvertement une vie homosexuelle d’être aussitôt confronté, comme tous ceux qui avaient franchi ce pas avant moi, à l’homophobie hétérosexuelle qui opérait encore à l’époque avec les ô combien puissants vestiges de sa furie. Mais comme justement j’avais pris le temps de bien m’y préparer, j’ai su me défendre avec brio de tous les coups bas qu’elle m’asséna.
À la violence j’ai répondu par la violence et j’ai fait saigner quelques nez, et aux banals quolibets que j’avais appréhendés j’ai tout de suite pu lancer du tac au tac des invectives tellement plus blessantes qu’elles ont fait à tout coup battre en retraite mes lâches bourreaux. Enfin, quand j’ai dû faire face à l’ostracisme des miens, je leur ai tout simplement tourné le dos à mon tour. Aujourd’hui, quand on me demande si j’ai de la famille, je réponds qu’ils sont tous morts même si ma mère ainsi que tous mes frères et ma soeur vivent toujours.
Je me compte bien chanceux, par rapport à beaucoup de mes semblables, d’être sorti malgré tout relativement indemne de ces dures épreuves. Ma nature extrêmement résiliante ainsi que la détermination inébranlable à ne pas me laisser abattre ont été les deux facteurs qui m’ont soutenu dans ma résolution.
Dans mon cas, je ne m’en cache pas, l’homosexualité a été à la mi-vingtaine un choix délibéré que j’ai fait parce que je n’arrivais plus à souscrire aux valeurs de la masse hétérosexuelle. La liberté de vivre mes rapports aussi bien sexuels qu’amoureux comme je l’entendais en faisant fi des conventions sociales et de demeurer absolument libre de mon intimité sans user des mensonges et subterfuges qui sont le lot de l’hétérosexualité m’étaient devenues à ce moment-là des conditions essentielles pour continuer de vivre ma vie pleinement en paix avec moi-même.
Il n’est donc pas surprenant que je regarde d’un très mauvais oeil la voie qu’a pris le lobby gai au cours des dernières années. De l’avoir vu réclamer avec autant d’ardeur notre droit d’adhérer aux modes hétérosexuelles en exigeant tout d’abord la reconnaissance des conjoints de même sexe et maintenant le mariage me donne depuis 10 ans froid dans le dos et, au contraire de ce qu’on peut lire dans la presse gaie, j’y vois là non pas la victoire qu’on prétend mais une horrible défaite aux mains de l’homophobie.
N’étant pas arrivée par la force et l’intimidation à nous éliminer, elle est facilement parvenue, à la suite de l’effondrement de l’aile de gauche de notre mouvement, à s’immiscer insidieusement au lieu dans le discours de nos nouveaux leaders. De centre-droite, il aura fallu peu de temps pour que ceux-ci mettent au rancart nos revendications à la différence et de l’avant les vertus hétérosexuelles qui, de toute évidence selon eux, sont supérieures à toutes les autres et donc, dans cette logique autarcique, les seules auxquelles il faille aspirer. Jalouse de notre libertinage bon vivant, l’homophobie a ainsi habilement réussi, pour se venger, à nous enfermer dans le même enfer de tromperies matrimoniales et de litiges conjugaux qu’elle.
Malheureusement, devant l’enthousiasme de plusieurs de mes semblables et les victoires juridiques qui ont déjà été enregistrées, je ne peux faire autrement que de constater l’inévitable et avoir hâte que cette désastreuse bataille menée par notre leadership gai soit du passé. Son obsession du mariage a depuis trop d’années déjà fait dérailler un combat autrement important: celui qu’il nous faut reprendre le plus vite possible pour contrer la haine homophobe qui tous les jours encore tue, harcèle et humilie. Je ne suis toujours pas convaincu que notre assimilation à l’hétérosexualité sera garante de notre intégrité physique et psychologique. Mes expériences antérieures ne m’auront que trop démontré combien l’homophobie peut être traîtresse. J’espère me tromper évidemment, parce que si c’est le cas, le sacrifice immense que nous nous apprêtons à faire d’ici deux ans en aura à ce moment valu le coup.
Sir Robert Gray a publié à l’automne dernier Louis Mountbatten, une biographie intime et publiera cet automne L’Amour chez les animaux, recueil de fables illustrées, tous les deux aux Éditions de l’Effet pourpre.