Le lieu commun est une censure de la pensée. Répété tel un mantra, il se répand, devient dogme et esquive la pensée critique. Un lieu commun très tenace et répandu au Québec, invoqué dans la dernière chronique de M. Richard Martineau intitulée "Un sourire qui glace le sang", veut que la pauvreté engendre le terrorisme. Non content de paralyser la réflexion critique sur la nature du terrorisme, ce lieu commun suscite une sympathie indue pour des assassins de masse.
Si M. Martineau et ses semblables se gargarisent de tels lieux communs ad nauseam, il n’en demeure pas moins que ce ne sont ni les habitants de l’Afrique noire, ni les Latino-Américains – dont la grande majorité vit dans la plus abjecte misère – qui se font sauter et assassinent dans nos avions, aéroports et discothèques. Plutôt que de jouer les vierges offensées clouant au pilori les "perfides Américains" et de miroiter comme les amis des opprimés, voire les opprimés – que de relents du catholicisme ringard et du marxisme tiers-mondiste dont nous nous croyions affranchis! -, nous aurions avantage à reconnaître qu’une idéologie misanthrope sévit dans les pays musulmans, que cette idéologie se nomme islamisme et que ses premières victimes sont les musulmans eux-mêmes, ceux-là qui, paradoxalement, s’ôteraient la vie par désespoir, toujours selon le lieu commun établi.
Le lieu commun censure la pensée et prive de tout interlocuteur occidental un journaliste comme le Tunisien Al-‘Afif Al-Akhdar, par exemple, limogé du quotidien saoudien publié à Londres Al-Hayat pour avoir qualifié, sur les ondes d’Al-Jazeera, de barbares les amputations prescrites par la "loi" saoudienne. Pour Al-‘Afif Al-Akhdar et tant d’autres intellectuels arabes censurés, voire emprisonnés par les despotes arabes et musulmans, il est évident que l’idéologie islamiste est née du déclin intellectuel, économique et culturel des pays islamiques livrés depuis la décolonisation à de cruels despotes; l’islamisme se nourrit de l’échec de la justice et des réformes démocratiques tout comme de l’obsession anti-israélienne et judéophobe de la Ligue arabe qui servit de ciment à une autre idéologie révolue, mais tout aussi catastrophique pour les peuples du Moyen-Orient: le nassérisme. Les raisons de ce déclin sont certes plurielles mais partagent avant tout le fait que les régimes arabes et islamiques n’ont su réconcilier de la tradition et de la modernité que leurs pires incarnations. De la tradition, ils n’extirpent que l’obscurantisme, et de la modernité, que la répression de l’État. Au service du lieu commun, les "spécialistes" du Moyen-Orient de nos médias, les organismes arabo-musulmans ou les ONG n’adresseraient jamais ces mots d’Al-Akhdar aux despotes arabes: "Nous savons que votre culture religieuse obscurantiste constitue un terrible obstacle entravant la transition à une société moins fermée, moins oppressive et moins hostile à l’égard de l’individu, de la femme, du non-musulman, de la raison, de la modernité, de la vie elle-même."
Projeter son impotent complexe de culpabilité de bien nanti du monde industrialisé n’est qu’un exercice de vanité qui soulage peut-être celui qui se répand en âneries larmoyantes mais n’améliore pas le sort des pays pauvres, ni ne désarme les terroristes islamistes qui se soucient de justice et de prospérité comme d’une queue de cerise. Leurs actions auraient dû nous en convaincre depuis longtemps… Les musulmans épris de liberté, pour leur part, ne s’y trompent pas.