Grandes gueules

L’opportuniste

Le 18 septembre dernier, George W. Bush a senti qu’il était allé trop loin. Un sondage du Washington Post démontrait que, grâce à ses déclarations, 70 % des Américains croyaient que c’était Saddam Hussein, et non Oussama Ben Laden, qui était responsable des événements du 11 septembre. La presse exigeant des preuves tangibles de ces affirmations, il a alors ordonné à ses hommes de main de faire marche arrière. Lorsqu’on a demandé à Donald Rumsfeld s’il y avait un lien entre Saddam et le 11 septembre, il a répondu: "Je n’ai trouvé aucun indice qui me laisserait croire cela." Bush a emboîté le pas: "Nous ne détenons aucune preuve que Saddam Hussein ait été impliqué dans le 11 septembre." "Nous n’avons jamais prétendu que Saddam Hussein (…) était impliqué dans les événements du 11 septembre", a affirmé Condoleezza Rice.

Après qu’il eut admis qu’il n’y avait pas vraiment de liens entre Saddam et le 11 septembre, la cote de confiance accordée à Bush sur ABC News a chuté de 58 % à 47 % en un mois. La vérité n’a pas bien passé.

Le 10 octobre, sans offrir l’ombre d’une nouvelle preuve, Dick Cheney a donc changé son fusil d’épaule et affirmé à nouveau qu’il existait un lien entre les événements du 11 septembre et l’Operation Iraqi Freedom. "L’Irak est devenu le front principal de la guerre contre la terreur. Notre mission en Irak fait partie d’une mission plus vaste dans laquelle les États-Unis se sont engagés il y a plus de deux ans. Le 11 septembre 2001 a tout changé pour ce pays."

Et même si aucune trace d’armes de destruction massive n’a été trouvée en Irak, Cheney est revenu sur cet argument favori de la Maison-Blanche: "Nous ne pouvions accepter que Saddam Hussein et ses alliés terroristes tournent leurs armes de destruction massive contre nous et nos amis et alliés." Saddam = terrorisme = 11 septembre, mais en pire.

Selon l’Organisation internationale du Travail de l’ONU, les Américains travaillent plus d’heures que dans n’importe quel pays industrialisé. Le gourou de la télé de la Maison-Blanche, Greg Jenkins, affirme que "les Américains mènent des vies actives et n’ont parfois pas la chance de lire un article ou d’écouter un bulletin de nouvelles au complet". Les gens n’ont pas de temps à consacrer aux faits, encore moins aux nuances. On comprendra que le gouvernement américain en profite…

Les apôtres de Bush exploitent le peu de temps dont dispose l’Américain moyen pour tarabiscoter des liens fictifs entre l’Irak et le 11 septembre. Disséquons le principal argument de Cheney: "Nous ne pouvions accepter que Saddam Hussein et ses alliés terroristes tournent leurs armes de destruction massive contre nous et nos amis et alliés."

Le "danger", selon le vice-président, venait de Saddam et de ses "alliés terroristes". Mais Saddam n’avait pas d’armes de destruction massive. Restent donc les "alliés terroristes" de Saddam.

Voici où la "déconnexion" devient intéressante. Depuis le 11 septembre, chez les Américains, le mot "terroriste" évoque Oussama Ben Laden et Al-Qaeda. Mais lorsque les employés de Bush parlent des liens qu’entretient Saddam avec le "terrorisme", ils font référence à autre chose: le Hamas, le Hezbollah et le Jihad islamique, les groupes palestiniens qui luttent contre l’occupation israélienne. Rumsfeld affirme: "Nous savons qu’il donnait 25 000 $ par famille à quiconque voulait tuer des hommes, des femmes et des enfants innocents." (En passant, cette allégation, quoique souvent citée, n’a pas encore été attribuée à quiconque ou corroborée par un journaliste réputé.) Comme d’habitude, la manipulation se situe dans ce qu’ils ne disent pas: Rumsfeld veut que vous pensiez que ces paiements ont été remis à Al-Qaeda pour les encourager à faire exploser d’innocents Américains, possiblement le 11 septembre. En fait, les cibles du Hamas, du Hezbollah et du Jihad islamique sont israéliennes.

Bon nombre d’Américains appuient Israël, mais très peu d’entre eux enverraient des troupes américaines se battre dans la guerre d’Ariel Sharon contre les Palestiniens.

Les arguments des Bushies ne se tiennent jamais lorsqu’on les analyse de près. À présent, Condi Rice fait marche arrière sur sa propre marche arrière: Saddam devait partir, dit-elle, car il était un danger dans "une région d’où la menace du 11 septembre a émergé". La culpabilité par proximité géographique est, évidemment, suffisante pour justifier des bombardements intensifs. Israël se trouve également au Moyen-Orient. Devrions-nous attaquer là aussi?

Le 18 septembre, Bush a cru qu’il serait bien de dire la vérité: que Saddam Hussein n’a jamais été une menace pour les États-Unis. Moins d’un mois plus tard, le 9 octobre, après une importante baisse, sa cote de popularité a remonté en flèche lorsqu’il a fait marche arrière. "Je n’allais pas laisser la sécurité du peuple américain entre les mains d’un fou", a-t-il dit.

Elle est déjà entre les mains d’un opportuniste.