Le mois dernier, je suis retournée à l’école. J’ai parcouru le Québec de bord en bord comme porte-parole de la Semaine québécoise des arts et de la culture à l’école. J’ai déjeuné à Chicoutimi, lunché à Amos et soupé à Hull. Onze villes en six jours pour prêcher la bonne nouvelle: l’art à l’école, c’est important.
Et qu’est-ce que j’ai vu? Le meilleur et le pire.
J’ai vu des tonnes d’élèves passionnés, de professeurs allumés, de directeurs branchés. Et j’ai même vu au ministère de l’Éducation et au ministère de la Culture ce que je pensais être un oxymoron: des fonctionnaires motivés.
J’ai entendu des élèves de Québec jouer du jazz comme des pros, une centaine d’enfants de Louiseville chanter des chansons russes avec un sourire aux lèvres, des élèves de Rimouski me présenter fièrement leurs marionnettes qui serviront à une pièce du Théâtre du Bic, une ado discuter des mérites respectifs de Michel-Ange et de Léonard de Vinci et une petite fille de Baie-Comeau m’expliquer le plus sérieusement du monde son dessin de la planète aux bonbons (où elle aimerait bien vivre).
Quand on peut exprimer ses joies et ses peines dans des dessins, quand on peut sortir son trop-plein d’énergie dans une pièce de théâtre, quand on peut coucher ses angoisses sur papier, ça donne des élèves très différents de ceux que nous ont donné à voir les journaux ces dernières semaines. Une orthophoniste de Mascouche m’expliquait que depuis que son école avait un professeur permanent d’arts plastiques, le comportement des enfants qu’elle recevait en consultation avait changé du tout au tout. Ils arrivaient enfin à exprimer ce qui autrement restait prisonnier à l’intérieur.
Bon, ça c’était le meilleur. Mais j’ai aussi vu le pire.
J’ai vu des bibliothèques scolaires dont les rayons sont aussi dégarnis que ceux d’un supermarché sous le régime communiste. Les élèves de ces écoles-là peuvent sûrement se réjouir en se disant que l’argent économisé sur leur dos servira peut-être à payer les banquettes de la Grande Bibliothèque de Lise Bissonnette sur lesquelles ils ne s’assoiront jamais puisqu’elle est à Montréal et eux à Rimouski.
J’ai vu un directeur d’école qui offre à ses élèves le Ciné-midi: c’est une bonne idée, un film à l’heure du lunch. Sauf que le jour de mon passage, on présentait Dickie Roberts : ex-enfant star, un des plus grands navets du cinéma américain (un critique a déjà dit que regarder ce film, c’était comme regarder couler le Titanic: on se sent impuissant et on a de la peine pour ceux qui se noient devant nos yeux). Je ne dis pas de programmer les œuvres complètes de Pierre Perrault en leur servant des tranches de céleri, mais si les enfants ont accès à 250 chaînes de niaiseries à la maison, est-il vraiment nécessaire de leur montrer d’autres niaiseries quand ils sont à l’école?
J’ai demandé à des élèves du secondaire de me nommer des auteurs québécois. Ils m’ont répondu: Danielle Steel. Je leur ai alors demandé s’ils connaissaient Michel Tremblay. Michel qui? Ils n’avaient jamais entendu parler de l’auteur des Belles-sœurs et des Chroniques du Plateau Mont-Royal. Au secondaire! Quand j’étais jeune, nos professeurs n’en avaient que pour la culture française. Aujourd’hui, il n’y en a que pour la culture américaine. On est passé d’une acculturation à une autre. Entre les deux, la culture québécoise a complètement manqué le bateau.
Après six jours à sillonner la province, en avion et en minivan, j’ai compris une vérité toute simple: l’école est à l’image de la société où elle se trouve. La culture, il y a ceux qui s’en foutent comme de leur premier CD de Britney Spears, et il y a ceux que ça passionne. Et, surtout, il y a des parents qui s’intéressent au développement artistique de leur enfant, et il y a ceux qui se disent que ce n’est pas de leur ressort et que, de toute façon, l’école est là pour ça. Pour le meilleur et pour le pire.
J’ai surtout compris que, comme société, si on ne croit pas sincèrement que l’art est essentiel au développement des enfants, si on n’est pas tous convaincus que les cours de théâtre sont aussi importants que les cours de chimie, les prochaines générations ne produiront peut-être plus de Robert Lepage, d’Ariane Moffatt, de Denis Villeneuve ou de Marie Chouinard. Et on lira tous du Danielle Steel.