Grandes gueules

Langue de bois

Stephen Harper ne se soucie guère du français chez Air Canada? Tiens donc! Se rapproche-t-il soudainement de l’équipe Martin?

De son vivant, Pierre Elliott Trudeau disait du Canada qu’il était un pays où chaque citoyenne et citoyen pouvait s’épanouir en français et en anglais, langues officielles selon la Constitution. Vision noble, certes. Néanmoins, très vite les francophones ont frappé un mur.

Que des Canadiens et des Québécois soient unilingues chacun de leur côté, somme toute cela ne me scandalise pas. Au XXIe siècle, tout le monde devrait être bilingue, et même trilingue, mais tout un chacun dans son éducation se donne des priorités – l’apprentissage des langues devrait selon moi en être une, mais bon, c’est discutable! Par contre, j’ai été scandalisé le 20 juillet lors de l’assermentation de Paul Martin et de son équipe. Hormis Bill Graham, nouveau ministre de la Défense (notez que le précédent titulaire de ce poste, David Pratt, était unilingue anglophone) et quelques autres, les plus importants ministres hors Québec sont unilingues anglophones, ou du moins ne peuvent répondre en français aux questions du public. En tête: le Grand Banquier, Ralph Goodale. L’auteur du prochain budget du gouvernement fédéral ne peut même pas expliquer dans la deuxième plus importante langue canadienne ce qu’il compte faire des deniers publics, et pourquoi. Ni nous dire s’il nous en reste encore et, surtout, ce qu’il prévoit faire pour récupérer – s’il y tient, mais j’en doute! – "l’argent souillé" du scandale des commandites. Que ferions-nous, francophones ou anglophones, si notre banquier ne pouvait préciser clairement dans notre langue comment il compte administrer notre argent?…

Ottawa exige de ses fonctionnaires qu’ils soient bilingues. Certains doivent passer des tests d’aptitude pour prouver le fait. Exigence normale: le public a le droit d’être informé, dans les deux langues officielles, des différentes politiques ministérielles. Mais qui les lui transmet plus souvent qu’à son tour? Les membres du cabinet. Or, le bilinguisme n’est pas, force est de l’admettre, une condition sine qua non de leur "embauche". Allez y comprendre quelque chose! Imaginez le bâtonnier du Québec ignorant ce qu’est le Code civil…

M. Goodale n’est pas le seul membre unilingue anglophone du Saint des Saints canadien. Reg Alcock, président du Conseil du Trésor, l’est également. Son site Internet personnel, www.reg-alcock.ca, tout comme celui de M. Goodale, www.ralphgoodale.ca, n’a pas de version française. D’autres ministres d’importance n’échappent pas à cette "négligence": Anne McLellan (www.annemclellan.com), vice-première ministre; Toni Valeri (www.tonyvaleri.ca), leader parlementaire appelé à négocier avec le Bloc québécois; Scott Brison (www.brison.ca), nouveau ministre des Travaux publics, sommé pour sa part de prouver au Québec que "l’argent sale" n’est pas dans les coffres de son parti; enfin, Ujjal Dosanjh (www.ujjaldosangh.ca), ministre de la Santé. Apparaissent par contre sur la page d’accueil de celui-ci des liens "Chinese" et "Penjabi". Rien cependant pour ses compatriotes francophones à qui M. Dosanjh devra rappeler que la santé est la priorité de son gouvernement.

Ce Parti libéral, qui se prétend défenseur du bilinguisme officiel, ne peut discuter dans la langue officielle du Québec de l’état de santé du pays. Incroyable! Des artistes comme Peter Gabriel, Mick Jagger, Jodie Foster, Sigourney Weaver, etc., ainsi que des leaders d’opinion, tels que Kofi Annan, Romano Prodi (président italien), Jean-Paul II et Madeleine Albright, s’expriment publiquement en français, sans texte en main. Et tous et toutes n’ont rien à voir avec le Canada, pays officiellement bilingue.