Grandes gueules

L’amour est mort

Lorsque j’ai appris le départ des Expos, j’ai pensé à mon père, décédé depuis 22 ans. J’ai pensé à lui, car il aimait passionnément le baseball, mais surtout parce que c’est ce sport qui nous a rapprochés durant les dernières années de sa vie.

J’étais une amatrice de hockey depuis mon enfance, mais je n’embarquais pas avec le baseball. Puis, en écoutant mon père me décrire les bons jeux et en le voyant si emballé, j’y ai pris goût, j’ai attrapé "la fièvre", comme disait le fameux slogan du début des années 80. Fille unique et cadette d’une famille de quatre, c’est moi qui écoutais le plus souvent les matchs avec lui à la télévision et qui l’accompagnais au Stade olympique, même que, souvent, c’est moi qui lui demandais d’y aller! J’ai assisté avec lui à plusieurs parties durant les années de gloire, de 1979 à 1981, et au Match des étoiles à Montréal en 1982. J’étais au stade au début de la saison de 1982 lorsque le drapeau de championnat de la saison écourtée par la grève de 1981 a été hissé. Et je n’oublierai jamais les matchs de fin de saison fébriles de 1980 où l’équipe est venue à un cheveu, ou plutôt à un releveur de qualité, de remporter le championnat de la division. Quels joueurs nous avions à ce moment! Qui peut oublier les exploits, entre autres, de Tim Raines, Gary Carter, André Dawson et Bill Gullickson? Et que dire de l’atmosphère incroyable qui régnait au stade! Il y avait une telle ardeur durant la partie, et au retour dans le métro, alors que des foules immenses de plus de 40 000 personnes partageaient le même espoir, la même exaltation, le même délire. Il n’y avait pas de barrières linguistiques ou politiques, tous étaient unis par le sport. Mon père a été diagnostiqué du cancer au cours de l’été 1982. Durant son séjour à l’hôpital, pendant les périodes où il était seul, les matchs des Expos lui ont changé les idées. Lorsque mes oncles venaient lui rendre visite, ils pestaient ensemble contre Larry Parrish, Steve Rogers et Stan Bahnsen, et ils vantaient Bill Gullickson et Tim Raines. Le temps que je passais avec lui, quand il y avait un creux dans la conversation ou que j’étais incapable de parler de sa maladie ou de sa mort imminente, on parlait de "nos amours".

Après la mort de mon père, j’ai continué, par périodes, d’être une fan et d’assister aux matchs des Expos à Montréal. Puis, comme beaucoup d’amateurs, en raison de la piètre performance de l’équipe, de la perte de beaucoup de joueurs-vedettes et du manque de visibilité du club dans les médias, j’ai perdu le goût, la fièvre est partie.

L’histoire des Expos de Montréal ressemble à une histoire d’amour. Au début de leur existence, on était tellement heureux de les avoir à Montréal que le simple fait d’assister à un match au Parc Jarry était suffisant, on n’en demandait pas plus. Puis, comme en amour, avec le temps, on est devenus de plus en plus exigeants. On a vécu des moments de grande exaltation et des moments de déception. Et puis, l’amour est mort.