Grandes gueules

Salon du vivre

La conjonction du Salon du livre et du congrès du Parti libéral du Québec, avec ses manifestations étudiantes, nous a poussés à publier cette semaine trois extraits du récit Album de finissants, de Mathieu Arsenault.

Je voudrais tant oh tant demeurer une enfant et faire l’amour pareil trois fois par semaine et faire du bénévolat pour mon organisme non gouvernemental c’est quand même la grosse connerie de nous faire croire que mettre un veston cravate et bien parler c’est être responsable politiquement je vais catapulter des toutous sur l’escouade anti-émeute je vais jouer à l’école avec mes bonhommes dans ma grève de la faim pour les réfugiés algériens qu’on expulse pour te prouver qu’il y a encore des enfants enragés capables de te faire trembler derrière les petits rideaux de ton petit bureau un après-midi de temps fais tes backups de documents barre tes dossiers dans ton casier empaquette tes photos de famille dans ta petite valise parce qu’on s’en vient au centre-ville avec nos bâtons de baseball fluo et nos barres à clous des Pokémon pas de quartier pas de question on frappe à seize ans comme on frappe à six ans c’est-à-dire cruellement sur nos petits camarades donne-moi ta poupée donne-moi ton camion donne-moi ton régime politique pourri c’est pour longtemps quand on s’enferme dans notre tristesse de rien avoir de rien demander de rien vouloir sinon tout saccager tout détruire comme une grande question posée aux grands.

LA PUTE DU SAVOIR

Non l’école n’est pas une prison c’est encore pire c’est un système de classement où ceux qui se soumettent le mieux sont appelés à poursuivre alors j’ai décidé de me soumettre jusqu’à l’obscénité je suis en feu juste à l’idée de montrer mon cul de par cœur au premier venu de me passer un doigt de matière à examen sur le bureau du prof et de sucer la grammaire jusqu’à ce qu’elle vienne au participe conditionnel de l’imparfait du subjonctif à toutes les personnes dans toutes les positions inondée de notes laiteuses et de moyenne brûlante je me glisse nue dans le système de classement pour qu’on m’évalue comme je suis la pute des putes du savoir absolu qui a une vie sociale seulement pour conserver le meilleur équilibre psychoaffectif nécessaire à être bien dans ma peau de chienne soumise à la performance pure je ne suis pas une machine je suis la belle discipline qui m’a manqué ma propre prof mon propre père ne vois-tu pas que je brûle ne vois-tu pas que tout brûle lentement autour d’ici sur leur chaise à leur bureau des enfants qui se dévorent eux-mêmes de l’intérieur et qu’il neige de la cendre de notes et de la pluie grise de moyenne générale.

LA PRISON DE LA VIE (AU MAIRE DE HUNTINGDON)

On rentre dans le tas pas de prisonnier pas de malheureux tout le monde danse tout le monde sourit dans les salles de cours de toutes ses dents de tous ses parents qui rentrent leurs enfants et qui barrent les portes dès que le soleil se couche mais il n’y a pas besoin car nous sommes déjà à l’intérieur bien installés dans nos devoirs à écrire des belles choses sur les lignes de la feuille d’exercice on se garde enfermés dans l’école dans la maison dans la famille toujours en dedans le soleil dessiné les lapins qui gambadent sur les murs de béton pendant que la radio joue notre chanson il faudrait donner le pouvoir aux enfants ma prison est la plus belle on l’appelle la maternelle le primaire le secondaire le cégep l’université le monde du travail le grand corridor est mon préféré parce qu’il sent bon et les gardiens sont contents ils nous donnent des collants drôles et des bonbons en forme de pourcent quand on est gentil alors moi je flatte toujours les bonnes mains, je suis ponctuel, je ne mâche pas de gomme à l’école et je dénonce toujours mes camarades et je me rends à mon initiative chez le directeur pour lui dire que j’ai violé des enfants, mes enfants intérieurs.

Album de finissants, de Mathieu Arsenault, Montréal, Triptyque, 2004, 142 p. (dédié aux militants de la CLAC)