Lettre ouverte à monsieur Jean Charest, premier ministre du Québec
À l’approche de Noël, comme bien d’autres politiciens, vous irez servir de la soupe ou donner des sacs de nourriture aux démunis. Pendant ce temps, votre gouvernement s’apprête à voter une nouvelle réforme de l’aide sociale qui maintiendra ou empirera la situation de pauvreté des personnes qui survivent grâce à celle-ci.
Le projet de loi 57, cyniquement intitulé Loi sur l’aide aux familles et aux personnes seules, contient une série de mesures négatives. Comme aide, on a vu mieux. Ce n’est pas une première, mais cela demeure inacceptable.
Pour les personnes seules et aptes au travail, la pitance de 533 $ par mois ne sera pas augmentée. Comment peut-on penser réussir à payer un loyer ou s’en trouver un, manger et se vêtir avec un tel revenu? Ce niveau de prestations condamne les bénéficiaires à couper dans l’essentiel – la nourriture, les médicaments, les vêtements ou le paiement du loyer -, risquant la rue s’ils n’y sont pas déjà.
La logique de ces prestations si basses est d’inciter au travail, comme toutes les grandes réformes de l’aide sociale qui ont précédé, celle des libéraux, pilotée par Pierre Paradis et André Bourbeau en 1988 et celle des péquistes, conduite par Louise Harel et André Boisclair en 1998.
Introduite par la réforme Paradis en 1988, la différenciation entre apte et inapte au travail a entraîné un accroissement de la pauvreté des personnes jugées capables de travailler en leur donnant des prestations plus basses. Les prestations des personnes jugées inaptes au travail sont demeurées insuffisantes, mais ces personnes ont pu bénéficier d’un peu plus, comme l’indexation des prestations et la gratuité des médicaments. Le projet de loi maintient cette iniquité en ne garantissant la pleine indexation qu’aux personnes inaptes au travail.
En matière d’insertion au travail ou de retour aux études, des décennies de politiques coercitives, de constats documentés et terrain ont bien démontré l’échec de cette approche. Le seul résultat garanti, c’est l’appauvrissement.
L’actuelle réforme, pilotée par votre ministre de la "solidarité sociale", Claude Béchard, va encore plus loin. Son projet de loi crée une catégorie "jeunes", dont le niveau de prestations sera à sa discrétion.
À l’autre bout, le régime reconnaît actuellement la difficulté des plus de 55 ans à se trouver un emploi en leur donnant automatiquement des prestations un peu plus élevées. Cela disparaîtrait avec la loi 57.
Des milliers de personnes l’ont dit lors du congrès du PLQ à Montréal, le 20 novembre dernier: le gouvernement ne doit pas voter ce projet de loi, mais plutôt adopter des mesures immédiates pour hausser le revenu des plus démunis.
Comme le dit un enfant dans la publicité de la grande guignolée des médias: "Moi, je veux manger tous les jours." La charité peut certes soulager la pauvreté. Mais tant que les gouvernements ne s’attaqueront pas à l’inéquitable partage de la richesse, dont la période des Fêtes démontre toujours l’ampleur, les soupes populaires, qui sont déjà une industrie au pays, continueront à se développer. Il faut que ça cesse. Vous avez le pouvoir et le devoir d’agir.
PIERRE GAUDREAU
Coordonnateur
Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM)