Grandes gueules

De la culture (et) de la nécessité

"Il y a culture parce que les personnes humaines ont la faculté
de créer un univers autre que celui de la nécessité."
Fernand Dumont, Raisons communes

La très vaste majorité des artistes qui font la culture québécoise vivent de peu. De peu de moyens financiers, de peu de reconnaissance, de peu d’appuis. Ils trouvent leur accomplissement dans la satisfaction d’avoir exploré de nouvelles facettes de leur art, dans le bonheur d’avoir donné à voir au peuple québécois une vision de lui-même qu’il n’aurait jusqu’ici pas crue aussi vraie. Ils trouvent un contentement dans le déséquilibre qu’ils créent chez l’autre, dans le vertige dans lequel ils plongent le spectateur, le lecteur ou l’auditeur. Mais ils ne peuvent plus se résoudre à vivre dans l’indigence.

Nous, du Mouvement pour les arts et les lettres, qui représentons des artistes de disciplines artistiques multiples (danse, théâtre, musique, cirque, métiers d’arts, arts médiatiques, arts visuels), plaidons depuis six ans afin que soient bonifiés de manière substantielle les fonds dédiés au Conseil des arts et des lettres du Québec et à la Société de développement des entreprises culturelles, principaux leviers financiers supportant les créateurs québécois. Si quelques avancées ont été réalisées par le passé, nous nous inquiétons sérieusement des volontés de l’actuel gouvernement et de la ministre Beauchamp de bonifier le budget du CALQ et de la SODEC, en accord avec les engagements pris en ce sens en campagne électorale.

En effet, plusieurs menaces planent sur le budget du ministère de la Culture et des Communications. Les dépenses d’immobilisations grèvent le budget et compromettent chaque année depuis deux ans les acquis. Qui plus est, certaines indications laissent croire que toutes les dépenses d’immobilisations imputées au ministère de la Culture ne sont pas liées au secteur culturel, ce qui concourt, évidemment, à en gonfler la note.

La volonté affirmée, en avril dernier, par la ministre Beauchamp d’améliorer les conditions de pratique des artistes a rassuré les plus optimistes. Nous avons salué les premiers efforts de révision de la Loi sur le statut de l’artiste, ainsi que les premières tentatives de constitution d’un filet de sécurité sociale. Malheureusement, nous ne pouvons aujourd’hui que déplorer le peu d’impact qu’ont eu ces mesures sur les conditions socio-économiques des artistes.

La Commission de la culture de l’Assemblée nationale du Québec, à laquelle siégeait madame Beauchamp, recommandait en avril 2000 "l’augmentation substantielle (…), et de façon récurrente, [du] budget du CALQ, afin que cet organisme, voué principalement au soutien à la création, dispose de moyens à la mesure des responsabilités qui lui ont été confiées". Or, les rumeurs se font de plus en plus persistantes à l’effet que le ministère de la Culture et des Communications ne fera pas de demande de budget supplémentaire au ministère des Finances et au Conseil du trésor pour le CALQ et la SODEC. Aussi, nous nous permettons d’insister sur le caractère essentiel, voire vital, d’une augmentation des crédits dédiés à la création. Plus encore, nous demandons à la ministre qu’elle se compromette clairement et publiquement quant à ses intentions à ce sujet.

À l’heure où les choix budgétaires seront certainement difficiles et exigeront courage et vision, nous pensons qu’il est fondamental que la réflexion gouvernementale s’articule autour d’une conception juste du travail des artistes et de leur apport à la société québécoise. Plus encore, nous pensons que cette réflexion, fort bien engagée par la Politique culturelle du gouvernement Bourassa, doit aujourd’hui s’appuyer sur des moyens financiers qui auront un effet tangible sur les conditions de la pratique artistique.

Le document du Parti libéral du Québec, De rempart à tremplin, s’inscrivait dans cet esprit lorsqu’il voulait "cibler les créateurs comme principaux bénéficiaires des réinvestissements dans le CALQ". La ministre Beauchamp affirmait il y a tout juste un an avoir un "parti pris pour les créateurs". Soit. Nous en sommes. Mais quels moyens apporte-t-elle pour appuyer sa vision? Bien peu. Trop peu.

La culture québécoise est de plus en plus menacée parce que toujours fragile. Ses artistes manquent de l’essentiel, à savoir des moyens pour créer dans un univers autre que celui de la nécessité. Et, comme pour la langue de Félix, sans doute faudrait-il la voir disparaître complètement de la face du Québec, tout d’un coup, entièrement et partout, pour se rendre compte de la place qu’elle occupait, fondamentalement, au cœur de notre identité personnelle et collective.

Sans doute la jugerait-on alors véritablement nécessaire.

Le Mouvement pour les arts et les lettres regroupe neuf organisations nationales, onze Conseils régionaux de la culture et représente 15 000 artistes professionnels, écrivains et travailleurs culturels.

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