L’ouverture de la Grande bibliothèque du Québec est un événement majeur pour notre langue et notre culture québécoises, y compris pour nos concitoyens anglophones et allophones. Elle constitue un symbole de notre vitalité et de la diversité culturelle que nous défendons. Je suis un passionné des musées et des lieux de culte et de partage des livres. Or cette bibliothèque a pris le parti intelligent de nous proposer au cœur de son bâtiment une rue des lectures, des consultations, des rencontres, des débats d’idées et de société dont nous avons tellement besoin face à la nouveauté du monde actuel. Elle a opté aussi pour l’idée ambitieuse d’être la cyberbibliothèque internationale que je réclamais dans les journaux, au moment même où le moteur de recherche américain Google nous annonce la mise en ligne pharaonique de la culture anglo-saxonne, et où la France réagit avec Gallica, la très grande et virtuelle bibliothèque française et des cultures francophones.
C’est donc un événement de haute portée symbolique et stratégique qui nous était dû. Et nous apprécions l’architecture intérieure de cette nouvelle bibliothèque, sa lumière, sa transparence, ses matériaux naturels, le concept de place publique ou agora qui a été privilégié. C’est une incontestable réussite.
Mais quel malheur que l’architecture extérieure soit si terne et insignifiante! Peut-on même parler à ce sujet d’architecture? Là où nous attendions un signal urbain qui exprime avec force cette symbolique intérieure, nous ne rencontrons qu’un informe parallélépipède mou, sans parti pris architectural, sans échelle, sans ouverture marquante vers l’extérieur. Comme si cette bibliothèque s’excusait d’exister derrière des lamelles verdâtres qui se répètent au mètre carré linéaire, sans proportions, sans structure ni animation visuelle, sans hiérarchie, bref un non-choix, triste écho de l’autre bâtiment verdâtre désolant de Montréal, celui d’Hydro-Québec sur le boulevard René-Lévesque.
L’architecte roumain Dan Hanganu, à qui nous devons le Musée Pointe-à-Callière, le bâtiment Chaussegros-de-Léry et l’école des HEC, ou l’architecte torontois Frank O. Gehri, qui a dessiné le Musée Guggenheim de Bilbao, nous auraient dessiné à coup sûr l’architecture symbolique vigoureuse dont nous avions besoin pour renforcer le rôle stratégique de notre Grande bibliothèque et affirmer son ouverture aux Québécois et au monde. Mais nous devrons vivre pour longtemps avec cet échec architectural cuisant – dont le seul aspect notable est qu’il ne sera même pas monumental. Comme si le Québec, une fois de plus, s’excusait d’exister derrière un mur-rideau fade et insipide, qui n’accroche même pas la lumière et n’a aucun pouvoir d’attraction pour les nouveaux publics qu’on aurait aimé y voir entrer. Pas même une façade avec un dessin, une marque. Et un retrait insipide à l’angle Berri-Ontario, recouvert encore et toujours de ces lamelles évoquant les tablettes de verre de salles de bain, avec quelques béances (des panneaux verdâtres retirés) encore plus mal disposées que sur le côté principal. En architecture, un vide est aussi important qu’un plein; mais, dans ce cas-ci, la maquette semble inachevée. Voilà l’effet pervers toujours possible des concours internationaux d’architecture. Mais on demeure choqué du choix du jury. Il va falloir beaucoup retravailler le trottoir et les bannières ou les lumières pour dessiner et animer cette non-façade!
Madame Lise Bissonnette, à qui il faut rendre hommage pour sa persévérance dans la réalisation de ce projet ainsi que pour les qualités fonctionnelles et esthétiques de l’intérieur du bâtiment, doit s’en désoler elle-même sans pouvoir en parler publiquement, elle qui avait lancé il y a quelques années une polémique mémorable et justifiée contre la médiocrité architecturale des Caisses populaires Desjardins qu’on trouve dans toutes les villes et bourgades du Québec. La rue Berri ne compte aujourd’hui qu’un seul édicule de qualité architecturale – et il est bien modeste, car c’est le petit bâtiment du métro à l’angle avec la rue Sainte-Catherine, en avant du jardin de sculptures de Melvin Charney. C’est bien peu pour redonner à la rue Berri le prestige qu’on lui souhaitait! Une occasion manquée.