Les révélations de la commission Gomery comme celles des augmentations faramineuses de rémunération des dirigeants de compagnies devraient nous pousser non seulement à gueuler et dénoncer mais surtout à poser des gestes nécessaires à ce que les choses changent. En fait, ces scandales relèvent de scénarios similaires: des commettants s’en mettent plein les poches pendant que la plèbe regarde ailleurs.
Bien sûr, il y en a qui sont là pour dénoncer. Le contraire aurait été déprimant. Mais ce qui surprend, c’est de voir encore, comme si nous étions toujours une colonie, un prince qui justifie les privilèges de sa cour et même des sbires pour défendre l’indéfendable.
Le prince
Vous l’avez vu, Robert Gratton, PDG sortant de la Financière Power, a encaissé 170 millions $ d’options. C’est de l’argent. En fait, cet argent aurait pu servir à accroître les dividendes des actionnaires, réduire les primes des assurés chez Great-West, les frais de gestion des clients d’Investors, ou même permettre à Power Corp. d’investir dans ses quotidiens.
Comme un prince défendant les privilèges de ses sbires, Paul Desmarais Jr justifie la rémunération de Robert Gratton en réponse à une question d’Yves Michaud lors de l’assemblée des actionnaires: "La Financière Power a connu un succès retentissant en créant de la valeur pour les actionnaires."
Comme tout bon patron doit se le demander avant d’accorder une augmentation de salaire, les membres du comité de rémunération du conseil d’administration d’une compagnie doivent s’assurer que la rémunération consentie est essentielle. Est-ce que Robert Gratton aurait refusé ses responsabilités si on lui avait octroyé deux fois moins d’options? Qui oserait répondre oui. Au cours de toutes ces années où des options ont été octroyées, le comité de rémunération n’a pas fait son travail. Loin de le comprendre, le comité de rémunération de Power Corporation en remet. En 2004, André et Paul Desmarais Jr ont reçu ensemble une rémunération de 8,4 M$ (incluant les options) pour leurs fonctions de co-chefs de la direction, soit une augmentation de 30 % par rapport à 2003. Cette augmentation est-elle justifiée par une performance exceptionnelle? Pas du tout, du 30 juin 2003 au 1er janvier 2005, le prix de l’action de Power Corp. a monté de moins de 5 % alors que l’indice de référence du secteur financier (ses principaux concurrents) a monté de plus de 25 %. Et Power n’est pas seul, la rémunération moyenne des PDG des entreprises de l’indice TSX a monté de 57 % en 2004!
Qui doit porter le chapeau de ces abus? Eh bien, les membres du conseil d’administration, plus particulièrement ceux du comité de rémunération. Ce sont eux qui doivent être tenus responsables. Certaines caisses de retraite, des actionnaires importants, en prennent conscience et votent contre les membres du comité de rémunération lors de l’assemblée dans ce type de situation. Pour ce faire, ces caisses s’appuient sur une Politique de bonne gouvernance des entreprises fixant les critères devant encadrer leurs votes lors des assemblées. Vous pensez qu’il faut davantage de telles politiques? Le prince Paul Desmarais Jr, lui, pense que celles-ci vont trop loin: "J’ai l’impression que nous avons atteint un stade où le processus (de bonne gouvernance) prend préséance sur le sens commun." Comme souvent l’histoire l’a illustré, le "sens commun" du prince est parfois différent de celui de la plèbe!
Les sbires, Gomery et le Budget Legault
Alors que tous les jours, les Québécois éprouvent un haut-le-cœur en écoutant de nouvelles révélations de gaspillage et de favoritisme à la commission Gomery, la publication du Budget d’un Québec souverain devrait mériter une étude objective de la part des analystes. En effet, comment ne pas questionner la pertinence de continuer à payer des impôts à un gouvernement qui a utilisé notre argent pour acheter nos votes? Les sbires refusent ce questionnement. Alors qu’ils n’ont pu réfuter l’existence d’un gain financier important relié à la souveraineté, ils invitent les Québécois à ne pas calculer leur intérêt. C’est André Pratte, éditorialiste à La Presse, qui disait en réponse au Budget Legault: "Le problème, c’est justement qu’on ne peut pas aborder cette question comme un simple exercice comptable. Il faut aussi tenir compte de la vraie vie. Or, la vraie vie est toujours beaucoup plus compliquée que ce qu’on peut calculer sur papier." Autrement dit: continuez de payer et laissez-les continuer à vous exploiter!
Après avoir rapatrié les responsabilités et les taxes payées par les Québécois au gouvernement fédéral, le Budget Legault conclut à l’existence d’un gain de 17 milliards $ sur cinq ans. De cette somme, 13 milliards pourraient être utilisés pour financer les priorités citoyennes comme l’éducation et la santé. Trois principaux arguments ont été avancés pour contester la validité des conclusions.
Un premier argument: les revenus baisseront à cause d’un choc économique. Quel choc? Le coup de la Brink’s: des camions remplis d’argent quitteraient le Québec. Moins grossièrement, certains craignent le report de certains investissements combiné au départ de quelques anglophones. Notre ministre des Finances Michel Audet citait à cet égard Pierre Fortin, économiste de l’UQAM, qui disait prévoir un possible recul de 1 % sur la croissance économique normale. O.K., admettons un tel ralentissement. Dans le pire des scénarios, le gain du Québec souverain pour sa première année serait de 900 millions $ de moins que les 2,2 milliards $ estimés par le Budget Legault. Ça laisse pas mal d’argent dans nos poches…
Le deuxième argument: selon Jean-Yves Duclos, économiste de l’Université Laval, on devrait consacrer à l’armée d’un Québec souverain un montant équivalent à notre poids démographique au Canada, soit 25 % au lieu du 14,4 % prévu par le Budget Legault. Pourtant, le calcul de Legault correspond à la moyenne des résultats de quatre études, dont une réalisée dans le cadre de la commission Bélanger-Campeau, visant à calculer la valeur de ce que le fédéral assume actuellement pour protéger le territoire québécois, plus la part québécoise des activités étrangères de l’armée. Vraiment pas très sérieux comme critique…
Finalement, André Pratte joue sur le sentiment de colonisé en disqualifiant la part de dette du Québec prévue par le Budget Legault, même si elle est la même que celle évaluée par la commission Bélanger-Campeau: "Cette question ferait l’objet d’une longue et difficile négociation, dont personne ne peut prédire l’issue." C’est vrai, il y aura négociation. Mais tous les experts le reconnaissent, ce sera l’émetteur des obligations, le fédéral, qui aura la pression vis-à-vis des créanciers. C’est vers le Gouvernement du Canada que les détenteurs d’obligations se tourneront pour échanger leurs coupons d’intérêt. Pourquoi André Pratte et d’autres ne font-ils pas référence à cette situation où le rapport de force est à l’avantage des Québécois?
En bons colonisés, il faudrait que l’on continue de payer sans poser de questions.