Grandes gueules

Au nom d’Allah

L’affaire des caricatures du prophète Mohammed continue à enflammer le monde musulman et à envenimer ses relations avec l’Occident. Voici des réactions de nos lecteurs, athées ou musulmans, aux scènes de violence dont nous avons été témoins depuis la semaine dernière.

ALLAH À TORT ET À TRAVERS!

La controverse au sujet des caricatures du prophète Mohammed a jeté l’huile sur le feu à un moment où la paix est plus que nécessaire dans le monde.

Loin de moi la volonté de minimiser l’offense faite aux musulmans en dressant des portraits d’un prophète qui n’est représenté en aucun cas et d’aucune manière par les musulmans, ce qui constitue pour eux une marque profonde de respect. Les caricatures très provocatrices issues du Danemark ont eu l’insidieuse manie de favoriser la division d’un monde qui se déchire suffisamment. Or, bien que la communauté musulmane ait raison de protester contre l’acte de dérision perpétré à l’endroit du prophète Mohammed, le moment est venu de remettre les pendules à l’heure sur certaines réactions démesurées du monde dit musulman et dont l’effet pernicieux nuit d’abord et avant tout à tous les musulmans et à l’islam.

Quiconque a lu le Coran sait qu’Allah est le Dieu de la miséricorde et du pardon. Allah exhorte le musulman à faire le bien et à s’entendre avec son prochain, peu importe son allégeance religieuse. Allah aime que la personne offensée endure et pardonne. Allah demande au musulman de ne pas appliquer la loi du Talion, de l’"œil pour œil, dent pour dent". Il y est explicité que si toutefois une personne ne parvient pas à faire preuve de cette endurance fortement recommandée, il convient alors de réagir de façon proportionnelle, mais pas plus. Or, les menaces proférées en réaction aux caricatures par certains musulmans qui incitent à la guerre et à la haine, les drapeaux brûlés et le seuil du consulat danois enflammé ne sont justifiés en aucun cas par les valeurs clairement explicitées dans le Coran de paix. Sans compter la mention que n’importe quel lettré pourra y trouver selon laquelle Allah n’aime pas les fanatiques.

À quel moment ceux qui affirment être des musulmans agiront-ils selon les fondements de leur propre religion? Quand arrêteront-ils d’utiliser le nom sacré d’Allah pour commettre des crimes qui leur sont interdits, soit le suicide et le meurtre? Il est temps de se replonger dans la lecture des versets du Coran et d’arrêter d’utiliser le texte sacré qui prêche l’amour à des fins politiques, de pouvoir et de haine.

S’il est vrai qu’il est important de conserver le caractère sacré du prophète Mohammed, il est plus que temps aussi de cesser d’utiliser le nom sacré d’Allah en agissant à l’encontre de ses fondements. À quand des réactions de la communauté musulmane qui soient inspirées par la noblesse des valeurs de l’islam de paix, de fraternité et d’harmonie entre tous les peuples? Car, comme le déclare Allah dans le Coran, il a placé les nations les unes à côté des autres pour qu’elles se connaissent les unes les autres.

Yas, une musulmane pratiquante

ooo

À QUAND UN JOURNAL SATIRIQUE MUSULMAN?

Le prophète, nous assure-t-on (voir l’article de Tarek Fath, du Globe and Mail, 3 février, A 17), était un homme paisible. On se moquait beaucoup de lui. Il n’en avait cure, répondant par des prières aux moqueries. Les manifestants furieux d’aujourd’hui ont décidé de donner au monde une autre image de l’islam, qui rejoint le stéréotype raciste du croyant violent et intolérant. Mais peut-on être un vrai croyant et avoir le sens de l’humour? Oui, peut-être. Les juifs et les chrétiens plaisantent volontiers de Moïse ou de Jésus et les caricatures des rabbins ou du pape sont légion. Voir Le Canard enchaîné! À quand un journal satirique musulman?

Merci de poser la question à vos lecteurs.

Pierre Léon est l’auteur de Le Pied de Dieu. Lecture irrespectueuse de la Bible, Toronto, Gref.

ooo

LES CARICATURES SATANIQUES

Ainsi, plusieurs mois après le quotidien danois, les Français publient, dans le très soixante-huitard Charlie Hebdo, l’ensemble des "caricatures sataniques", attirant les foudres de l’ire musulmane sur eux. On sent bien, dans cette attitude de bravache et ce souci de ne pas se faire voler la vedette, le mouvement du coq tricolore se redressant sur ses ergots: "Ouh, ouh! On est là, c’est nous les champions de la liberté d’expression, faudrait pas l’oublier…" Le pays de Voltaire ne pouvait quand même pas se laisser damer le pion par cet insignifiant petit royaume (à l’occasion pourri comme chacun sait)!

J’ai toujours beaucoup aimé Voltaire et son combat acharné contre l’intolérance et les superstitions. Il ne faudrait cependant pas oublier que ce même Voltaire, après avoir dénoncé l’Église durant toute sa vie, réclame sur son lit de mort la présence d’un prêtre catholique pour lui administrer les derniers sacrements. Qu’est-ce que cette anecdote démontre?

Que l’être humain est plein de contradictions et que la raison n’explique pas tout et n’est pas la seule faculté dont l’homme dispose. Il existe aussi un élément puissant, qu’on peut appeler pour simplifier le "sentiment religieux", et il ne sert strictement à rien de le nier ou de le dénigrer.

Contrairement à ce que beaucoup pensent, il ne s’agit pas ici du prétendu "choc des civilisations", encore moins d’un nouvel épisode des Croisades. Du reste, de nombreux pays occidentaux, les États-Unis, l’Angleterre, le Canada, Israël même, entre autres, ne se sentent pas solidaires des autres pays européens dans cette affaire. Ce serait plutôt à un choc "évolutif" des mentalités qu’on assiste maintenant: d’un côté, le mental rigide et arrogant, crispé sur ses principes, de l’autre, le sentiment religieux, trépignant, en mal de reconnaissance. Selon le mot attribué à Malraux, "le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas". Peut-être la crise actuelle est-elle l’une des premières manifestations de cette prophétie… Même si, à l’instar de Voltaire, il nous faut continuer à fustiger les intolérances et les intégrismes de tout acabit, il est temps aussi de nous ouvrir à la réalité de cet incontournable sentiment religieux et, si on ne peut le comprendre, au moins le respecter et lui accorder son espace en toute dignité.

Christian Feuillette
Montréal