Sur la plupart des plateaux de tournage cinématographiques et télévisuels, les rôles sont occupés en grande majorité par des actrices et acteurs blancs. Par conséquent, la présence des ethnies, dans les productions portées au petit ou au grand écran, se fait plutôt rare, et lorsqu’ils y sont, c’est souvent pour incarner des rôles "typiques", des personnages qui se définissent principalement par leurs différences ethniques. Mais pour quelles raisons? Qu’est-ce qui peut expliquer l’absence quasi totale des ethnies dans la distribution des rôles de premier plan dans les productions? Est-ce parce que les scénaristes, les réalisateurs et les employeurs de cette industrie manquent sérieusement d’imagination? Le cinéma, les téléséries et les téléromans d’ici sont-ils faits pour un public exclusivement québécois pure laine? Est-ce par manque de comédien(ne)s ethniques? Doute-t-on de la qualité de leur français? A-t-on peur que le public ne se reconnaisse plus dans nos fictions, car ces acteurs(trices) auraient les yeux trop bridés ou la peau trop foncée?
Voyons voir: nous sommes bien en 2006, dans une ère où le cosmopolitisme bat son plein. Nous sommes bien à Montréal, une ville où bouillonne une vie culturelle riche et productive. Une des grandes métropoles en Amérique du Nord, reconnue partout à travers le monde pour les richesses qu’apporte la présence des diverses communautés ethniques.
Pourtant, non seulement le multiculturalisme n’est pas très présent dans le portrait culturel québécois, mais lorsqu’on tente de lui faire une place, on y va avec la facilité, ou encore pour combler un certain "quota". On va engager des comédien(ne)s noirs pour jouer des rôles de "Noirs", comme dans la télésérie Jasmine il y a quelques années déjà, où l’on pouvait voir Linda Malo incarner une policière noire qui vivait constamment des difficultés rattachées au racisme qu’elle subissait dans son environnement de travail. Ou encore dans la sitcom Catherine où nous pouvions apercevoir à l’occasion le Chinois typique, propriétaire de dépanneur, doté d’un gros accent, qui servait au procédé comique de l’émission grâce au stéréotype qu’il illustrait… Ce n’est pas l’idée d’ignorer les différences, car parfois il est important de jouer avec ces stéréotypes pour démontrer un aspect spécifique de la réalité. Mais à l’inverse, employer des comédien(ne)s ethniques pour faire des rôles typiquement "ethniques", c’est non seulement souligner la différence, mais entretenir des préjugés et, par le fait même, créer une forme de ségrégation raciale. Pourtant, les immigrants cohabitent avec les Québécois de souche depuis déjà un bon moment. Certains même naissent ici, issus d’une première ou deuxième génération d’immigrants. Ils font aussi partie du public qui allume la télé après le travail et des gens qui sortent au cinéma les fins de semaine. Ils sont parfois étudiants, tantôt serveurs, tantôt avocats, ils sont médecins, secrétaires, professeurs, chauffeurs de taxi, humoristes, et même parfois acteurs(trices)… Ils vivent leur vie, se sont intégrés à la société et, malgré tout, ils ne peuvent même pas se reconnaître à travers les fictions que leur présente leur province d’adoption ou de naissance.
Le Québec tire de la patte, il est loin derrière des pays comme les États-Unis, l’Angleterre et la France. Même le Canada anglais semble nous battre à plates coutures sur cet aspect. Aux États-Unis, par exemple, plusieurs téléséries et films à succès ont leur lot de comédien(ne)s ethniques qui campent des premiers rôles et le public américain ne semble pas être déstabilisé par ça, puisqu’il est au rendez-vous. Dans la très populaire télésérie 24 (24 heures chrono en français) avec Keifer Sutherland, le président américain est noir. Ou encore, dans Lost (Perdus en français), qui connaît également un très grand succès, on trouve quelques acteurs noirs et hispaniques. Leur star-système est peuplé de grands acteurs et actrices ethniques célèbres tels que Halle Berry, Angela Bassett, Denzel Washington, Jennifer Lopez, Lucy Liu, Jamie Foxx, Queen Latifah, Salma Hayek, Antonio Banderas et j’en passe. Dans le Canada anglais, les publicités, les téléséries et les films contiennent également systématiquement des acteurs et actrices ethniques, car cela leur semble tout naturel de représenter leur population le plus justement possible.
L’art est censé être en mesure de représenter la réalité et être à l’avant-plan des différents débats et aspects qui composent notre société moderne. La présence des homosexuels, par exemple, est très bien démontrée dans nos productions depuis quelques années, comme dans la télésérie La vie la vie où nous pouvions voir Vincent Gratton incarner un sympathique homosexuel qui vivait des hauts et des bas au même titre que les autres personnages de la série. Tout comme les enfants asiatiques sont de plus en plus présents sur nos écrans à la suite de l’adoption massive de ces derniers par les Québécois au cours des dernières années, comme nous pouvons le constater dans le téléroman à succès Annie et ses hommes où le couple incarné par Guylaine Tremblay et Denis Bouchard a une fille asiatique. La société évolue, cela fait maintenant partie de notre quotidien, et l’art doit s’adapter au nouveau visage de notre société qui est constamment en transformation au cours des décennies.
Bref! Il ne faudrait surtout pas que cette absence de comédien(ne)s ethniques dans les productions soit justifiée par l’idée que le public ne pourrait pas être en mesure de s’identifier à ces gens. Ce serait sous-estimer un public qui est beaucoup plus ouvert et s’adapte plus facilement qu’on ne le croit à ce qu’on lui présente. Voilà par contre une excellente raison pour les employeurs de cette industrie de continuer à se complaire dans leurs vieilles habitudes et de ne pas prendre de risques, sans pour autant se porter garants de ce que le public a envie de voir.
Le marché est-il organisé pour qu’il soit fait par et pour des Blancs, comme se l’est gentiment fait rappeler le chanteur Corneille à ses débuts? En espérant que nous soyons rendus plus loin que ça!!!