Voilà donc, après plusieurs années de marathon solitaire sur les terres du roman, que l'on m'invite à écrire une chronique hebdomadaire. Qu'est-ce à dire? Qu'est-ce qu'un écrivain vient faire dans cette galère? La chronique constitue-t-elle seulement un genre littéraire? La question est épineuse. On hésite à y répondre. Selon le point de vue, diverses réponses sembleront évidentes (rien n'est plus variable que l'évidence).
Pour certains, la littérature se reconnaît au support employé. Seules certaines matières nobles parviennent à se qualifier: le livre (si possible cousu), le papier glacé, le marbre, le disque (vinyle ou compact), la lucite. Sont disqualifiés d'entrée de jeu: la napkin, le cahier de notes, le mur de béton (ou de briques), le sac de chips et la paume de la main. Quant aux périodiques, ils flottent dans les limbes. On s'en méfie. À l'évidence, le papier journal n'appartient pas à la catégorie des supports consensuels. (Inutile de rappeler que la grande invention du vingtième siècle, le livre de poche, doit tout au papier journal; les arguments n'ont rien à voir dans cette histoire.)
Peu importe son support, la littérature demeure essentiellement indéfinissable. On ne peut en dire qu'une chose: elle implique une perte de contrôle. Lorsque vous écrivez un texte littéraire, il doit être impossible de prédire avec exactitude où ce texte vous mènera, comment il sera interprété, quelles en seront les conséquences. Le texte littéraire est une boîte de conserve sans étiquette ni date de péremption. Ouvrez à vos propres risques.
Cela me semble, jusqu'à présent, une description assez fidèle de cette chronique.
ooo
Bref, ni le support ni la forme ne m'indisposent. Pour tout dire, la chronique sur papier journal ferait plutôt mon affaire. Lorsqu'on songe à tous les grands noms qui s'y sont frottés – qu'il suffise de nommer Mark Twain -, tout snobisme s'efface et on se sent, soudain, soi-même, passablement inapte à prendre le relais.
Des amis lettrés, médiatiques et carnivores m'ont récemment invité à souper. Apprenant que j'allais me commettre dans des pages hebdomadaires, ils ont d'abord crié de joie, puis d'anxiété (redoutant que cette production ne nuise à mes romans), avant de finalement me demander si j'avais au moins lu Alexandre Vialatte. Je connaissais son nom, sans plus, aussi me fit-on jurer de lire ce grand maître, ce modèle de tous, ce père de la chronique moderne.
Premier constat: Vialatte n'infeste pas nos librairies. Dans l'une d'entre elles, généralement bien fournie, j'ai fait patate. Il m'a fallu recourir à des expédients exotiques pour acquérir un des volumes de cette oeuvre immense constituée de quelque 900 chroniques publiées sur 20 ans, dans le journal auvergnat La Montagne (titre qui constitue un sacré programme en soi).
Ce Vialatte était une drôle de bête, pas d'erreur. Un génie, sans le moindre doute. Un homme en symbiose avec la langue française (remarquez, nous n'avons aucune idée des relations qu'il entretenait avec la langue; on sait seulement que le résultat est exceptionnel). Mais Vialatte est avant tout un inclassable: contrairement à ce que mes amis m'ont annoncé, il n'est pas le père de la chronique moderne – ou alors la chronique a subi entre-temps de graves mutations génétiques. Vialatte se situe en marge de tout, véritable écrivain orbital. Son humour ne ressemble à rien. Sa façon de raconter une histoire défie les lois du genre. Aucun sujet ne le rebute, ni l'okapi, ni le zouave. Nous avançons, de page en page, dans un monde autonome et déstabilisant: le continent Vialatte.
Moi qui entretenais une vision passablement claire de la chronique, j'erre désormais (et vous aussi, par la force des choses) dans un paysage imprécis, sans frontières exactes. Soyons donc rassurés: nous nous trouvons au moins dans les limites de la littérature.
Je suis un inconditionnel de Vialatte ; merci d’en si bien parler. Ces chroniques de la Montagne sont à découvrir à tout moment. Je ne peux m’empêcher de mettre en parallèle l’oeuvre de Raoul Ponchon , gazettier également un peu plus tôt du 19ème et 20ème siècle, qui dans un autre genre, mais avec beaucoup de similitudes, écrivait des gazettes rîmés remplies de poésie et d’humour dans le Courrier Français, le Journal…entre autres, en décrivant de façon si moderne les évènements de l’époque. Pour le découvrir je vous invite à découvrir le site-blog suivant http://www.u-blog.net/raoulponchon qui fait paraître une note chaque jour.
Vive Vialatte et Ponchon
Bien à vous
Cher monsieur,
Comment ne pas se réjouir que vous ayez « rencontré » ce lettré irréfutable que fut Alexandre Vialatte ?
Je vous suis entièrement : Vialatte a créé un univers à part parce qu’il n’a jamais vu le monde comme les autres, et que les autres, définitivement, ne le verront jamais comme lui. Ses savoureuses chroniques où la langue exulte à chaque instant (les mots savants eux-mêmes y dégagent un parfum surréaliste) nourrissent mon quotidien désir de lire. Il est des lecteurs, m’a-t-on dit, qui ne supportent pas Vialatte…Je serais tenté de dire : tant pis pour eux, nous savons ce qu’ils perdent ! A croire que tout le monde n’est pas préparé au bonheur…
Je vous signale, au passage, une découverte que j’ai faite récemment : il s’agit d’un poète parisien nommé Raoul Ponchon(fin XIXème-début XXème). Lui n’écrivait pas des chroniques mais des « gazettes rimées » dans différents journaux français. Il commentait l’actualité, chantait les fleurs et le bon vin, fustigeait les chapeaux haut-de-forme et les vieillards libidineux, avec une liberté et un plaisir de la langue qui ne sont pas sans rappeler ce cher Vialatte. Si vous en avez l’occasion, faites un détour…Tout n’est pas du même niveau mais il y a des moments savoureux.
Cordialement votre,
Votre chronique voit le jour, qu’elle soit bienvenue dans ce monde de lecteurs-voyeurs dont je suis ! J’aime les chroniques et déjà, par une incursion curieuse entre les lignes de votre blogue, je vous ai rencontré. J’ai tout de suite aimé vos sujets présentés sans prétention, servis par un humour curieux et d’un curieux humour. Vous n’avez pas encore l’arrogance de l’assurance, je m’en abreuve, assoiffée de propos libres d’égo … centrique. J’ai le tournis facile.
« La littérature implique une perte de contrôle », d’accord. Comment cesser d’exercer un contrôle sur cette perte de contrôle, ça se complexifie ! Il faut l’abandon et l’abandon s’abreuve de confiance. D’assurance, pas nécessairement, mais de confiance, certainement. La confiance offre son dos généreux à l’amour passion, exacerbé par l’observation, ensuite servie et polie par un flot de mots qui lèvent, élèvent et soulèvent.
Je viens rencontrer, ici, un esprit qui s’égare sérieusement : Le vôtre.
Que Ponchon et Vialatte ait été, que Dickner soit ! Amen.
Peu m’importe Vialatte, mais je suis bien heureux de vous retrouver, vous Nicholas Dickner, dans les pages de papier journal du Voir, de même que dans le cyberespace. Le support n’importe pas tellement, le fait de savoir si nous nous retrouvons ou non dans le monde de la littérature non plus. Simplement, c’est l’art de l’écriture qui doit se manifester. Ce don, vous l’avez, et je serai heureux de pouvoir en profiter hebdomadairement. Pour preuve, votre roman Nikolski et L’Encyclopédie du petit cercle, un recueil de nouvelles auquel je ne me suis pas encore frotté. Commentant Nikolski j’écrivais sur ce site :
» (…) je me plais à laisser les mots de Dickner me bercer, à laisser ses magnifiques phrases descriptives me transporter aux quatre coins de son univers, car la lecture de Nikolski se vit comme un voyage. Nikolski m’habite et me transporte telles les continuelles migrations des nomades qui peuplent ses pages.
Un constat : Dickner sait raconter, il est un conteur comme il est rare d’en rencontrer.
J’espère que la magie des mots qu’il aligne comme un chamane continuera longtemps d’opérer, afin que par elle, le livre québécois continue de prospérer, d’enflammer notre imaginaire. »
J’espère que votre chronique aura sur moi le même effet que les phrases de votre roman, mais j’espère, comme vos amis, que cette chronique n’entamera pas trop le temps de vos autres projets littéraires.
Bienvenue dans les pages du meilleur hebdomadaire culturel du Québec !
Alors là bravo !
je n’en reviens pas. Merci à bRUNO Monnier, que nous connaissons bien, en tant que membre, parlant de Raoul Ponchon, poète méconnu de tous mais non de Verlaine , révélateur de son époque. merci également à Michel Guyard; Lise Bourassa et Venise Landry que nous invitons à visiter le site http://www.u-blog.net/raoulponchon.
Merci à tous
Effectivement, passer d’un style littéraire à un autre, n’est certes pas facile. Tous les gens, qui font de l’écriture, s’attendent au moins, sur ce sujet! De façon innée, nous avons tous, une prédisposition, à un genre ou style d’expression. Ensuite, on apprend à le développer du que l’on peut.
Tenter d’aller, de la « courte nouvelle » au « volumineux roman », tient du miracle. Et, je passe sous silence la « poésie », qui n’est fait que des élites! Beaucoup d’appelés, mais peu de réussites! Malgré tous, je crois qu’il existe, des méthodes d’apprentissage, comme dans n’importe quoi. Et, bien sûr, de l’expérience, beaucoup d’expérience! Je considère, l’écriture comme une gymnastique mentale. Plus on en fait, plus cela devient facile. Mais encore là, ce n’est pas une garantie. Et, de plus, on garde toujours, la hantise de la fameuse page blanche. Quelle horreur!