Il existe, entre l'écrivain et le travailleur manuel, une division profonde et fondamentale, si ancienne qu'elle remonte peut-être à l'âge de pierre, voire à l'époque lointaine où nous étions poissons, mollusques, unicellulaires. Elle semble pour ainsi dire reptilienne, moléculaire, gravée dans la double volute de notre ADN.
Lundi matin, huit gaillards sont débarqués de l'autre côté de la rue. Boîtes à lunch au poing, casques jaunes sur la tête, quelques tonnes de machinerie lourde sous le bras. Il ne s'agissait pas d'un commando de poètes, on l'aura compris. Je les ai regardés prendre possession de notre coin de rue, pleins d'assurance et de testostérone, camisoles maculées de graisse à transmission, muscles à l'air libre.
On n'expliquera jamais assez la difficulté d'être écrivain lorsque huit bonshommes refont le monde (ou plus simplement un mur de brique) de l'autre côté de la rue. Pareil spectacle vous ébranle la foi et le moral des troupes.
Permettez que j'illustre avec plus de précision ce navrant atavisme: je me suis senti semblable au chihuahua poméranien, ce mammifère dont l'utilité n'a encore été prouvée par aucun zoologue sain d'esprit. Abandonné dans un bosquet, il est condamné à ne survivre qu'un quart d'heure avant d'être happé par une plante carnivore ou attaqué par un moineau. En fait, le chihuahua poméranien ne trouve sa place qu'au sein d'un seul écosystème: le bungalow. Son rôle y demeure d'ailleurs ambigu. Il n'est ni prédateur, ni proie, ni parasite. Il figure en tant qu'objet décoratif, entre le papyrus et la potiche.
L'écrivain, en somme, amuse les enfants et les visiteurs.
ooo
J'observais donc mes huit gaillards en train d'installer leur échafaudage. Le texte sur mon écran ne m'intéressait plus du tout: je ne désirais plus qu'analyser (et, si possible, éradiquer) mon chihuahua poméranien intérieur. J'ai alors appelé ce bon vieux Wau à la rescousse.
Informaticien et fondateur du groupe de hackers Chaos Computer Club, Wau Holland figure parmi les légendes de l'activisme numérique. Au début des années 80 – alors que la plupart d'entre nous jouaient à Pac-Man sur le Commodore 64 familial -, Wau luttait pour la démocratisation de la technologie, dénonçait la censure et enseignait aux adolescents l'éthique des technologies de l'information. Un précurseur.
Or, cet homme à la géométrie caractéristique (ventre vigoureux et barbe drue) allait toujours vêtu d'une salopette de la voirie. Plus qu'une habitude vestimentaire, il s'agissait d'un véritable manifeste politique: les informaticiens sont des travailleurs eux aussi.
Les écrivains pourraient en dire autant. Quoi que votre beau-frère en pense, écrire un chapitre de roman n'est pas si différent d'assembler des tuyaux, construire une montgolfière ou cueillir des courgettes.
Au fond, les travailleurs intellectuels vivent tous le même problème: ils vissent d'insaisissables boulons – des idées, des concepts, des structures – dans un monde où l'on valorise plutôt le travail tangible. On ne conteste jamais la fonction sociale d'un charpentier, d'un pompier ou d'un éboueur. Même l'humble coiffeuse est inattaquable: sans ses ciseaux, nos cheveux pousseraient jusqu'à tout infester. Les toupets nous aveugleraient, nous gâcherions des heures précieuses à nous tresser le surplus. L'économie d'échelle resterait empêtrée dans un dédale de noeuds, de mèches et de favoris. Une véritable apocalypse capillaire.
Il doit s'agir d'une question d'unité de mesure. Notre société cultive un brin de méfiance à l'égard des individus dont la contribution se jauge mal. Comment quantifier, en effet, l'apport social d'un poète? En pieds cubes, en kilos, en kilomètres? En heures, en joules, en calories? Les informaticiens évaluent leur travail en SLOC (lignes de code source), unité de mesure sibylline entre toutes. On reste clément à leur endroit, car ils engendrent des profits (du moins les économistes nous l'assurent-ils). L'écrivain n'a pas cette chance et son utilité demeure, en somme, non prouvée. Que se passerait-il, en effet, si les écrivains déclenchaient une grève générale illimitée? Assisterions-nous à une grêle de batraciens? À la mort du premier-né dans chaque foyer? À un avachissement moral généralisé?
Nul ne saurait le dire avec certitude.
On en revient toujours à l'époque précambrienne: ces grandes scissions ne reposent pas sur la raison ou les arguments, mais sur d'obscures et anciennes convictions. Il est temps de réformer tout cela, de nous débarrasser des aberrations arbitraires et des chihuahuas poméraniens. Il nous faut, en un mot, une semaine nationale des écrivains en salopette. Wau approuverait.
Oui, oui, oui ! Parce que les conditions de travail de l’écrivain sont précaires, parce que ses horaires sont instables et son salaire moins que minimum, parce que l’ordinateur entraîne de sévères mots de dos et autres tendinites, parce que la lecture et l’écriture abusives forcent le port de lunettes et, enfin, parce qu’il y a actuellement un manque flagrant de chercheurs de têtes d’écrivains sur le si bien nommé « marché du travail », pour toutes ces raisons, donc, je seconde la proposition. Les écrivains – actifs ou non : on entre dans l’ordre comme dans les Alcooliques anonymes; la littérature est un mal dont on ne guérit pas – devraient former un syndicat. L’Union ne suffit pas. Il leur faut des pauses régulières, un revenu établi, l’assurance de ne pas occuper un autre poste pendant la rédaction d’un livre, le choix d’être journalistes, serveurs ou professeurs seulement s’ils en ont l’envie, et non platement pour survivre, et la possibilité de profiter de ce que les Philosophes appelaient si bellement « l’honnête superflu ».
L’écrivain a une fonction sociale au moins aussi essentielle que le boulanger. Tous deux contribuent à assurer un minimum vital. Celui-ci du corps, celui-là de l’esprit. Je déclâme, par pur support moral, faute de pouvoir faire mieux, un tonitruant et fracassant So-so-so…! Aujourd’hui, demain, et toujours plus fort. L’écrivain est maître tous les jours. Nous sommes quelques-uns, je vous l’assure, à ne jamais l’oublier.
L’importance du bruit. L’importance selon la quantité de bruit que l’on fait. On peut toujours revêtir la salopette de la voirie mais le plus important, pour chasser notre chihuahua intérieur galopant, est de s’outiller suffisamment pour qu’un boucan de bruit nous précède ou nous accompagne. Surtout nous accompagne. Le bruit des mots emprisonnés sur l’écran ne fait même plus le bruit du froissement de papier. On ne déroule plus le parchemin et aucun troubadour ne clame bien haut nos mots. Aucune Cour royale ne nous applaudit, même hypocritement.
Les écrivains forment la marée silencieuse qui parle sans bruit. Même quand on pond un caviar de mots, notre « pendant la tâche » n’arrive pas à nous rehausser aux yeux du plombier qui débouche notre labavo à grand fracas d’outils qui frappent la matière.
Même nos tempêtes de cerveaux ne font pas de bruit ! Je le dis et le redirai jamais assez, il faut faire du bruit. Bien sûr, nos mots peuvent en soulever, autant que de la poussière, mais c’est après. Pendant, nous sommes des insignifiants ou pire, des prétentieux. On se pense écrivain parce que l’on écrit ? Nous exercons le métier (parfois permanent)d’aspirants à l’édition.
Et si l’on tombe dans la talle d’une maison d’édition et que notre titre fait du bruit, il faut commencer à répondre au « Combien ? » : Combien on en vend ? Combien ça rapporte ? Banquiers et propriétaires résume notre existence en « Combien ». Parce qu’eux brassent de l’argent et de l’argent, ça fait du bruit. Surtout l’argent comptant (ça compense pour le manque d’odeur).
L’argent sonnant ? C’est ce qui fait le plus de bruit. La preuve, un millionnaire peut sortir de chez lui, brasser son argent sonnant et demander à 8 gaillards en salopette de voirie de faire moins de bruit.
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Félicitations pour le Prix des Libraires pour votre roman Nikolski ! Il est bien parti pour faire du bruit.
Quelle est la valeur économique des écrivains ? Je suis convaincu, malgré mon appartenance à un peuple qui demeure trop souvent allergique à la culture, de l’utilité des écrivains. Certes, il est plus aisé de mesurer l’apport tangible du maçon et du charpentier, mais ne dévalorisons pas le travail des intellectuels pour autant. À notre époque, même sur le très valeureux marché du travail, la plupart des nouveaux emplois sont créés dans le secteur qu’il est maintenant convenu d’appeler l’économie du savoir. Les secteurs traditionnels de l’emploi (primaire et secondaire) sont désertés à une vitesse frisant le cataclysme, et le secteur tertiaire (les services) peine à nous donner du travail.
Pourtant, malgré cela, nous demeurons un peuple à l’imaginaire fortement habité par « le gars de la shop ». Ce dernier produit des biens tangibles, mesurables, il offre un rendement quantifiable, etc. En fait, il représente l’aboutissement de notre obsession à tout vouloir compter, mesurer. Dans cette nébuleuse, tout ce qui est difficilement quantifiable devient suspect. Il en est de même du travail de l’écrivain, un travail doublement suspect que force est de constater que les Québécois lisent peu. Un « best seller » c’est 5000 livres vendus ! Wow ! Il y a de quoi rendre nos auteurs millionnaires !
Enfin, si le Québécois moyen lisait d’avantage, peut-être n’en serions nous pas à nous échiner sur la valeur relative des écrivains et des charpentiers ?
Moi, les manuels et les intellectuels, je les aime bien tous les deux. Je ne voudrais pas que mon auteur préféré fasse l’installation de mes fenêtres neuves, cependant je suis bien content de le lire, alors que mon menuisier préféré s’adonne à son art dans mon salon !
Vraiment, Nicolas Dickner est une belle découverte pour moi. Un gars qui ne se prend aucunement la tête avec le succès, un observateur franchement intelligent de notre société, un auteur d’autant plus méticuleux et inspiré qu’il sait aussi se laisser porter par la vague de sa passion. Jusqu’à mettre des chapitres entiers à la poubelle pour tout recommencer. Ainsi ne me gênerai-je pas pour le féliciter chaleureusement pour fameux « tour du chapeau » qu’il vient d’accomplir. En effet, pour son premier roman (il avait déjà écrit un recueil de nouvelles), le très puissant «Nikolski», Dickner s’est vu décerner coup sur coup le prix Anne-Hébert, le Prix littéraire des collégiens et le Prix des libraires, pour la section Québec. Trois honneurs mérités sans aucun doute, pour l’indéniable pertinence de son propos et la grandeur subtile de son style. On n’a pas fini d’en entendre parler! On peut dire du journal Voir qu’il a du flair pour se dénicher des collaborateurs de premier rang, qui vivent de culture et d’eau fraîche.
Aussi plusieurs s’étonneront-ils de le voir ici, en ces pages (Web ou papier), douter de l’utilité de l’écrivain. Et qui plus est lorsqu’il se trouve en face d’employés de la construction ou d’hommes en salopette, engagés pour remettre à neuf le paysage ambiant. Alors que, en d’autres lieux et surtout en d’autres façons, celui qui vit de littérature s’applique habituellement à retaper le paysage intérieur d’on ne sait trop qui. Bien sûr que ce n’est pas quantifiable, mais c’est aussi louable. La société contemporaine accorde une importance démesurée à la colonne des rentrées d’argent et des avoirs, alors que ce qui compte réellement est la valeur humaine du travail.
Alors j’embarque: pourquoi ne pas créer simplement une semaine des artistes et des créateurs en salopette? À voir leur nombre, ça nous rappellerait à quel point ils sont des porte-parole formidables de l’essence même de ce que nous sommes, nous, les hommes. Et au diable les chihuahas!
On aime vivre de nos passions. Le travail occupe les trois quarts de notre vie active. Autant aimer se lever le matin. J’ai eu cette chance d’adorer ce que je fais, mais comme les écrivains, plusieurs métiers souffrent de non reconnaissance. Le métier de professeur entre autres, On gagne trop cher, on embête les parents avec nos problèmes, on a trop de vacances, on est paresseux, on est toujours en congé ( les journées pédagogiques sont des jours de mots croisés ou de danses en rond), on ne donne pas assez de devoirs, on en donne trop, on est trop mou, trop autoritaire. Bref, on est moches. Et parfois, on se snet comme ça. Au moins, quand on est écrivain, il y a toujours la possibilité de la notoriété, du veudétariat…Nous, nous sommes des travailleurs de l’ombre. Mais je sais aussi que plusieurs professions souffrent d’une mauvaise évaluation des autres membres de la communauté. Ce que je sais aussi, c’est qu’on a besoin de tous pour former une société équilibrée. Bravo aux écrivains, aux artistes, aux professeurs, aux sercétaires, aux infirmières. Bravo à tous d’être solidaires.
C’est avec bonheur que je retrouve énoncé de façon humoristique dans cet article de Nicolas Dickner ce qui fut une des révélations de mon cours de création littéraire.
À savoir que les obstacles susceptibles de paralyser l’esprit créateur ne proviennent pas de l’extérieur mais bien plutôt de nos dispositions personnelles.
J’avais appris avec stupéfaction que les différents types de freins à la créativité pouvaient être surmontés. Encore fallait-il les identifier. Hélas, la mémoire étant une faculté qui oublie, je viens de me rappeler que les nombreux doutes qui m’assaillent en relisant un de mes textes découlent de l’intervention trop rapide de l’esprit critique. Pour créer, il est essentiel de suspendre pour un temps son jugement, de le remettre à plus tard car les idées nouvelles sont fragiles et n’ont pas le poids de la tradition. Faire intervenir l’esprit critique trop rapidement dans le processus créateur risque de faire voir les points faibles et de faire s’enfuir les bonnes idées.
Milles raisons logiques s’acharnent à faire japper le « chihuahua intérieur». L’une d’entre elles, et non la moindre, étant ce qui me semble être au centre des préoccupations de l’auteur : croire que l’on n’est pas créatif ou utile.
Après avoir lu et entendu le discours sur «l’inexportabilité» de la littérature québécoise, suscité par les propos de David Homel, ne soyons pas pessimistes et rappelons-nous qu’outre l’éducation ou l’autorité qui sont hors de notre emprise, tous les autres freins à la créativité relèvent d’une estime de soi déprimée.
Si un écrivain talentueux comme Nicolas Dickner s’interroge sur la pertinence du rôle de l’écrivain dans la société, que dire d’écrivains non publiés ! Il y a au Québec une profusion d’oeuvres de fiction de qualité, ce n’est donc pas l’imaginaire qui est en déficit, mais la reconnaissance publique. Merci d’avoir partagé avec les lecteurs de Voir vos appréhensions si humaines mais surmontables.
Nul besoin de chercher bien loin pour se faire une idée de l’utilité d’un écrivain, du moment que celui-ci est accablé d’un nom perdant. Car il faut bien avouer que écrivain / écrit vain, c’est assez mal parti… D’ailleurs, qu’avons-nous à faire de ces marginaux qui veillent tandis que les gens normaux roupillent? Qui a besoin de ces coureurs de chimères et de mots inconnus? Tandis qu’un plombier, un mécanicien ou un jardinier, voilà qui sert! Mais un écrivain, la société peut toujours s’en passer sans qu’il n’y paraisse le moindrement. N’est-ce pas?
Évidemment, il faudrait se faire à l’idée de parler plus souvent plomberie, huile à moteur ou engrais; oublier ces films aux intrigues captivantes qui nous passionnent; s’endormir la télécommande de la télé à la main plutôt qu’un bon livre (remarquez que cet exemple est assez mal choisi car c’est déjà ce qui arrive souvent…); voir péricliter nos langues qui ne s’appuieraient plus que sur le verbal; et votre libraire devrait se faire plombier, et votre bibliothécaire mécanicien. Enfin, une autre fois si l’occasion se présente, je vous toucherai quelques mots sur l’utilité du peintre, pas celui qui peinture votre salon, plutôt celui qui peind la toile que vous y accrochez ensuite…
Peut-être suis-je un peu naîve, mais comment vivre sans les écrivains (et pas seulement ceux qui publient des romans)? Ce sont les écrivains qui écrivent les livres, les pièces de théâtre, les chanson, les scénarios de film, les chroniques du Voir…. Comment vivre sans toute cette stimulation intellectuelle… et qu’est-ce qui nous distingue des animaux, si ce n’est que notre pouvoir de créer?? Alors, pourquoi chercher plus loin l’utilité de l’écrivain, il sert à nous prouver que nous ne sommes ni chihuahua ni gorille, nous sommes artistes!
Je suis sensible M.Dickner à votre interrogation sur l’utilité de l’écrivain dans notre société axée sur l’efficacité et la rentabilité.S’il en est une qui ne la mets pas en doute,c’est moi qui m’abreuve à cette source depuis l’âge de 12 ans(âge où on me confisquait ma carte de bibliothèque parce qu’ON trouvait que je lisais trop).Je rêvais plus tard de devenir écrivain mais ON m’a dirigé vers la rentabilité et les bras de mon orienteur professionnel en sont tombés.J’ai toujours continué de lire et d’écrire mais pour mon plaisir personnel jusqu’au moment où j’ai commencé à écrire des commentaires pour Voir.Timidement au début et avec un peu plus d’assurance avec le temps.En lisant votre commentaire sur votre malaise face aux hommes en salopette,la question qui m’est venue à l’esprit est celle-ci:avez-vous pensé à poser votre équation à l’envers?Si non,c’est que vous croyez que l’écriture n’appar-tient qu’à l’écrivain.
Personnellement,je travaille dans le bruit et la fureur.Un service d’urgence n’est pas un endroit de tout repos.Certes,il nous arrive de » sauver des vies » comme se plaisent à dire les jeunes qui ont trop écouté la série « Emergency » mais c’est un stress continuel.Alors le soir,lorsque je rentre et que je retrouve mon bureau et mes livres(un beau bureau qui ne déparerait pas ceux qu’on voient dans les revues littéraires intitulés « Pénétrez dans l’univers de tel ou tel écrivain)ce n’est pas mon « chihuahua » intérieur que je dois faire taire mais le tintamarre extérieur qui m’a habité durant 8hre ou plus si j’ai fait des heures supplémen-taires.Donc, je m’installe et je tente de trouver l’inspiration.À tout prix,je dois éviter de lire ce que les autres ont écrit sinon c’est la paralysie.Puis l’amour des mots me revient et je finis par pondre un texte qui me semble plutôt bien.Verdict du lendemain;intéressant mais pas TRÈS intéressant.
Alors M.Dickner,je pense que vous avez de la chance.Vous ne serez pas très riche d’argent mais vous êtes riche de temps…
Lors d’un épisode de la série Un gars une fille les scripteurs avaient eu le génie de nous présenter deux déménageurs; lorsqu’ils étaient en contact avec leurs clients, ils parlaient gras, ils parlaient cul mais dès qu’ils se retrouvaient seul, Kant affrontait Nietsche. Je parle de génie parce que cette double vie est la réalité de maintes personnes. Pourquoi cette inadéquation, en vous, entre le travailleur intellectuel et le travailleur manuel?
Pourquoi distinguer l’écrivain de l’homme de la construction? Je peux certes faire dans la métaphore: l’écrivain construit son récit; il érige une charpente (livre) puis il met ça et là des poutres (chapitres) sur lesquels prennent appuis les solives (épisodes). Il érige les murs, définit les pièces (personnages) etc.
Puisque vous avez l’opportunité de vivre de votre écriture, Dickner, cessez de vous sentir coupable! Le succès que vous méritez tant, puisque vous êtes un écrivain non pas remarquable mais bien Exceptionnel, c’est-à-dire faisant partie de l’exception, de ceux-là dont l’on dit : celui-là je l’attendais, ce succès qui vous permet de vivre de votre plume et qui vous autorise à vivre dans un univers exclusivement livresque ne vous éloigne pas pour autant de la vie. En tant qu’écrivain, vous sondez la vie humaine et la réfléchissez sur des pages.
Je peux affirmer que votre commando de poètes à la truelle existe bel et bien. En tant que membre de cette armée (occupant un emploi de col bleu), j’avoue que la perception que la population a à mon égard ne me valorise en aucun cas. Je me sens un moins que rien en bien des occasions, autant que lorsque je m’assieds devant une table dans un salon du livre et que je m’interroge : pourquoi ces gens se pâment devant moi tandis qu’ils me méprisaient, ce matin, lorsque je récurrais des cuvettes de toilette; je suis le même homme… Je suis le même homme…
Einstein l’a dit: « Tout est relatif à la position de l’observateur ».
Si l’observateur est placé dans une position avantageuse, entouré de ses semblables, il fait alors partie d’un centre de masse qui attire à lui d’autres semblables, et qui repousse les particules de signe opposé. Au contraire, si vous êtes un être isolé, éloigné de tout centre de masse constitué de vos semblables, vous risquez fort bien de vous retrouver rejeté par chacun de ces centres de masses.
Bon, ça ce n’est pas d’Einstein, mais on peut avancer qu’il l’avait pigé.
Les conséquences de ce phénomène, en société, sont les suivantes : lorsqu’un artiste se retrouve mêlé à une bande de gros bras, il passe au tabac, sa sensibilité souvent trop différente de celle de ces sans-cours ne passe pas le test et il devient risée. Si le groupe est d’âge scolaire, il risque fort bien de se faire faire le coup du « wee-gee ». Si c’est un ouvrier qui se retrouve dans un cercle de snobs, il fait rire de lui, son manque de culture en fait un dindon de la farce alors qu’on peut lui faire avouer en souriant qu’il est un troglodyte.
Ce qui est beau, c’est quand on fait des agencements qui n’apparaissent pas à l’oil nu : ainsi, il existe des groupes qui rejoignent ensemble gros-bras, artistes, ouvriers, chômeurs et intellos. Bien souvent, ceux-ci se forment autour d’une passion commune, comme quoi il n’y a rien de mieux que l’amour pour rassembler les gens (c’est d’un kitsh.). Souvent, c’est le manque de connaissance sur l’autre et sa façon de vivre qui mène aux impressions, et les impressions mènent ensuite aux préjugés.
Qui se ressemble s’assemble, l’habit ne fait pas le moine et jamais deux sans trois.
Lorsque, l’on catégorise systématiquement, la salopette contre la plume à l’encre, c’est peut-être bien, que l’on cache, un fond de racisme de classe sociale! Et oui, provenant de vieilles idéologies remplies de fils d’araignée!
«Qui s’instruit, s’enrichit!» (Lesage). Une vision intéressante des années 60! Afin de motiver, les québécois à devenir, plus, que de simples porteurs d’eau!
Mais, vous en conviendrez, qu’il faudrait en 2006, cesser, d’opposer «le manuel de l’intellectuel»! Il faut absolument avoir ces deux types d’individus, pour qu’une société s’équilibre, l’un ne fonctionnerait pas sans l’autre!
D’une part, si on lorgne du côté de «l’intellect à l’état pure», est-il encore possible, de vivre que de l’écriture? Possible! Quelques uns, qui se comptent sur les doigts, d’une seule main! Et les autres? Ils font, toutes sortes de choses! Cela va, de la rénovation de garage, jusqu’à laver le plancher!
D’une part, «les gros bras à boite à lunch»! Vous savez, quand on gratte, un temps soi peu, dans nos origines, nous trouvons aisément, de la terre, sous nos ongles! De plus, s’il fallait nourrir sa famille, on pensait davantage à cultiver ses «patates», qu’à
étudier «Beaudelaire»! Souvent, ces mêmes personnes, lisaient péniblement « L’Élan d’Amérique, ou Menaud, Maître Draveur»!!! Ou s’amusaient, à écrire sur des de vieilles feuilles, quelques lignes de poésie. (M Lalonde, G. Miron, etc.)
«Pendant, que bien au chaud, tu pouvais étudier, ben, c’est des gens comme moé, qui bûchaient, le bois pour te réchauffer!» (T. Lecorc)
«L’habit, ne fait pas le moine», mais il sert, encore de jugement d’intention, à ceux qui n’ont justement que cela à faire «penser»!!!