Le poignet est une penture anodine mais essentielle. On n'oserait dire que la littérature repose tout entière sur ce détail de l'anatomie – cela ferait de l'écrivain un cousin du gymnaste -, mais on peut certainement penser qu'il s'agit du maillon faible de l'affaire. Disposerait-on du talent le plus vigoureux, on demeure toujours à la merci de la mécanique: les poignets viennent à flancher et c'est toute une carrière qui est compromise.
La prévention est le noeud de l'affaire. Dans le métier, chacun s'entretient la charnière avec sa petite recette personnelle. Le dramaturge s'étire le long supinateur. L'essayiste se masse le canal carpien. Le poète pratique l'onction de la jointure. Plus fantasque, le romancier se plante l'avant-bras dans la glace.
Pour ma part, j'ai trouvé une excellente méthode pour changer le mal de place: après le dîner, ma blonde et moi allons jouer à la pétanque.
Nous disposons du gravier idéal à deux minutes de marche: dissimulé entre l'église et la ruelle, entretenu avec soin, ombragé par une paire de mystérieux arbres à gousses, et éclairé dès la brunante si l'envie nous prend d'un tournoi nocturne. Unique pépin: nous y jouons en qualité de squatteurs et il arrive que monsieur le bedeau, fasciste courtaud mais ventru, vienne nous déloger à coups de râteau. La perfection n'est pas de ce monde.
La pétanque, en plus d'oxygéner la musculature compliquée de l'avant-bras, est proche parente de la littérature. Je vous entends déjà vous ébaudir, lecteurs sceptiques. Considérez l'analogie sans préjugé, vous verrez qu'elle s'impose.
Premièrement, les deux disciplines appartiennent au domaine de l'inutile et de l'injustifiable. Elles juchent au sommet de la pyramide de Maslow, plusieurs dizaines de perchoirs au-dessus des impératifs de survie, parmi les Vénus de Milo et autres volatiles sophistiqués. Écrire, lire et pilonner le cochonnet remplissent les mêmes fonctions: cela aide à vivre, à comprendre le monde, à cohabiter, à grandir – bref, cela structure nos identités individuelles et tribales.
Pétanque et littérature sont aussi nécessaires qu'inutiles.
Les deux sports se pratiquent sur la place publique – qu'il s'agisse d'une agora métaphorique ou d'un espace municipal non pavé, idéalement bordé de platanes indigènes. En pétanque comme en littérature, on se livre à l'appréciation (voire à la vindicte) populaire. Chaque citoyen possède une connaissance quotidienne des matériaux de base – langage, techniques narratives, forces gravitationnelles – et, par conséquent, cultive une opinion sur la question.
Attention! Le premier venu n'est pas pour autant autorisé à proférer n'importe quoi. Praticiens et spectateurs traitent la situation avec le plus grand des sérieux. L'acte est solennel, théâtral, il touche au sacré. Une stricte hiérarchie règne autour de l'aire de jeu, fondée sur l'adresse, l'éloquence, le pedigree et l'âge du capitaine. D'ailleurs, dans les deux disciplines, on fait figure de jeunot jusqu'à 50 ans.
Des règles fort compliquées régissent les deux sports, que personne ou presque ne suit à la lettre – sauf lorsque d'importants intérêts financiers sont en jeu. La réussite est par ailleurs hasardeuse: elle dépend autant de votre dextérité que des aléas du terrain. Un caillou à peine sépare la bévue du coup de maître, ce qui incite à l'humilité.
Soulignons enfin le caractère essentiellement intangible des deux activités. Ne nous laissons pas leurrer par la souplesse du papier ou le poids de l'acier: l'enjeu se trouve ailleurs.
Autrement dit: le désir qui naît de la pétanque, tout comme le désir insufflé par la lecture, ne se répercute pas forcément dans le monde réel. Les deux sports se déroulent dans le for intérieur. Pétanque et lecture sont les affleurements d'une vaste joute secrète, qui se déroule 20 000 lieues sous le macadam. Ou au-dessus des cumulostratus. Dans un monde parallèle.
J'en connais qui, à l'occasion d'un pèlerinage chez le père Giono, à Manosque, revinrent au Québec avec une soif intense de pétanque. Ils se procurèrent illico une panoplie idoine dont les boules, à ce jour, n'ont pas encore touché le gravier. Elles hibernent dans un placard, idoles méridionales à qui l'on offre miel et alcool fort, tabac, patchouli, petite monnaie. Bref, elles remplissent leur rôle.
Terminons sur un conseil pratique: le petit pastis (pas trop coupé) nuit parfois à l'exécution, mais jamais à l'inspiration. On se gardera toutefois d'honorer l'anis trop tôt dans la journée: il reste toujours des chapitres à écrire.
Ça m`amuse que de plus en plus de québécois s`àdonnent maintenant à la pétanque.
Petite, j`habitais St-Léonard et c`est là que j`ai découvert ce sport dans les parcs avoisinants. À peine quelques Québécois osaient s`y risquer car les membres des clubs étaient à majorité d`origine italienne.
La pétanque est sport complet qui exige de la discipline, de la pratique et de la stratégie.Excellent moyen pour tenir la forme physique mais également psychologique.
Vélo, natation, marche, tennnis ou pétanque, peu importe, l`important, c`est de bouger, non?
La lettre est importante. Un changement de lettres et votre monde chavire. Je m’y suis fait prendre d’ailleurs. J’ai cru voir un badeau où il y avait un bedeau, ce qui semblerait faire toute la différence, surtout quand il est fasciste, courtaud et ventru (sic). Et particulièrement, quand vous tentez de détendre vos radius et semi-lunaire en visant la boule sur le cochonnet. Ne serait-ce de ce bedeau, se formerait certainement une agglomération de badeaud pour la rareté de l’occasion de voir à l’oeuvre un homo sapien cumulant deux fonctions aussi nécessaires qu’inutiles, la littérature et la pétanque !
Quand je pense que je n’avais pas encore remarqué cette évidence. Vous m’ouvrez l’oeil, en l’occurrence, le grand viseur de cochonnets. L’oeil plus agrandi, je ne manquerai plus mon coup, frôlant ma cible, sans la heurter, comme en ce moment même où je devise, essayant de charmer sans lasser. Les deux fonctions exigent une dextérité complète : manuelle et intellectuelle et se gagnent à la force du poignet.
Vous ne décevez personne en pratiquant la prévention ; au lieu d’engloutir votre poignet dans la glace, vous le déliez dans le balancement de la bille géante. Cela tombe bien, j’aime tellement la prévention, pour ma croyance qu’elle fait la différence entre l’homme et la bête. Ou plus clairement encore, entre l’électeur et le gouvernement.
Je retiens la leçon, même si le terrain planche et garni de gravier se fait rare sur ma colline. Par contre, ni bedeau, ni badeaud à l’horizon !
Désolé de vous contredire,mais je crois qu’il y a autant, sinon plus de différences que de ressemblances entre ces deux disciplines.
Habituellement, la pétanque se joue en équipe alors que la littérature s’écrit seul, et le lecteur est presque toujours seul à s’enfoncer dans l’imaginaire ou la réalité d’un auteur. De plus, les spectateurs de la pétanque sont souvent les autres joueurs, ceux de l’équipe ou les adversaires. Le lecteur est rarement un écrivain, sauf peut-être un écrivain frustré. Alors que les joueurs de pétanque tentent de se surpasser et de s’émuler, le lecteur envie l’auteur d’avoir le talent de mettre son imagination sur papier d’une aussi belle façon.
Les joueurs et spectateurs de pétanque se rencontrent, se parlent, s’engueulent et fêtent. L’auteur et le lecteur ont rarment la chance de fraterniser ou de s’engueuler. Comme vous le voyez, Nicolas, la pétanque et la littérature sont très différents, non?
Mon association pour l’écriture tend plus vers le badminton, parce que le jeu implique deux interlocuteurs qui se lancent le volant, comparativement à la pétanque où on vise une autre boule. Le poignet s’active autant sinon plus, tout le corps s’accélère et permet une plus grande détente, au moment d’écrire suite à cette activité.
La distance entre le badminton et l’écriture se veut probablement plus grande cependant, vu l’état d’esprit plus similaire entre la pétanque et l’écriture. D’un calme intense avec une concentration maintenue, comparativement aux gestes émotifs et brusques du badminton. Par contre, l’émotion vive et l’écriture se rapprochent du but.
Désolé, mais je dois vous quitter, on m’attend pour un match de badminton. Le dernier de la saison, mais non le moindre, une traductrice y sera, très forte à ce sport. Un garçon du club vidéo également, qui remplace une autre traductrice et enseignante, partie en France pour voir sa famille.
Quoi de mieux que de ne rien faire, hum? Rien d’utile, ou de nécessaire, j’entends. Perdre son temps comme si on avait à revendre. Avec un pastis? Bonne idée – mais que l’eau soit bien fraîche, alors! Et un petit livre de Pagnol en guise d’accompagnement, encore mieux. En un rien de temps, on aura sombré dans un total avachissement. Le bonheur, quoi.
Ce qui est curieux avec tout ça, c’est à quel point se rendre inutile de temps à autre peut aider à retaper la carcasse. D’autres s’imaginent qu’il faut s’esquinter à courir ou à soulever de gros machins, pédaler ou faire des longueurs de piscine. Vraiment? La recette de Nicolas Dickner me semble bien meilleure: pastis et pétanque. Effort minimal, plaisir maximal. La pétanque est en effet un jeu presque aussi inactif que de ne rien faire, d’où sans doute son effet bénéfique sur le système. Et, sans même vous en rendre compte, vous vous régénérez en un rien de temps.
D’ailleurs, n’avez-vous jamais remarqué que la plupart des joueurs de pétanque ne sont plus tout à fait dans la fleur de l’âge? C’est un peu comme si ce jeu contribuait à ajouter du temps au compteur… Du temps pour la lecture de plein de livres, par exemple, ces livres en si grosse quantité que jamais vous ne parviendrez à en faire le tour. Mais pastis et pétanque aidant, peut-être arriverez-vous à en lire plus qu’autrement… Serait-ce là le secret de la longévité? Pastis et pétanque, sous prétexte de se délier le poignet? Si tel est le cas, vous aussi voudrez peut-être joindre l’inutile à l’agréable…
Ha! le fameux mal du poignet… n’est-il pas atroce lorsqu’il survient au beau milieu d’un paragraphe particulièrement passionnant et stimulant? J’ai tenté l’expérience de changer le mal de place avec le violon… Un échec presque total que je ne recommande pas. Celui-ci fait souffrir encore plus les avant-bras au lieu de les endurcir. Mais bon, il pratique une autre forme de créativité et fait mal aux oreilles au lieu de fatiguer les yeux… Qui aurait cru que le violon est un sport dangereux qui détruit les articulations et l’ouïe?
Vaut mieux s’en tenir à l’écriture pour garder la santé!
« Pétanque et littérature sont aussi nécessaires qu’inutiles »… C’est la phrase de ce texte qui a attiré le plus mon attention. Elle m’a fait me rendre compte que la plupart des actions que nous posons peuvent être soit inutiles, soit nécesaires, mais que la majorité sont les deux à la fois… aussi paradoxal que cela puisse paraître ! Je vais donc ponctuer mon texte de quelques exemples, puisque bien qu’inutiles pour certains, cela peut s’avérer nécesaire pour d’autre !
Le premier exemple qui me vient en tête est la nourriture ; il faut manger pour vivre, c’est vrai, mais pourquoi se contenter de pain sec et d’eau ?!? Aussi bien se régaler de salade de canard agrémentée d’une vinaigrette aux framboises fraiches comme entrée, suivie d’un potage aux carottes et fines herbes, de homard ou de filet mignon comme plat principal et, finalement, d’un gâteau chocolaté à l’extrême comme désert. Bien entendu, il n’est pas nécessaire que la nourriture soit un délice pour permettre la survie, mais quel plaisir !!!
Comme autre exemple, je me dois de nommer les relations inter-personnelles, car à moins d’être un hermite vivant perdu dans la toundra, il est essentiel d’entrer en contact avec d’autres personnes, que ce soit pour commander une pizza, acheter des vêtements ou contester une contravention. Mais toutes ces personnes que nous croisons chaque jour sont-elles vraiment essentielles à notre survie ? Personnellement, si j’avais le choix de rencontrer ou non ces personnes pour passer du temps avec elles, je ne crois pas que je considererais nécessaire de les rencontrer ; je préfèrerais de loin passer du temps avec une personne que j’affectionne… et aller jouer à la pétanque avec elle !
J’ai grandi sur un terrain de camping, non loin mais bien particulier : Le camping le St-Laurent à St-Michel de Bellechasse. Essayez de dire à vos amis de la ville, que chaque dimanche matin, après avoir trop fêté à la soirée de danse en ligne, que l’interphone du camping vous réveillait, semaine après semaine, en annoncant que le tournoi de pétanque sur la plage allait débuter à 9 h 30. Tous les joueurs étaient priés de se présenter pour donner leur présence à la salle comunautaire. Je me suis longuement demandé pourquoi ils l’annonçaient à toutes les fin de semaine… pour finalement comprendre que parfois, le tournoi se jouait parfois sur le mou (la plage) ou sur le dur (le terrain de pétanque).
Donc, ce que j’ai aimé lire votre article.
Et le poignet, lorsque je suis couchée sur ma chaise longue, à lire mon livre, le bras qui tremble è force de retenir les pages, les lignes de plis de bras rouge soleil et le sang coincé, attendant avec impatience la prochaine page qui sera tournée…
ha… que c’est bon de lire…
Jusqu’à tout récemment, j’avais toujours perçu la pétanque comme un jeu de vieux tels le croquet et le shuffleboard. Force m’est d’avouer que finalement, ce jeu n’est pas si endormant et facile que je le croyais au départ. Stratégie, précision et rivalité sont au rendez-vous. et vous forcent à sortir prendre l’air dehors. À Montréal, je ne cesse de croiser des jeunes adultes qui s’adonnent à ce sport né à l’époque de l’Antiquité. Le sport a traversé les générations, mais la communication entre celles existantes est parfois difficile. Les maîtres des boules qui ont acquis leurs lettres de noblesse avec l’âge n’aiment pas qu’on piétine leur terrain sacré rabrouant souvent les oreilles des jeunes qui s’y aventurent.
Dans le domaine de la littérature, tout comme dans celui des boules et du bon vin, il semble qu’on s’améliore en vieillissant et qu’il n’y a point de salue en dessous de la barre des 45 ans. Les fringants jeunots doivent se faire une place au soleil parmi des icônes du milieu bien établies qui ne donnent pas leur place.
Aux jeunes aventuriers des terrains de pétanque et de la page blanche; bonne chance!
Avez-vous déja joué a la pétanque?
Si vous répondez non, et bien vous ne pouvez savoir ce que vous manquez.
C’est un sport d’équipe pour lequel nous n’avons que 2 chances de réussir pour chaque tour (a moins de jouer en doublette).
Un coup manqué peut résulter en plusieurs points pour l’autre équipe, a moins d’avoir un bon pointeur.
Est-ce pareil pour un écrivain? Et bien non, car si le livre n’est pas apprécié, il n’y a pas de deuxieme boule qu’on peut jouer, et c’est l’échec.
Alors, sortez vos boules et allez jouer au parc.