Pour un écrivain, la correspondance est un peu comme le Scrabble ou les mots croisés: il s'agit d'une figure imposée, d'une seconde nature, d'un exercice, en somme, auquel il doit obligatoirement exceller.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, j'ai conservé la totalité de ma correspondance électronique des 12 dernières années. Je crois même avoir une copie, quelque part sur une vieille disquette 3,5 pouces, de mon tout premier courriel, écrit à l'automne 1994.
J'ignore combien de dizaines de milliers de messages mes archives contiennent. J'ai traversé de très intenses périodes d'activité épistolaire (une tendance que je tiens de ma mère). J'ai longtemps mitraillé des lettres-fleuves sur une base quotidienne, missives magiques qui filaient comme des balles, dans toutes les directions, grâce à la technologie numérique.
Les choses ont bien changé, hélas.
J'entretiens désormais une relation ambiguë avec le courrier électronique. Je souffre d'une incapacité chronique à gérer mes courriels. Chaque nouveau message est une nouvelle menace. J'ai d'ailleurs établi, avec les années, une ligne d'action fort simple: ne pas me casser la tête. Ne pas classer les messages. Ne pas y répondre.
Je suis devenu (j'hésite à l'écrire) un piètre correspondant.
Je pourrais certes accuser l'austérité du courrier électronique. Disons les choses crûment: malgré 12 ans d'Internet, je m'accroche à une image primitive de la correspondance.
Connaissez-vous 84 Charing Cross Road? On m'a mis ce bouquin entre les mains au Salon du livre de Rimouski, en 2002. Ce livre-culte reprend quelques-unes des mémorables lettres que s'échangèrent Helene Hanff, dramaturge new-yorkaise, et Frank Doel, bouquiniste londonien.
Cette illustre correspondance débute en 1949, alors qu'Helene Hanff tombe sur une annonce de la librairie Marks & Co. dans le journal. Elle écrit aussitôt dans l'espoir d'acquérir certains titres épuisés, que Frank Doel dénichera avec une redoutable efficacité.
Au fur et à mesure que se multiplient les commandes, la correspondance déborde du simple cadre commercial. Les lettres se remplissent de conseils littéraires, de nouvelles personnelles, de potins et de digressions érudites, tout cela ponctué par l'humour irrévérencieux d'Helene Hanff. Nous assistons à la naissance d'une amitié invraisemblable, entre deux personnes profondément différentes qui ne se rencontreront jamais.
À la mort de Frank Doel, en 1969, Helen Hanff décide de publier une partie de leur correspondance en guise d'hommage. Ironie magistrale: alors que son oeuvre officielle reste méconnue, ce petit recueil de lettres lui apportera une notoriété mondiale.
Je me demande quelle forme cette correspondance prendrait à notre époque. Serait-elle seulement possible? J'ai l'impression que le courrier électronique a dévalué les échanges épistolaires. Vieille leçon d'économie: l'augmentation de la puissance de production se traduit souvent par une dépréciation du produit.
Curieux paradoxe, vous l'avouerez.
Comme plusieurs d'entre nous, je m'ennuie (très vaguement) de cette pittoresque époque où le courrier était scellé dans des enveloppes, trié à la main, expédié par bateau. J'ai mes raisons, notez bien. Je ne crois pas que la correspondance traditionnelle soit plus romantique ou que l'attente d'une réponse nous enseigne à apprécier la valeur du temps qui passe.
En fait, je m'ennuie de l'imperfection.
Le courrier traditionnel ne brillait pas seulement par sa lenteur: il était également approximatif et hasardeux. Les causes de retard se multipliaient à chaque étape. Si une lettre tardait – ou mieux encore, si elle disparaissait totalement -, les excuses ne manquaient pas. Vous pouviez invoquer un paquebot coulé au large de Bornéo. La seconde guerre italo-abyssinienne. Une grève des postiers en Irlande.
Aujourd'hui, plus personne ne peut brandir ce genre d'excuses. Si la correspondance traîne, on accuse le serveur SMTP, les virus, les explosions de disque dur – mais ces explications ne bernent personne. Nous savons bien, au fond, que la faute revient le plus souvent à l'interlocuteur.
Nous sommes les seuls responsables, désormais, de toutes ces lettres en retard.
Je n'ai plus la moindre excuse pour le plus ancien message qui croupit tout au fond de ma boîte de réception, auquel je n'ai jamais répondu et que je n'ose pourtant ni effacer, ni ranger. Il date, ce terrible message, du 5 septembre 2003. Il est si vieux, si en retard, que je n'ose même plus y penser – et il traîne là, sujet de honte et d'opprobre.
Si d'aventure cette personne se reconnaît, qu'elle me fasse signe.
Contrairement à vous, j’adore les courriels. Pour moi, c’est mon péché mignon. Ayant de la famille un peu partout au Québec, et aux États-Unis, je tente tant bien que mal de garder contact avec ces gens par le courriel. Car honnêtement, par courrier traditionnel, je ne le ferais pas. C’est trop long à écrire (à la main, sinon il faut l’imprimer), il faut un timbre, une enveloppe, écrire l’adresse, et surtout, attendre la réponse. Inévitablement, on se tanne d’attendre. À l’époque de ma jeunesse, j’avais une amie avec qui je correspondais une fois par mois, et comme on avait beaucoup de choses à se dire, on s’envoyait plutôt une cassette audio, sur laquelle on enregistrait 15 à 30 minutes de babillage. C’est plus intéressant, car on a les intonations de voix. On a fait cela très longtemps.
Maintenant, j’écris régulièrement à une de mes tantes, qui elle aussi, tient sa correspondance à jour. J’écris aussi par email à ma belle-soeur aux States, et certains amis qui me sont chers.
Par contre, il y a des gens qui me donnent leurs adresses de courrier électronique, je suis toute heureuse d’avoir un autre correspondant, mais plus souvent qu’autrement, après un seul aller-retour, je n’entendrai plus parler de cette personne. Elle m’enverra occasionnellement une joke, sans plus. Preuve qu’il n’est pas donné à tout le monde d’écrire des messages électroniques. Ils sont plus à l’aise avec le contact visuel et personnel j’ai l’impression.
Somme toute, je suis une accro aux courriels. Je lis tous mes messages à tous les jours et en général je réponds à mes messages à chaque jour aussi. Par contre, je ne garde pas tous mes courriels, j’aurais besoin de bien des disquettes pour les stocker.
Les lettres écrites à la main sont devenues rarissimes. Elles sont presque des objets de collection. On y perçoit le travail, la calligraphie, la perplexité, le choix des mots, l’effort de timbrer ( remarquez qu’il y a un r) l’enveloppe qu’on doit acheter. Tous ces gestes demandent une attention spéciale. Et puis, il y a cette dimension dans l’espace temps. Le voyage de la lettre peut créer de l’angoisse autant chez celui qui écrit que chez celui qui attend la lettre. D’autant plus qu’à la vitesse où l’on vit, on a le temps de changer cent fois d’avis sur ce que l’on a écrit. Par courriel aussi, bien sûr, mais on peut écrire cent fois dans la même journée alors que par courrier, cent fois…
La lettre est donc un objet privilégié. Puis, elle se conserve. Le courriel aussi, mais régulièrement on nous indique que notre boîte postale approche de l’indigestion, alors, on supprime. Pour la lettre, on regarde le papier, on sent les feuilles, on ressent une émotion plus persistante. On hésite à jeter, à brûler. Quelqu’un s’est donné la peine d’écrire.
Cher maître du paradoxe,
Quel plaisir, encore aujourd’hui, de vous lire. Un plaisir planifié, toujours à la même heure vous m’écrivez, toujours à la même, je vous réponds. Et toujours, vous me surprenez. Je commence doucement à me faire à l’idée que vous n’êtes pas fait comme tout le monde.
Cette fois-ci, le comble de mon égarement va à la conservation de vos courriels depuis l’automne 1994. Des courriels pour la plupart, et de plus en plus, non répondus.
Votre propension à la conservation, au lieu de la conversation, m’égare dans le champ vaste du paradoxe.
Je tenterai une analyse de votre comportement. Serait-ce parce qu’aujourd’hui que vous vous adressez à un lectorat hebdomadaire, ou plus espacé via vos romans, l’échange entre deux personnes, autre que votre blonde, vous stimulerait moins ? Est-ce là, la faute inavouable ? Nous serions intéressants en autant que se multiplie par centaines le « 1 ».
Le tête à tête épistolaire vous laisse froid, delà une culpabilité outrancière qui vous pousse à conserver même le plus bêta « 1 message » ? Je crois mettre le doigt sur le bobo. Ne criez pas, je vous en prie, ne criez pas ! Vous êtes un écrivain d’envergure, voilà qui excuse tout. Vous laissez à madame et à monsieur, la lettre et son papier, pour tergiverser sur l’air du temps.
Je suis cette madame. J’accours aux Correspondances d’Eastman où l’on peine encore, la langue au bout des lèvres, à calligraphier clairement une missive, encore estampillée manuellement. Je me convainc facilement que mon message compte puisqu’il se trouvera parmi les comptes du Bell et d’Hydro, cela lui conférant, d’emblée, une importance qu’il n’aurait peut-être pas.
J’espère que vous voilà un peu soulagé de votre malaise. Tissé serré à même des fibres imaginatives et liantes, vous vous devez de faire des choix déchirants. Quant à nous, notre rôle est de les comprendre.
Au plaisir d’une prochaine missive, veuillez accepter mon plus cordial « Dolce Vita » !
Madame
Vous êtes victimes, tout comme bien du monde d’ailleurs, du rattrapage technologique. Avant le doute persistait dans l’esprit de notre interlocuteur « as-t-il reçu ce que je lui avais envoyé? ». On avait un peu de liberté dans le temps de réponse. Maintenant, c’est évident qu’on l’a reçu mais si on ne répond pas, c’est parce qu’on ne prend pas le temps de le faire. Et là, tout s’enchaîne.
C’est un peu le même piège avec les cellulaires. Ha comme ils sont utiles lorsqu’on est en panne en quelque part ou bien en retard. Mais ils peuvent aussi être encombrants. Avant si on était pas à la maison, les gens nous laissaient des messages et se disaient que nous n’étions tout simplement pas encore rentré donc pas eu le message. Maintenant avec le cellulaire c’est évident qu’on a eu le message…qu’attendons-nous pour répondre???
Je suis comme vous monsieur, je suis nostalgique de l’époque de la liberté. Pour moi le monde technologique tel que je le perçois devient de plus en plus une dépendance, une menace à la liberté. Ca fait peur.
Qu’on le veuille ou non, les écrits sur papier ont une dimension concrète et romantique, que les courriels ont perdue. Les créations virtuelles ont abandonné l’aspect physique, matériel et palpable, le toucher permis par le courrier qui voyage et atteint l’objectif profondément. De plus, la nouvelle forme de message se noie dans une marée de « pourriels » et de fenêtres intempestives qui nous atteignent au même rythme que les messages affectueux.
Le geste d’écrire devient également distant de l’objet. Un clavier plutôt qu’une plume, une onde remplaçant le postier, une correspondance parmi tant d’autres, qui se perd dans un univers de glace et de lumière.
La chaleur du papier et la sensation d’être relié à son interlocuteur, font partie des moments révolus et prêts à être classés aux oubliettes. Heureusement, un des rares avantages de l’âge, pour ceux qui ont connu cette forme de communication et qui ont eu la chance de profiter d’un moment de bonheur concret, on peut inscrire cette trace dans notre histoire, peut-être même la ranger dans une valise ou un tiroir. Avant que la pensée ne devienne plus dure, plus soudaine et irréfléchie et que ne disparaissent les traces du passé, on peut encore échanger sur ce phénomène et ne pas lâcher prise sur cet acte de foi et de sensualité.
Plus je m’attarde sur votre chronique, plus je trouve romantique cher M. Dickner. Le passé est un peu comme le gazon du voisin qui est plus vert, le passage du temps le rend simplement plus beau. Vous vous ennuyer réellement des lettres envoyées par la poste ? Peut-être est-ce attribuable au fait que vous ne vous êtes jamais buté à ma calligraphie ? Je peux vous jurer qu’une telle expérience aurait tôt fait de changer votre perception du courriel !
Par ailleurs, la meilleure excuse pour ne pas répondre à un courriel demeure la surabondance du courriel qui inonde notre boite de réception. Ainsi, un courriel ne se perd pas dans la poste, mais dans l’abondance de la correspondance reçue.
Cher Dickner, oubliez-vous que sans les progrès technologiques qui nous ont mené à Internet, la partie électronique de cette chronique ne serait pas publiée hebdomadairement ?
Remarquez que pour la large part des courriels que je reçois, je me dis que le commerçant aurait dû dépenser une certaine somme d’argent pour me joindre… Quoique lorsque je regarde la masse des circulaires qui trônent dans mon bac vert…
Malheureusement pour lui le courrier traditionnel a été remplacé par un outil technologique étant mieux adapté au rytmhe effréné de notre société. De nos jours, tout le monde est pressé, personne n’a le temps d’écrire une lettre à la main, de plier la feuille de papier en trois, de la mettre dans l’enveloppe, de licher l’enveloppe (qui goutte toujours aussi mauvais), d’aller porter l’enveloppe dans la boîte aux lettre, de grincer des dents au son du grincement de la porte de la boîte aux lettres, de fermer la porte de la boîte aux lettres, de la ré-ouvrir pour être sûr que la lettre est bien tombée au fond de la boîte et, finalement, d’attendre la réponse pendant 3 jours minimum, quand il est possible de faire la totalité de la correspondance en demeurant dans la chaleur et le comfort de son foyer et le tout en moins de 5 minutes !
C’est un peu dommage, car personnellement, je trouve qu’il est plus intérressant de recevoir une lettre écrite de la main de quelqu’un qui s’est appliqué et qui a pris du temps pour m’écrire que de recevoir un couriel. Je trouve que le courrier traditionnel est plus chaleureux et personnel.
Aussi, il me faut aborder le fait qu’avec le « chat » et les couriels, la qualité du français de plusieurs personnes se détériore. C’est correct de faire des abréviations quand on « chat », mais seulement lorsqu’on sait comment écrire ce que l’on veut dire en français correct !
Il faut s’y résoudre, malgré tout les efforts de Postes Canada pour réinstaurer l’engouement collectif pour la poste traditionnelle, il n’y a que le courrier officiel (qui ne peut pas s’effectuer par e-mail) qui demeure un adepte de ce mode de correspondance.
Ces courriels occupent exactement la même place que la votre dans ma vie. Ce mode de communication, en fait, me semblent être comme un envahisseur qui me force à écrire à des gens qui, bien qu’autrefois représentaient un grand intérêt, sont maintentant sans importance. Ou peut-être est-ce cette facilité que nous offre l’internet qui enlève à ces anciens amis la valeurs qu’ils auraient pu avoir. MSN pourrait m’empoisonner la vie, car je suis de celle qui ne téléphone presque jamais, défaut qui se reflète dans mes correspondances
En effet, les courriels m’empêchent d’avoir une bonne raison pour être hermite, seule dans mon appartement à tenter d’être cohérente dans ma propre vie.
C’est tout-à-fait mignon, ainsi que très exact pour ma part, cette vision de la correspondance. Je suis bien heureuse de lire que je ne suis pas la seule à souhaiter que l’ère des courriels passe un jour, pour que nous soyons tous obligés de nous écrire à nous-même.
On dit, que l’ordinateur est dangereux. Il isole, il captive, il forme une génération d êtres refermés? Possible! L’Histoire, pourra en témoigner. Mais pour l’instant, il faut en reconnaître l’utilité! Voyager à travers l’espace-temps, franchir les frontières des pays, et communiquer! Combien, avons-nous tous, ce besoin fondamental, de pouvoir échanger? Si les relations interpersonnelles, sont difficiles à entretenir, sous forme de courriel, cela devient un charme! Et, j’oserai dire, que ce média sauve des vies humaines! En ce sens que l’isolement, pour quelque raison que ce soit, peut conduire, à toutes sortes d’idées, plutôt malsaines! Or, juste le fait : «d’écrire, et d’être sûr que quelqu’un, à quelque part, peut nous lire», devient alors un paume salvifique! Que dis-je, un thérapie au même titre, que la : «psychothérapie, zoothérapie, et autres » Or, le fait de collectionner, vos : «E-MAIL» prouve ce besoin, au-delà du désir-en-soi! Par contre : «Monsieur Dickner », loin de moi, est la pensée que vous ayez besoin, d’une thérapie? Croyez-moi! Je ne voudrais surtout pas, que l’on interprète mal, mes propos. Ceci, étant dit, toutefois, je crois que rares sont les individus, qui n’ont pas à un moment donné, de leur vie, sinon toute leur vie, ce besoin intrinsèque, d’échanger. Je possède, moi-même, de petits courriels, de 1998, juste quelques mois, avant le décès de ma mère. Juste, pour vous dire, à quel point, cela peut devenir, un témoignage de vie, d’amour, et de bons souvenirs! VIVE LES COURRIELS!!!
La correspondance par lettre, à la différence de celle par courriel, s’astreint à un certain décorum – souvent stéréotypé, remarquez bien – qui lui confère une valeur plus grande, indépendamment de ce qui est écrit. La qualité du papier, la mention « confidentielle » sur l’enveloppe, le stylo utilisé pour la signature, il n’y a rien comme une lettre pour faire bonne impression. À l’opposé, le courriel est fréquemment quelconque, importun et tutoie sans discernement ses infortunés destinataires. Avec la prépondérance actuelle du courrier électronique, beaucoup a changé. Quoique…
Le journaliste et écrivain français Alphonse Karr (1808 – 1890), à son époque déjà, se penchait avec une certaine consternation sur la correspondance, et on n’ose trop imaginer quelle serait sa réaction s’il devait s’exprimer sur la question aujourd’hui… La citation est un peu longue, mais elle est éloquente et vaut que je vous la communique:
« C’est une triste invention que l’écriture, l’ubiquité qu’elle donne aux personnes. Tel Monsieur, s’il ne savait pas à peu près écrire, serait simplement bête à Pékin; tandis que par une seule lettre, il est bête à la fois à Pékin et à Paris. »
Alors, de nos jours, cette ubiquité s’étant beaucoup plus que centuplée, on peut afficher son ignorance aux quatre coins de la planète, et cela à la rapidité de l’éclair. Une seule touche – et le mal est fait. En contrepartie, et fort heureusement en fait, l’insipidité envoyée se perdra usuellement dans un flot d’autres missives tout aussi nulles, et son auteur n’en subira que rarement le contrecoup. Mais je bavarde, je bavarde, et je vous retiens indûment, cher monsieur Dickner, alors que vous avez peut-être du courrier en retard… Je vous laisse donc sur ce.
Veuillez agréer l’expression de mes salutations distinguées,
(belle signature)
J’aime bien l’idée de recevoir une lettre écrite par quelqu’un de sa propre main. Une lettre dans laquelle des efforts ont été mis afin de choisir les mots, corriger l’orthographe, personnaliser l’enveloppe. Il est également possible de faire cela par courriel alors où est le problème?
Le problème, c’est que contrairement au courrier traditionnel, les courriels sont envoyés et reçus à la vitesse de l’éclair. Au même rythme rapide que la société dans laquelle nous évoluons. Vite, rapide, jetable.
J’ai un problème lorsque vient le temps de trier et faire le ménage dans les cartes de voeux et les lettres. Elle est palpable, concrète. Le courrier électronique par contre ne m’inspire pas le même respect. Oui, je vais pouvoir garder un courriel quelques mois, mais la technologie et ses aléas obligeant, je m’en débarrasserai sous prétexte, par exemple, que le message « date » et que j’ai besoin d’espace afin d’en recevoir d’autres. À moins de faire l’effort supplémentaire et de le faire imprimer.
La technologie est vraiment une très bonne chose. Elle permet d’épargner temps et argent lors de l’envoi de messages. Par contre, il ne faut surtout pas qu’elle devienne à ce point importante dans la vie de quelqu’un qu’elle remplace les contacts réels. Il devrait s’agir d’un outil afin de faciliter notre vie et non pas d’un quelconque espace de discussion permanent…
Je viens de terminer une lettre de mon cru écrite à la main pour ma soeur qui vient de perdre subitement son conjoint bien-aimé.
Cette lettre se lit comme une caresse.
Je sais qu`elle va la conserver et la léguer un jour à son fils qui lui la lèguera sans doute à ses enfants, lorsque le papier aura commencé à jaunir.
Pensez-vous qu`un jour un courriel pourrait dégager autant d`odeur qu`un papier fripé, autant de traces du temps qu`une feuille craquée, autant de souvenirs qu`on ne veut pas perdre lorsque l`encre commence à s`effacer rendant à la missive encore plus de valeur?
Vive le courrier et les messages écrits à la main.Incomparable à ceux transmis électroniquement.
Cher monsieur Dickner,
Je vous écris aujourd’hui pour vous exprimer le bonheur que j’ai à vous lire chaque semaine.J’aime beaucoup vos chroniques et j’aime bien y répondre même si je considère que ma prose n’est pas à la hauteur de la vôtre et qu’elle est souvent le fruit de cogitations laborieuses.La vôtre de plume semble couler avec aisance et j’en suis heureuse pour vous.Votre sujet de cette semaine me touche particulièrement pour plusieurs raisons;la 1ère est que je suis une fervente admiratrice de ce petit bijou que vous venez de découvrir et qui s’intitule « 84,Charing Cross Road ».Je dois vous avouer avoir commenté ce livre pour Voir l’an dernier et récemment,le 2e bouquin d’Helene Hanff intitulé « La duchesse de Bloomsbury Street » que je vous suggère d’ajouter à vos lectures parce que dans un genre différent,c’est également un excellent livre.La 2e raison est que j’ai envie de vous dire à quel point je m’ennuie de recevoir de vraies lettres avec un timbre poste,écrites sur du beau papier à lettre choisi avec soin.Je ne renie pas la modernité et je suis heureuse d’avoir découvert tardivement les joies de l’ordinateur mais à mon avis,en ce qui concerne l’échange épistolaire,la lettre a beaucoup d’avantages sur les courriels.L’un d’eux,est le plaisir différé.Je me souviens,que je cueillais ce trésor parmi les factures,anticipant la joie d’avoir des nouvelles d’amis chers;je la déposais sur mon bureau,je la contemplais,et j’attendais le moment propice (cigarette et café) pour l’ouvrir délicatement avec mon coupe papier.Je la lisais lentement en m’attardant sur certains passages et il m’arrivait de la relire plus tard pour en savourer l’essence.
Aujourd’hui,je reçois de nombreux courriels écrits dans un langage sibyllin qui la plupart du temps me renvoient à des pièces jointes et les états d’âme sont exprimés avec des émô-ticones.Je songe alors à l’époque où si le courrier était rare,du moins avait-il du contenu…
Recevez mes meilleurs sentiments,
Romantique ou non, telle n’est pas la question! Ce qui attire mon attention dans la chronique de M. Dickner, c’est le fait qu’il ne réponde plus aux courriels qui lui sont envoyés ET qu’il s’en sente coupable. Jamais ne dit-il qu’il n’envoie plus de messages par courriel; il ne RÉPOND PLUS, c’est bien différent.
L’envoi d’un courriel (personnel) peut être interprété comme une demande d’écriture de la part de l’autre. Un courriel peut signifier «parle-moi», «réponds-moi», ce que nous n’avons pas toujours envie de faire. Un peu comme le «je t’aime» qui est parfois une façon de demander à l’autre «m’aimes-tu»? Imaginez ne pas répondre…Embarassant!
Il est vrai que le «médium est le message» et que la somme des courriels échangés dilue la valeur de chacun. Il est vrai aussi que la correspondance électronique met en relief la seule responsabilité du correspondant eu égard à sa diligence et sa promptitude à répondre. En ce sens, le temps de la communication électronique est résolument celui de la responsabilité individuelle. Et M. Dickner nous rappelle que cette responsabilité nous poursuit jusque dans le recours ou non à la fonction «répondre» du courrier électronique. S’étant un jour dérobé à cette responsabilité, il n’en souhaite pas moins que la personne du 5 septembre 2003 se manifeste. Alors, c’est bien «répondre» et non «correspondre» qui pose problème.
La force des lettres, c’est leur caractère unique. C’est aussi de savoir l’effort investi par l’interlocuteur pour nous faire parvenir sa missive. Avec la lettre manuscrite, on prenait la peine de bien choisir son papier, on s’appliquait pour adopter une calligraphie élégante, on choisissait ses mots soigneusement. Parce qu’on savait que cette lettre ferait partie d’une série limitée.
Avec le courriel, la ponctuation peut bien prendre le bord. De toute façon, l’ordi embrouille parfois la chose. On y va pour l’abréviation, on écrit au son et on ne corrige pas ses fautes. L’objectif, c’est de vider sa boîte de réception le plus rapidement possible. Le même mot revient deux fois dans la même phrase? Tant pis. Le message envoyé sera sitôt effacé par le destinataire.
Il y en a quelques-uns comme vous qui conservent les courriels. En souhaitant que le temps leur donnera une signification plus importante. Mais ils ne font qu’empiéter sur la capacité de leur ordi d’être fonctionnel. Ils deviennent de plus en plus chargés et épuisés de voir cette série de messages qui les attend avec le sourcil froncé et le doigt accusateur. Ces courriels ne sont que des poids morts dont plus personne n’attend rien. Parce que même l’expéditeur du courriel en a oublié son existence.
Et si vous vous avisiez de répondre à ce courriel daté de 1993, soit l’expéditeur ne serait plus à la même adresse. Soit il se demanderait ce qui vient de lui arriver et dirigerait illico votre réponse dans sa boîte de pourriels!
J’ai le sentiment que la correspondance par lettres, avec les impondérables qui la caractérisent ajoutés à ceux imaginés par l’auteur, est pour l’écrivain l’équivalent d’une bouteille jetée à la mer avec son passager d’infortune, ce petit message écrit sur du papier qui se demande comment il pourra bien faire pour échapper aux flots qui le menacent à chaque instant. Le moyen pour le faire parvenir à destination ce message prend autant d’importance que sa destination finale, cette réponse espérée mais oh combien incertaine! Il y a comme une adéquation de la fragilité des moyens imaginés par le destinateur pour son message et de l’improbabilité de la réponse souhaitée de la part du destinataire. Vu sous cet angle, la correspondance loge à la même enseigne que la littérature, la seule différence étant que l’une s’adresse à un destinataire connu et que l’autre ne connaît pas ses traits. Pour les rendre équivalents ces deux modes de communication, il suffit d’ajouter des périls imaginaires à la correspondance épistolaire pour qu’elle entre de plein pied dans la littérature. Ce désir secret, n’est-ce pas celui de bon nombre d’écrivains qui entretiennent aussi un journal intime auquel ils se confient comme à un destinataire épistolaire, un autre qui serait inconnu du destinateur. Avec ce scénario de l’imprévisible, le courriel électronique fait faux bond en rendant probable par définition toute réponse à une missive pourvu que l’on ait bien tapé l’adresse du destinataire. Il est même possible de lui demander des accusés de réception et de mettre des ordres de priorité à ses messages. Le destinataire est sommé de répondre et l’on a toutes les chances pour que cette réponse soit fonctionnelle sans plus. À moins de transgresser le genre électronique, la littérature ne sera pas au rendez-vous.
Est-ce si différent aujourd’hui ? Si les moyens de communications changent, la personnalité et l’intérêt du correspondant restent les mêmes. Il est vrai qu’envoyer un courriel est d’une telle facilité que certains en abusent parfois et vous bombardent de messages qu’ils n’auraient jamais écrit s’il leur avait fallu confier leur lettre à la poste. Mais correspondre par courriel avec une personne qu’on apprécie particulièrement peut être tout aussi charmant et intense que ça l’était le 5 octobre 1949, date à laquelle Helene envoya sa toute première missive à cette pittoresque librairie du 84, Charing Cross Road.
J’imagine aisément qu’Helene et Frank pourraient entretenir une relation épistolaire par courriel tout aussi extraordinaire aujourd’hui qu’elle l’était à l’époque. Les lettres qu’ils s’échangeraient alors ne seraient pas forcément plus nombreuses. Le délai qui s’écoulerait entre leurs réponses ne serait pas non plus nécessairement moins long. Au lieu de commander par catalogue les aliments qu’elle faisait envoyer aux employés de la librairie, Helene les achèterait aujourd’hui sur Internet, les paierait avec sa carte de crédit et les ferait livrer directement à Londres. Nora lui enverrait ses photos de famille en fichiers joints à ses messages. La teneur de la correspondance entre Helene et ses amis d’Angleterre serait la même. Et l’émotion, l’amusement, la curiosité que nous aurions en la lisant en ligne seraient identiques à ceux qui nous animent quand on lit le livre.
Si le moyen de correspondre est différent aujourd’hui, la passion qui allume ceux pour lesquels écrire est aussi vital que manger et dormir ne saurait se laisser éteindre par les nouvelles technologies. Et recevoir un nouveau courriel peut être aussi jouissif qu’avoir une enveloppe dans la boite aux lettres quand le correspondant nous importe tant.