Si j'en crois mon chef de pupitre (il faut toujours croire son chef de pupitre), il ne reste plus qu'une semaine de répit avant de recevoir la déferlante automnale en pleine poire. La rentrée nous guette, mes amis, comme le requin guette l'anchois.
Profitons donc de ces derniers moments en eaux calmes pour discuter de choses tranquilles, qui ramollissent l'anatomie et plongent l'âme dans le miel.
Jasons de meubles, tiens. Et plus exactement du bureau.
Et pourquoi donc devrions-nous jaser du bureau? Parce qu'il s'agit de la dernière semaine où nous voyons sa surface, pardi! La paperasse automnale s'y accumulera bientôt, suivie des factures, des piles de bouquins, des gadgets électroniques et autres stylos promotionnels.
Mi-septembre, vous aurez perdu tout contact visuel avec la mélamine.
Pour certains écrivains, l'encombrement du bureau représente un sérieux problème. Les romanciers généralistes, par exemple, trouvent une signification professionnelle au moindre objet. On ne sait jamais par quelle mystérieuse porte l'inspiration arrivera, aussi convient-il de n'en fermer aucune.
En ce qui me concerne, je garde sur mon bureau une douzaine d'oursins miniatures récoltés sur la plage de Cap-Chat, un harmonica chinois en ré, une figurine Lego ramassée dans les ordures, un adaptateur RCA vidéo et une règle de conversion pour modélisme ferroviaire. Sans compter quelques poignées d'objets aléatoires, qui vont et viennent selon des cycles mystérieux.
On pourrait m'accuser de cultiver un désordre de bon aloi – pour épater la galerie, en somme. Détrompez-vous: ces objets n'ont rien de décoratif. En fait, plusieurs d'entre eux sont carrément invisibles, enterrés sous plusieurs épaisseurs de paperasse. Mais je sais qu'ils se trouvent là. Quelque part.
Je pourrais faire le ménage, mais à quoi bon? D'autres objets pleuvraient aussitôt. Je me suis résigné à leur présence. J'accepte leur multiplication comme une réalité de la vie. Comme on accepte les lapins et les plantes araignées.
Ces menus objets jouent un rôle difficile à expliquer.
Lorsque je peine sur un paragraphe compliqué, par exemple, ma main cherche toujours quelque chose à tripoter. Manipuler un capuchon de stylo peut aider à dénouer une phrase. Faire rouler une pile AAA entre ses doigts régularise la respiration. Mordiller le coin d'une enveloppe à bulles calme les nerfs.
Un bureau plus grand, voilà ce qu'il me faudrait. Un meuble vaste et somptueux, voire modulaire, afin d'accumuler un nombre croissant de cossins. Si la pièce s'avère trop exiguë, j'abattrai un mur. Bricolage de routine. Il suffit d'astiquer la masse, d'ajuster sa robe de chambre – et crac! Le bureau traverse désormais le salon.
Mais le salon ne fera qu'un temps – car les objets ne cessent de s'accumuler! Une collection de stylos à bille qui ne fonctionnent plus. Des tournevis. De la ficelle. Des ampoules. Un trépied de théodolite. Diverses tasses où achèvent de sécher divers breuvages.
Il faudra coloniser d'autres pièces.
Après le salon, je m'attaquerai à la chambre à coucher, j'envahirai la cuisine et le vestibule. Lorsque mon bureau occupera tout l'appartement, il faudra me débarrasser des murs extérieurs. À l'air libre se trouvent des possibilités d'expansions infinies.
Naturellement, il faudra composer avec les voisins. Il y en a partout. Je n'ose imaginer l'ampleur de la tâche: exproprier les occupants, acheter les terrains, intimider les récalcitrants, raser les maisons. Il me faudra sans doute constituer une petite milice, embaucher une douzaine de malabars musculeux, âpres de caractère mais sensibles à la cause littéraire.
Après un certain temps, je n'aurai même plus besoin d'intervenir. Mon bureau aura depuis longtemps échappé à mon contrôle. Il poussera ses tiroirs aux quatre points cardinaux, traversera le fleuve sur mille pattes-pilotis, continuera de s'étendre vers l'horizon.
Il ne reste plus qu'une semaine de répit avant la rentrée. Essayons de rester calme.
Quelle fabulation mon cher ! Vivement que la rentrée arrive, vous perdez la boule.
Il est vrai par contre, qu’un bureau est constamment rempli de cossins, j’en conviens. Par contre, pour ma part, j’en fais le ménage deux ou trois fois dans l’année. Surtout avant de partir en vacances, pour pouvoir m’y retrouver au retour. Rien de plus désagréable que de revenir s’asseoir pour y travailler lorsqu’on a un bureau déjà recouvert, où on ne retrouve rien.
Alors aux Fêtes, à la fin des classes, et quelques-fois juste avant Pâques, j’y fais un ménage bien mérité. Je retrouve à ce moment-là, des crayons que je croyais perdu à jamais. De la poussière aussi bien accumulée. Des bouts de trombones, des petites notes qui devaient me rappeler quelque chose, mais dont le temps a été écoulé pour me le rappeler, donc bon pour les poubelles.
Mais contrairement à vous, je n’ai pas besoin de cossins pour occuper mes doigts lorsque je réfléchit. Et honnêtement, je suis bien contente de ne pas avoir mon bureau près du vôtre, car je trouverais cela bien désagréable de vous voir tournoyer un bidule entre vos doigts ou faire rouler une pile AAA sur la table. Alors svp, conserver vos murs, histoire de ne pas trop embêter vos voisins.
Peine perdue, agrandir l’espace de travail est totalement inutile devant un problème aussi grand. J’ai tenté l’expérience dernièrement. Mon bureau est maintenant deux fois plus grand que le précédent. Une magnifique table de travail qui est, je crois, blanche. Par malheur, je n’ai pas pu revoir sa surface depuis plusieurs mois. Un bureau plus grand ne sert qu’à accumuler plus de trucs et de papiers. En somme, le volume de traîneries augmente proportionnellement à la surface du bureau. C’est une loi mathématique. On ne peut se battre contre les lois de mathématique.
Par contre, je trouve fascinant tous les objets insolites qu’on peut retrouver lorsqu’on prend la peine de creuser sous la surface apparente des décombres. Les souvenirs ressurgissent alors par dizaines, les numéros de téléphone oubliés, les disquettes (et oui, cet objet archaïque qui ne peut entrer dans mon ordinateur). On peut presque raconter la vie d’une personne en fouillant sur son bureau. C’est une aventure passionnante…
Et comme il est inscrit sur ma tasse de café, « Un bureau rangé est le signe d’un cerveau malade ».
Vous me prouvez, encore une fois, que vous êtes de la graine d’écrivain qui pousse, grimpe et atteint le firmament de l’absurdité, le temps que l’on prend normalement pour ajuster sa pupille pour apercevoir de la mélamine sur un bureau.
Votre imagination part de rien et se projette loin.
Voilà un attribut indispensable à celui qui aime divaguer pour inventer de l’inventif. Aussi, je n’ai pas hâte, pas hâte du tout, que le moindre recoin de mélamine soit recouvert de vos épaisses paperasses. Parce que de la paperasse, c’est connu, ça endort. Ou donne envie de fuir, loin d’une culpabilité sans « non » en face de tous ses documents qui nous dorment sous les yeux. Juste de commencer à en lire une ligne, une seule ligne et, un tiroir s’ouvre, une méninge s’allonge, un neurone répertorie, une matière grise s’affaire au classement de la chose. Car, il faut se l’avouer une fois pour toutes, une affaire non classée, n’existe pas. Un être, tout humain qu’il soit, s’il n’est pas enregistré, baptisé, recensé, n’existe pas.
C’est là notre moindre défaut. L’humain éprouve le désir d’exister, et même, à part entière. Il est d’ailleurs prêt à bien des bassesses pour ça. Et bien des tâches ingrates, comme celles de classer de la paperasse épaisse pour revoir sa mélamine, blanche, j’imagine.
Blanche, pour le rappel de la page blanche. Là où le génial est toujours possible parce que encore non étiqueté, évalué, classé. Le commencement, le début, l’entrée en matière …
La rentrée.
Rentrer où ? Qu’importe ! L’important est de rentrer quelque part. Sinon, on est rien, tellement rien, qu’on pourrait se projeter loin, très loin. Trop loin…
De son bureau de mélamine blanche.
Bof, que mon bronzage disparaisse et que réapparaisse un amoncellement de papier qui cache mes objets sacrés… bravo!
Pour espérer, désirer, il faut manquer. Or pour que les vacances me manquent, je dois travailler. J’ai, moi aussi, une kyrielle d’objets intuiles qui traînent sur mon bureau de travail. Une chandelle Snoopy, un coq portugais, une goutte de pétrole des Émirats arabes
( celle-là, je la conserve précieusement) des appuie-livres en albâtre, un cochon rose, un mouton, un lapin. Ces objets remplis d’insignifiance pour quiconque revêtent une certaine importance pour moi. Ce sont des souvenirs heureux.
L’automne arrive. Oui, c’est vrai. Mais j’aime l’automne. Pour une saison d’endormissement, ça bouge énormément.
En cette saison, je préfère la mélamine à la mélanine.
Cher Dickner, après l’épisode où vous évoquiez votre bibliothèque débordante, l’épopée de votre espace personnel s’attaque désormais à votre bureau qui, à vous lire, a des visées impérialistes sur des terrains aussi conquis que votre salon et votre cuisine. Grand bien vous fasse, mais gardez-vous d’empiéter sur la souveraineté de vos colocataires, un inévitable conflit surviendrait, ce qui en cette période trouble n’augurerait rien de bon. Toutefois, tant que votre quête d’espace demeure dans des dimensions domestiques, la paix est toujours possible. Pour preuve, pensez au fédéralisme, lui qui envahit les compétences provinciales sans trop de heurts dans ce plus meilleur pays du monde qu’est le Canada. À contrario, la quête exponentielle de votre bureau pourrait bien engendrer un conflit armé advenant que vous empiétiez sur la souveraineté de vos voisins ! Pensez à toutes ses chicanes de clôtures que recèlent nos différentes histoires familiales…
Mais enfin, vous êtes maîtres de la situation, vous en jugerez en temps opportun…
Farce à part, les mots bureau et accumulations d’objets épars semblent aller de pair. Que faire pour remédier à la situation ? Rien, surtout ne rien faire d’autre qu’un grand ménage occasionnel, car rien n’est moins inspirant qu’un bureau trop zen. Pourquoi ? Je ne saurais l’expliquer autrement par le degré de corrélation élevé que nous retrouvons entre un bureau en désordre et la quantité de travail qui s’y accomplit. Trop accaparé par les idées, l’écrivain n’a que peu de temps pour le ménage. Il lui reste toujours la possibilité de recourir aux services d’une femme de ménage, ce qui équivaut à « agrandir son bureau par en dedans ». C’est moins risqué que d’envahir les autres pièces de la maison, et c’est tellement plus pratique d’avoir une cuisine quand vient le temps de cuisiner.
Certains sont doués pour ceci, d’autres pour cela mais vous, cher monsieur Dickner, vous avez apparemment un talent inné pour continuellement aboutir de trappes de sable en dédales labyrinthiques. Vous devez, je soupçonne, passer beaucoup de temps à vous extirper d’une situation pour, immanquablement, mettre les pieds ailleurs où tout sera à recommencer… Remarquez bien que, pour un auteur, cette façon d’occuper ses journées pourra être profitable car elle oblige à des efforts d’imagination en vue de trouver la sortie.
Cette fois, vous avez entendu l’appel du vaste monde et vous vous voyez déjà y occuper autant d’espace qu’il vous en faudra. Mais, avant que vous établissiez des succursales en Chine ou à l’île Maurice, peut-être y aurait-il lieu de trouver comment mieux contenir ces fabulations qui exercent une si vive emprise sur votre quotidien. Par exemple, qu’est-ce qui cause tout ce dérangement? Le café? Trop fort ou en trop grande quantité, peut-être. Essayez donc le décaféiné pour voir, même si ce n’est pas aussi bon.
Mais vous pouvez beaucoup mieux que moi mettre le doigt sur le bobo. Moi, je ne peux qu’en constater la conséquence. Avez-vous essayé une petite musique douce? Si vous n’avez pas une aversion pour la chose, cela pourrait aider à ramener le calme. À moins que je ne fasse fausse route depuis le début et que tout l’affolement perçu au cours des dernières semaines n’ait vraiment été dû qu’à l’approche de la rentrée! Le syndrome de la rentrée, quoi. Si ce n’est que cela, ne vous en faites pas et reprenez le contrôle de vos esprits. La fameuse rentrée, ce sera déjà de l’histoire ancienne dans quelques jours.
Le bureau n’a quant-à-moi peu d’importance. Ce qu’il y a dessus par contre. L’objet du travail, avant son lieu, son essence et son leitmotiv, la passion que l’on peut y retrouver. Voilà ce qui allume vraiment et donne le goût de se présenter chaque matin au boulot.
Une vue peut être intéressante également. Voir des gens sympathiques, des arbres par la fenêtre, les montagnes ou le fleuve par chance, un environnement agréable où on respire et s’accomplit tout en se réalisant.
Le bureau n’apparaît pas dans la pyramide de Maslow : les besoins physiologiques, la sécurité, l’appartenance et l’amour, l’estime de soi et d’autrui et finalement, au sommet, se réaliser. Il serait donc préférable de mettre son bureau de côté et de s’occuper des besoins criants, question de ne pas passer à côté et de devenir hors champs.
En règle générale, les objets partent de la réalité pour atterrir sous notre regard. Mais il arrive pour les plus imaginatifs qu’ils fassent le chemin inverse, qu’ils partent de notre regard posé sur eux pour aboutir quelque part aux confins de l’univers de notre imaginaire. C’est alors que la réalité devient fiction, qu’elle entre dans des paramètres qui la font partir en orbite aux quatre coins de notre galaxie jusqu’à devenir de lointaines planètes et peut-être même pas tellement ils ne répondent plus aux critères qui feraient d’elles des planètes encombrées qu’ils sont de mille objets hétéroclites qui suivent le même chemin gravitationnel qu’eux. Dans ce monde, les lois de Newton de s’appliquent plus. Ce n’est plus la pomme qui tombe sur le nez du dormeur, mais le dormeur qui tombe sur la pomme qui le surplombe. Cet univers tout fait de relativité n’a rien à voir avec celui des rêves puisqu’il faut être extra lucides pour s’en approcher. Pour franchir le sas qui nous amènera dans cette galaxie, il faut donc laisser venir à soi les petits objets, les petits papiers de riz ou d’Arménie comme le dit la chanson. Ce sont eux sur lesquels il sera possible de se ruer comme sur des cibles prometteuses de voyages sidéraux. Le voilà donc le bureau idéal, celui qui fait office de manteau idéal pour tous les petits poucets rêveurs qui osent parcourir la nature de ce temps à la recherche de son sens. C’est sur cette voie lactée qu’il est possible de croiser le bureau de Nicolas Dickner si d’aventure nous osons à notre tour ce voyage.
Qui n’a jamais ramassé de cossins? Toute bonne étudiante (dont moi!), professeur, écrivain, etc qui se respecte DOIT avoir, sur son bureau, en plus des papiers et des livres, un tas de trucs tout aussi inutiles les uns que les autres. Ai-je dit sur son bureau? Personnellement, j’ai connu quelqu’un qui ne voyait pas la mélamine, mais aussi son tapis…! Et en plus, c’est vrai! Son appartement avait beau être dans un demi sous-sol, aucun voleur n’aurait tenté de s’y aventuré…! Les cossins seraient-ils donc un nouveau système anti-vol?
Femme d’un certain âge (pour ne pas dire d’un âge certain) cherche emploi comme femme de ménage.Spécialité:bureaux d’écrivains.
Capable de vous faire entrevoir la surface mélamine de celui-ci quoiqu’ayant une nette préférence pour le bois naturel.
Peut fournir bonnes références de tous ceux qui connaissent son obsession pour le rangement,je suis en mesure de classer même ce qui est inclassable.
Peut être disponible aux heures qui ne coupent pas votre inspiration et peut également servir de Muse si besoin est.
En échange,accepterait de récupérer idées originales pour alimenter son imaginaire.Salaire à discuter…
Prière de vous adresser poste restante à,
Il y a de ces lois qui nous permettent de mieux comprendre ce qui se passe dans l’univers. Que ce soit dans la chambre de nos enfants, sur l’établi au sous-sol, dans le tiroir fourre-tout que sur la table de l’écrivain, toutes ces parcelles de l’univers sont inéxorablement contrôlées par deux tendances lourdes que tout scientifique connaît. En effet, la thermodynamique, domaine de la physique qui étudie les propriétés des systèmes, nous explique qu’il existe deux grandes tendances ou lois, l’enthalpie qui pousse un système vers le minimum d’énergie (ou d’effort) et l’entropie qui favorise le désordre maximum. En conséquence, dès le début d’un phénomène ou d’une nouvelle année, peu importe les intentions de rébellion d’un organisme vivant si humain soit-il, celui-ci sera confronté à la justice de ces deux lois et très peu de gens possèdent l’énergie suffisante pour y échapper.
En conséquence, cher Nicolas, lorsque tu parle de coloniser d’autres pièces et d’aller vers « des possibilités d’expansions infinies », tu es en symbiose avec notre univers en pleine expansion depuis le big-bang. Et sache que sauf quelques hypocrites et quelques zélés du torchon, nous nous retrouvons tous à des degrés divers sous l’emprise de ces lois de l’univers. L’ordre est une déviance honorable il est vrai, mais pas très naturelle et ceux qui n’en sont pas atteints peuvent dormir en paix dans leur chambre tout en désordre.
Que mon humble explication t’aide à garder ton calme comme il me garde zen lorsqu’une de mes piles s’écroule jusqu’à mes pieds.