Je m'étais promis de saisir la première occasion pour vous disséquer un écrivain, de la reliure jusqu'à la moelle. La rentrée culturelle se prête généralement à l'exercice.
Chaque mois de septembre, on aligne les écrivains supersoniques sur le pont du porte-avions. Puis, un par un, on les catapulte dans la stratosphère culturelle. Le bombardement se calme, reprend à la fin novembre, et s'éteint avec les premiers flocons. Les manoeuvres reprennent en janvier, à plus petite échelle.
Je me jurais – pour votre plus grand bénéfice – d'attraper au vol un de ces écrivains supersoniques et de le réduire à ses plus simples molécules promotionnelles.
Seulement voilà, la rentrée roule plutôt lentement.
Pas de Harry Potter ou de houellebecquemanie à l'horizon. Hormis VLB et l'habituel Nothomb, le ciel est calme. Pas trop de boucane en perspective.
Qui s'en plaindra? Ce calme relatif (croisez les doigts) nous laisse le temps de penser à autre chose. La quête du scoop lasse vite. Dans le tumulte du neuf et du clinquant, le désir me prend de relire mes classiques. Le moindre prétexte suffit pour retourner fouiller les étagères peu accessibles de ma bibliothèque.
Tenez, ma blonde s'est procuré un lot de casse-tête à l'Armée du Salut. Depuis, notre maison est un vaste chantier: pièce par pièce, nous reconstituons la plage de Saint-Tropez, les châteaux de la Forêt-Noire, les gravures de Maurits Cornelis Escher. Nous retrouvons des bouts de puzzle jusque dans nos draps.
Forcément, à force de trier des paysages en divers petits tas, je repense à Georges Perec. J'ai furieusement envie de me faire couler un bain brûlant et de relire La Vie mode d'emploi. Trois jours de réclusion dans la baignoire. Plaisirs de la lecture hydroponique.
En septembre, Perec me manque. J'aimerais le voir réapparaître au détour d'un cahier littéraire, cigare volant égaré parmi les 747. Rien ne serait plus invraisemblable: voilà 24 ans que notre homme se livre à une minutieuse décomposition au Père-Lachaise. De toute manière, un Perec subitement ressuscité serait incompatible avec les pratiques publicitaires modernes. En cette époque où l'imprévisibilité n'est autorisée que dans les limites du raisonnable, on lui reprocherait d'apparaître – une fois de plus – là où on ne l'attendait pas.
Obsédé par le classement, Perec s'appliquait à devenir inclassable. Comment voulez-vous faire la promotion d'un auteur polycéphale, capable de vous pondre un roman d'aventure, un opuscule drolatico-expérimental, un ouvrage sans la lettre "e", un inventaire des événements anodins se produisant sur une place banale de Paris par un avant-midi comme les autres, ou un répertoire de 480 souvenirs enfilés sur le mode télégraphique?
Le cauchemar d'un attaché de presse.
Comme si ça ne suffisait pas, Perec cultivait une silhouette de bolet: tignasse hypertrophiée et barbichette à géométrie variable. Or, chacun sait que le bolet n'a pas bonne presse. Il évoque le raid sur Hiroshima, les Schtroumpfs et l'intoxication alimentaire du dimanche soir.
Ne parlons même pas du chat noir perché sur son épaule.
Au moment d'écrire ces lignes, alors que ma blonde termine le bastion nord du château Neuschwanstein (1000 pièces), je lutte contre l'envie de relire La Vie mode d'emploi. Puissant attrait de l'inutile.
Malheureusement, j'ai perdu ma copie et les bibliothèques publiques sont fermées le lundi. Je bricole donc une chronique sur Georges Perec au lieu de relire Georges Perec.
Ce paradoxe n'éclaire-t-il pas toute la rentrée littéraire?
Chaque septembre nous ramène un déluge de nouveautés. Il se publie, affirme l'essayiste Gabriel Zaid, un livre aux 30 secondes dans le monde. Les critiques annoncent 663 romans rien que pour la saison automnale française. Une cinquantaine de bouquins s'entassent sur ma tablette "à lire" (sur la vôtre aussi, sans doute) – et je dois encore descendre aux bureaux du Voir en chercher d'autres.
Forcément, on rêve de débrancher la radio. De se plonger dans le calme aquatique d'une baignoire. Et de lire un livre dont personne ne parle.
Votre chronique m’a ému… vous avez, sans le savoir, ressassé en moi des émotions, de très belles…
Georges Perec, je l’ai découvert grâce à homme dont j’ai été amoureuse et qui possédait une bibliothèque bien garnie de bouquins que je n’avais pas lus. Chouette, pensais-je dès le début de cette relation, les échanges de livres allaient devenir un rituel entre nous. Après m’avoir fait lire la brique fascinante de Harry Muslich, La découverte du ciel, que j’ai dévoré en deux semaines, il m’a su alors prête. Je pouvais faire la connaissance de Perec de son monumental roman La Vie mode d’emploi. Il y avait de l’émotion dans sa voix lorsqu’il m’a mis le roman entre les mains et un brillant sourire dans le regard. Tu verras m’avait-il dit, c’est vraiment pas comme les autres romans et je te conseille de le savourer tranquillement. Alors contrairement à vous, ce n’est pas trois jours dans le bain que ça m’a pris pour me rendre jusqu’à la dernière page, mais un bon mois. C’était l’été et j’adorais le lire à petit dose, sur mon balcon ou dans le lit de l’amoureux, chapitre par chapitre… Je n’en revenais pas. J’étais éblouie et plus j’avançais dans le roman, plus j’entrais dans cette saga et dans la vie de tous ces personnages reliés par un lieu… Quel travail il avait dû y mettre ce Pérec, quelle organisation dans cette histoire aux mille histoires, quelle originalité surtout !
L’été suivant, redevenue célibataire, j’ai eu une certaine nostalgie de l’ex et de Perec et j’ai alors lu deux de ces romans coup sur coup, deux romans plus modestes en terme de pages, mais tout aussi beaux et différents par l’univers qu’ils présentent, Les choses et L’homme qui dort. Mais je n’a pas relu La Vie mode d’emploi… et en vous lisant, vous m’en avez donné le goût.
Un grand auteur ce Pérec, un monument.
Qu’osez-vous nous proposer? De relire les classiques de la littérature? En suivant votre exemple, nous n’allons que relire des auteurs décédés depuis des décennies, sinon des siècles: Dante, Jean de Lafontaine, Alexandre Dumas, père et fils, Victor Hugo, Félix Leclerc et de nombreux autres que j’oublie. En suivant cette consigne, vous me demandez d’ignorer les auteurs encore vivants, compatriotes comme étrangers. Je devrais donc ignorer votre oeuvre, vous laisser mourrir de faim? Non. je n’ose vous suivre… partout! Oui, il est intéressant de (re)voir les classiques littéraires. Mais n’oublions pas nos auteurs contemporains. Sûrement certains d’entre eux risquent de devenir des incourtables pour nos descendants? Qui seront ces chanceux? Comment le déterminer? Voilà la chronique que je vous suggère, Monsieur Dickner.
Suite à votre texte, mes recherches sur Perec m’ont permis de découvrir un être original et flamboyant. Écrire sans autre voyelle que« e », ou qu’avec cette voyelle pour un autre ouvrage, voilà une façon particulière et fascinante de concevoir l’écriture. On l’associait même aux mathématiques, tellement sa vision cartésienne et ludique, l’amenait vers des oeuvres montées de toutes pièces, qui se juxtaposent et se complètent comme un casse-tête.
La réflexion sur l’écriture se veut intéressante. Ce moyen de communiquer qui nous force à concevoir un texte, à le structurer, à le pousser plus loin et à lui faire parcourir un chemin jamais emprunté, voilà une fosse ou un piédestal qui stimulent l’imagination.
Quant aux gens qui décident de vivre de leur plume, vaut mieux se lever tôt. Les rouages, du monde des ventes et de la publicité, sont devenus des barricades blindées que peu de coureurs ont accès. Comme pour les chanteurs de peu de voix, qui tapissent les salles de spectacle et font des cd comme des petits pains chauds, certains écrivains sans talent obtiennent de surprenantes retombées sans raison apparente, mais disposant d’une puissante machine, ils peuvent ainsi laisser croire à l’arrivée d’une nouvelle puissance inégalable. Ça vous manque cette puissance?
Effectivement, à chaque automne, une certaine nostalgie s’installe. La rentrée scolaire, les feuilles qui tombent, et les souvenirs… «George Perec», était un excellent écrivain… Que dis-je, il demeurera toujours vivant, par ses nombreux romans!!! Nous avons tous, nos classiques dont nous gardons précieusement, sur une tablette bien dépoussiérée, à l’abri des regards indiscrets. Que ce soit, en littératures françaises, québécoises ou autres! Tout en passant, par les incontournables classiques de la psychologie, de la philosophie, et les dictionnaires!!! Eh oui, une véritable passion… L’excellence des : «P.U.F», quoique un peu dispendieux, mais tellement agréables! Mais il y a, ce que je qualifie d’une très belle marée montante, de nouveaux auteurs, qui deviendront plus tard, des classiques à leur tour! Encore, faut-il les reconnaître? Acceptez, les publications faites, de papiers recyclés, avec des couvertures sans attraits? Mais, dont le contenu, pourrait faire frissonner d’envie un : «Baudelaire, Balzac et même Perec»! En fait, je crois qu’il existe autant d’oeuvres littéraires, à notre époque… Et bien entendu, un jour viendra, où ces mêmes livres, évoqueront la même nostalgie, chez nos futurs petits enfants? Ainsi, tourne la roue, de la : «VIE»!!!
Quand on en est rendu à trier des pièces de casse-tête, qu’on en retrouve dans ses draps, c’est possiblement un signe d’ennui. À moins qu’il ne s’agisse d’une subtile manoeuvre de diversion permettant d’éviter, pour un temps (certains casse-tête vous tiendront occupé un bon moment), d’éviter de s’occuper des choses importantes. On se casse la tête et on n’y pense plus. Et, à défaut de pouvoir disséquer un auteur, vous seriez tout disposé à laisser un auteur vous disséquer. Pourvu que cela se fasse dans une baignoire fumante.
Vous avez opté pour Georges Perec, un original s’étant éparpillé de tous côtés, quelqu’un dont le profil se marie apparemment bien au vôtre. Mais, cher monsieur Dickner, cela fait quelques semaines déjà que je vous observe, vous regardant aller davantage selon votre humeur du moment que selon les priorités. Enfin, c’est ce qu’il m’a semblé. Et je ne suis probablement pas le seul à avoir eu cette impression… Et, tout bien considéré, je ne suis pas sûr que Georges Perec soit une très bonne idée pour vous. Pareille lecture pourrait malencontreusement venir aggraver la situation.
Je vous ai donc dégoté un auteur comme vous les aimez, ayant tiré sa révérence en 1945 déjà. Mais, surtout, un auteur ayant le sens pratique. Il s’agit de Robert Benchley, et je vous conseille fortement un texte de lui intitulé « Comment venir à bout de tout ce qu’on doit faire ». Je vous cite un bref passage où l’écrivain présente son principe: « n’importe qui peut accomplir n’importe quelle tâche, aussi lourde soit-elle, pourvu que ce ne soit pas celle qu’il soit censé accomplir à ce moment-là ». Plutôt que d’aller vous embrouiller l’esprit encore davantage avec Georges Perec, ce Robert Benchley (un auteur américain) pourrait vous être beaucoup plus profitable. Et il se prête à la lecture hydroponique autant que n’importe qui d’autre.
Est-ce pour contrebalancer ma manie du rangement,mes habitudes de lecture font dans l’anarchie.Chaque fois que je saisis un livre,je ne sais jamais si je vais le dévorer,le grapiller,en piller la substance,le méditer,le parcourir en diagonale,le délaisser pour mieux y revenir,l’abandonner définitivement (verdict de 50 pages),l’encenser,le descendre en flèche, le prêter,le suggérer,le laisser traîner (ou trôner) en évidence,le camoufler sous une pile,le revendre ou le déposer dans un bac à recyclage sous les journaux.
Je peux être très gloutonne,m’imposer un régime minceur ou vivre une longue traversée du désert.Je lis comme je me promène,mes émotions sont tributaires du paysage et du climat et je m’écarte souvent sur de petits chemins moins fréquentés.J’engage une conversation qui peut m’emballer,m’ennuyer au point de vite chercher une porte de sortie ou me donner l’impression qu’elle n’est que monologue.Avec l’âge cependant,je suis moins ivre de vitesse et préfère la lenteur de la dégustation.
Néanmoins,derrière cette licence,règne une certaine cohérence qui m’est totalement personnelle et qui me met un peu à l’abri des nouveautés qui nous pleuvent dessus à chaque automne.J’y préfère la spontanéité du bouche à oreille.
Ce Perec réputé inclassable mais obsédé du classement titille un peu ma curiosité…Une âme-frère peut-être?
Il est très bien de s’amouracher de certains auteurs-res mais , voyons, il y en a tellement d’autres qui méritent votre cerveau! Absolument oui, pour Charles Bolduc (Les Perruches sont cuites), un obligatoire pour Joël Michel (Condoleezza Rice, la puissance et la gloire), un incontournable pour Jean-François Beauchemin (Voici nos pas sur la terre), un impératif pour Jacques Godbout (La Concierge du Panthéon). Il est vrai que Georges Perec (La Vie mode d’emploi), que vous semblez avoir adoré et que je n’ai pas encore lu, m’attire maintenant que vous en avez parlé amplement. Mais, moi, cela sera ma première fois et soyez assuré, ma dernière. J’ai bien aimé David Lodge (Thérapie), Nina Berberova(L’Accompagnatrice) et d’autres, mais j’ai comme principe de ne jamais relire le même livre deux fois, ni même le même auteur dans la même année pour justement connaître le plus possible de nouveaux auteurs. Il y en a tellement de bons et votre M.Zaid qui dit qu’il s’en publie un aux trente secondes dans le monde, IMAGINEZ , comme on a du pain sur la planche! Et vos critiques qui disent que 663 romans, juste pour l’automne en France,
attendent d’être lus? C’est à se sentir la tête grosse de même oooooo avec le
travail-loisir qu’il reste à faire!!! Heureusement qu’on ne prétend o[ + + ]o pas tout lire! o[ – ]o
T|TT|T
Madame Littout!
Et pourquoi vouloir lire un livre dont personne ne parle? Il en existe un tout petit à ma
bibliothèque et permettez-moi dans ce cas-là de vous le soumettre. Le titre est « Rien » et je ne me rappelle pas l’auteur. Cherchez et vous trouverez, j’en suis sûre! BONNE CHANCE!
J’espère que vous en reparlerez!
Le luxe de relire ses classiques, un luxe qui m’est inaccessible. Primo, je ne les ais pas tous lus, les classiques et deuxio, je peine à suivre la production actuelle. J’ai une liste qui traîne en permanence dans mon sac et que je ne parviens pas à mettre à jour. Entre le dernier Philip Roth et le très attendu Elena Botchorichvili, je me demande si j’aurai le temps de lire le très actuel Nikolski de Nicolas Dickner. C’est une blague !