Hors champ

Inventaire des mauvaises raisons

Je l'affirmais au passage il y a trois semaines: je m'intéresse souvent aux livres pour de mauvaises raisons.

Cela pourrait avoir l'air d'un aveu – comme si je tentais de dresser de moi-même un portrait plus petit que nature. L'échelle réduite a ses avantages: elle diminue les attentes à votre égard. S'accuser de manquer de rigueur, n'est-ce pas mettre le lecteur en garde contre des attentes trop élevées?

En réalité, je crois que les raisons de s'intéresser à un livre, n'importe quel livre, demeurent essentiellement mauvaises. Il suffit d'en examiner quelques-unes pour s'apercevoir de leur nature universelle.

1. La couverture vous plaît.

La couverture appartient aux arguments de vente majeurs. Personne n'y échappe. L'illustration, le ton, le choix des couleurs, tout a une influence sur le lecteur (qui n'est encore, au moment où nous nous parlons, qu'un simple client).

En fait, la couverture peut infléchir toute notre lecture et le souvenir que nous en garderons. L'idée agace. Je rêve parfois d'un monde peuplé d'ouvrages à la couverture vierge, telle la légendaire collection nrf. Dans notre monde, toutefois, ces livres épurés sont vulnérables comme des agneaux dans la jungle. Il règne dans les librairies une sauvagerie silencieuse, une véritable lutte pour la survie. Les bouquins les plus colorés trônent au sommet de la chaîne alimentaire. Les opuscules grisâtres font de la tablette à l'arrière du magasin.

Aucun éditeur ne devrait bâcler la couverture. Je me méfie d'un artisan que le problème du frontispice laisse froid. Je le soupçonnerais de ne pas vraiment vouloir vendre ses livres.

Cela étant mis au point, ne nous bernons pas: la couverture reste une mauvaise raison de s'intéresser au livre.

2. Vous voulez rencontrer l'auteur.

Très mauvaise raison. Il vaut mieux rencontrer un auteur avant d'acheter son livre. Tant que vous n'avez pas ouvert son bouquin, il fera les frais de la conversation. Si, au contraire, vous vous présentez avec son livre à la main, il faudra émettre votre avis, vous démarquer des autres lecteurs, formuler des questions spirituelles. Un casse-tête.

3. Ce livre est somptueux, vous comptez l'exhiber.

Honte à vous. Abandonné à l'air libre, le livre-de-table-à-café prend la poussière. Il pâlit sous l'action des rayons ultraviolets. Il se déprécie, se déforme, se boursoufle, se craquelle.

4. Le nom de l'auteur séduit votre oreille.

Vous aurez l'air fin lorsque vous apprendrez que Zéphyrin Calixa se nomme en fait Jean-Pierre Patenaude.

5. Le livre a juste la bonne épaisseur pour mettre la table du salon de niveau.

Achetez une égoïne.

6. L'auteur a moins de 35 ans.

Le temps est venu de réformer les vieilles catégories d'achat. Pourquoi s'intéresser à un auteur qui soit simplement jeune, beau ou séduisant? Un peu d'originalité, bon sang! Jetez désormais votre dévolu sur les pieds bots, les chabins, ceux qui n'ont que neuf orteils ou les oreilles décollées, ceux qui s'habillent en brun, les gros, les difformes, les moches.

7. Le livre présente un excellent rapport qualité/prix.

Vous voulez un truc pour économiser sur le prix du livre? Achetez en gros. La procédure est simple: munissez-vous d'un quai de déchargement, appelez le distributeur et commandez une palette du prochain Harry Potter. Vous sauverez 60 % du prix d'achat à l'unité en librairie. Ne me remerciez pas.

8. Le sujet, le style, les personnages semblent dignes d'intérêt.

Basta de grands arguments: en réalité, nous choisissons rarement nos livres. Au contraire, ce sont eux qui nous tombent dessus. La littérature est essentiellement accidentelle et toutes les raisons que nous trouvons pour croire à la liberté sont douteuses.

Exercice de la semaine: achetez un livre au hasard. Il est recommandé d'utiliser une paire de dés.