Hors champ

C’est la meute qui appelle

Au moment où vous lirez cette chronique, je bouclerai mes valises pour une virée à Lyon où, le temps d’un colloque, je me joindrai à un échantillon hétéroclite de la relève littéraire québécoise.

La notion de relève m’a toujours laissé un brin dubitatif – comme la plupart des étiquettes plus ou moins arbitraires, en fait.

Les regroupements semblent inévitables. Ils participent de cette vaste généralisation qui caractérise la quête de compréhension du monde. Sans généralité, pas de règle. Et sans règle, pas de compréhension.

N’empêche, je me méfie des groupes: des hommes et des femmes (avec leurs idiosyncrasies respectives), des praticiens de l’autofiction, des écrivains migratoires, de ceux du Plateau ou des régions éloignées, des blogueurs, des gros canons, des petits irréductibles, des vendeurs de pneus, des vieux cons, des intoxiqués, des légendes vivantes, des engagés, des passepartoutistes – sans oublier des écrivains-de-la-relève, groupuscule juvénile et informe, toujours condamné à se dissoudre peu à peu en autre chose.

La génération littéraire constitue à n’en pas douter l’unité de mesure la plus prisée. Elle suggère à la fois la fécondité, l’héritage, l’effervescence – et le refus, aussi candide que violent, de tout ce qui a précédé dans l’histoire de l’humanité. Nous aimons le contraste.

Pourtant, la génération ne colle pas mieux que les autres étiquettes. Croyez-en Louis Hamelin qui, dans son dernier opus, dissèque au passage la génération néolyrique de la fin des années 80, cet hétéroclite groupe d’écrivains où l’on retrouvait aussi bien l’auteur de La Rage que Christian Mistral, Sylvain Trudel, Hélène Monette et autres Lise Tremblay.

"La critique, résume Hamelin, aime les troupeaux, et celui-ci, le temps de quelques papiers, parut faire l’affaire."

J’ose à peine formuler la première question qui vient à l’esprit: pourquoi tenons-nous tant à ces chapelles branlantes, ces écoles qui n’enseignent rien, ces tribus mal ficelées?

Question naïve. La validité d’une idée, sa justesse n’ont jamais rien à voir avec son succès. En outre, la réponse tient de l’évidence. Mon bien-aimé éditeur connaît une ritournelle scoute qu’il sort de temps à autre. Elle est universelle, se prête à toutes les mondanités. Lorsqu’un louveteau se sent seul parmi les épinettes, il lui suffit d’entonner cet air joyeux: "C’est la meute qui appelle, viens, viens, laisse tout!" pour voir aussitôt rappliquer ses congénères.

L’appel de la meute, mes amis!

Ce cri transcende la culture et les modes, il s’inscrit dans l’acide intimité de notre code génétique. Notre tendance à découper le tissu social en petites hordes plus ou moins artificielles tient tout bonnement à notre condition de grand mammifère grégaire.

Jadis naïf, je croyais qu’il suffisait de publier des livres pour se considérer comme un écrivain. Qu’il s’agissait de prendre place dans l’agora littéraire, d’appartenir à la guilde. Maintenant que j’ai publié une paire de bouquins, je réalise que l’affaire est beaucoup, beaucoup plus compliquée.

L’écrivain – l’écrivain véritable – ne se contente pas d’être mammifère.

Son groupe d’appartenance ne le résume ni ne l’explique. Son travail consiste précisément à s’éloigner d’autrui, à se dissocier du voisinage. Il construit son individualité, livre après livre, et toute la difficulté repose sur la fatalité de travailler avec le vieux coffre à outils collectif – grammaire du langage et de la narration, actualité et archétypes, procédés divers, galeries de personnages, figures de style – pour forger une oeuvre distincte.

Les tentatives de regroupements littéraires sont non seulement erronées: elles s’intéressent à ce qui, dans le statut de l’écrivain, est le plus étranger à l’écriture.

Si la question vous intéresse, sautez sur le livre de Louis Hamelin. En 17 textes brefs, il analyse l’exil nécessaire de l’écrivain avec le regard qu’on lui connaît: à la fois intelligent et humoristique, érudit et introspectif. Un livre hautement personnel.

Enfin, trêve de jérémiades. Je pars pour Lyon, tout de même assez heureux d’aller passer quelques jours avec ce que l’on pourrait appeler mes collègues. S’il est bien une chose qui rassemble les écrivains, c’est la pinte de bière fraîche autour de laquelle on discute de tout, de rien.

L’Humain isolé, de Louis Hamelin
Éd. Trois-Pistoles, 2006, 192 p.