Traditionnellement, les chroniqueurs déposent le bilan en décembre et pratiquent l’oracle en janvier – mais vous commencez à me connaître et vous savez que je raconte n’importe quoi en toutes saisons.
N’empêche, me voici plus que jamais en dehors de la figure imposée, en ce moment où tout discours repose sur la convention – et je me paye le luxe d’entamer l’année par une magistrale crise de la page blanche. Je n’ai pas la moindre minuscule idée de ce dont cette chronique va parler. Vous voilà avertis.
Misère. Pourquoi faut-il que la panne survienne maintenant?
Notez bien, je ne prétends pas être inspiré en toutes circonstances. Ce serait plutôt le contraire, tiens. L’inspiration, je m’en bats la paupière (ah, l’insolence du jeune praticien), mais devant la page blanche, je trouve toujours une phrase ou deux à écrire, quitte à les effacer par la suite. La métaphore chimique du catalyseur résume bien la procédure: il est des phrases que l’on écrit dans le seul but d’en attirer d’autres.
Mais aujourd’hui: le néant.
L’ironie de l’affaire, c’est qu’il me suffirait, pour remédier à ce blocage, de me plier aux conventions – en l’occurrence, d’émettre des pronostics.
À quoi ressemblera l’année littéraire 2007? Que doit-on attendre de la publication de l’ultime tome de Harry Potter? Le Web 2.0 finira-t-il par avoir une influence tangible sur la littérature? Les bibliothèques en ligne décolleront-elles? L’administration Harper continuera-t-elle de développer la culture à la tronçonneuse? Assisterons-nous à l’apparition d’un nouveau golden boy ou à la disparition d’un vieux bonze? Quelles accointances verra-t-on se former entre éditeurs indépendants?
Drôle de manie que le pronostic.
Suffit de se remémorer décembre 1999 pour rigoler un bon coup. Lors des premières minutes de la nouvelle année, le monde tel que nous le connaissions devait censément s’évaporer, un fuseau horaire après l’autre. Internet s’éteindrait à minuit pile. Les réseaux téléphoniques ne répondraient plus. Les centrales nucléaires échapperaient à tout contrôle. Le moindre électroménager manufacturé après 1958 cesserait immédiatement d’obéir à ses maîtres.
Il s’ensuivrait (dans l’ordre): le chaos, les pleurs, les grincements de dents et la fin du monde.
Je me méfie des prédictions, en particulier lorsqu’elles émanent de moi. Je ne suis même pas capable de dire ce que nous allons manger pour souper, alors spéculer sur le déroulement de l’année 2007, vous comprenez…
Je peux au moins me fendre d’une prophétie: dans dix ans, vous ne garderez plus qu’un souvenir extrêmement vague de l’année 2007. Les scandales, les best-sellers, les catastrophes météorologiques, les grands titres et les potins se dissoudront dans le ragoût brunâtre de la décennie, comme de petits oignons trop cuits.
Notre monde est aussi avide de pronostics qu’il est amnésique.
Nous oublions surtout que l’essence de la vie ne se trouve pas dans les grands marqueurs politiques, si capitaux soient-ils, mais parmi les détails anodins qu’aucun manuel d’histoire ne recense. Les mariages, les accidents de voiture, les épluchettes de blé d’inde. La première virée sur le Web. L’apparition du tapis angora. Les paniers de clémentines en décembre.
La vie, en somme, ne tient pas dans l’agenda.
J’aimerais donc, si vous le permettez, entamer l’année 2007 avec ce verset de John Lennon que me communique un lecteur: "Life is what happens to you while you’re busy making other plans."
Allez, je vous souhaite une année profondément imprévisible!