Hors champ

Quelques pieds carrés de stucco

Si vous vous souvenez bien, j’ai tenté en juillet dernier de me retirer dans le fin fond de l’Estrie pour y abattre un maximum de boulot. J’avais de l’ambition: trois romans, un recueil de nouvelles, un scénario de film, une poignée de chroniques pour le Voir et quelques haïkus pour l’hygiène.

En bout de ligne, je n’ai rien foutu. Trois semaines à pelleter du compost et compter les tortues. Je me suis bien amusé – mais pour l’efficacité, on repassera.

Or voilà que je récidive. (Vous êtes autorisé à vous taper sur les cuisses.) Différence capitale, toutefois, je ne monte pas m’encabaner à Lebel-sur-Quévillon: je reste en ville. Pour être exact, je m’exile à un coin de rue de chez moi.

Depuis des années, j’envie ces écrivains qui se louent un bureau. Chaque matin ils partent travailler comme les ouvriers d’une invisible usine, écrivent toute la journée loin des distractions domestiques et reviennent le soir en laissant les obsédants chapitres derrière soi. Ça ne guérit pas l’insomnie, mais ça limite les dégâts.

Un bureau: cela sent le succès, la productivité. On chuchote parfois les noms vénérables de ceux qui peuvent se le permettre. Yves Beauchemin avoue en entrevue ne jamais travailler chez lui. Paul Auster, dit-on, pointe tous les matins. Ferron écrivait dans son cabinet de consultation.

Certes, rien ne vaut un grenier. On barre la porte et le tour est joué: on travaille en circuit fermé, deux étages au-dessus de la cohue, aussi longtemps que la cafetière marche.

Malheureusement, le grenier montréalais est diablement surévalué par les temps qui courent. Problème de base: il arrive généralement accompagné d’une série d’étages inférieurs coûteux. La spéculation immobilière n’épargne pas les romanciers généralistes.

Le bureau exerce donc une puissante fascination sur l’esprit de l’écrivain sans grenier – mais encore faut-il avoir les moyens de s’embarrasser d’un second bail. Pour ceux qui en douteraient, mon budget ne permet pas encore de louer 90 pieds carrés d’île déserte à 150 $/mois, rien d’inclus. Rien ne sert de se prendre pour Paul Auster.

Résultat: je reste chez nous. Beau temps, mauvais temps, je travaille dans la chambre de lavage, entre l’aspirateur et l’étagère à outils. L’ordre des chapitres suit les cycles de la laveuse.

Mais, coup de théâtre, tout va changer! Une amie m’a en effet offert d’occuper un coin de son bureau durant le jour, un peu à la manière de ces gnomes domestiques qui colonisent les calorifères. J’ai aussitôt déménagé mon ordinateur, ma chaise orange informe et ma théière. L’endroit est idéal. Aucune distraction, pas même une banale fenêtre: je tape ces lignes en face d’un mur de stucco aux couleurs incertaines.

Voyez comme il est simple de faire le bonheur d’un romancier généraliste? Quelques pieds carrés de stucco, et le voilà qui bosse comme un damné.

ooo

Cela m’inspire une idée, tiens.

L’automne dernier on décernait à l’économiste bengali Muhammad Yunus le Prix Nobel de la Paix pour avoir inventé le microcrédit. Sa banque Grameen, fondée à la fin des années 70, consent à de minuscules entrepreneurs de tout petits prêts sans intérêt. Au Bengladesh, ces quelques dollars font souvent une différence énorme lorsqu’il s’agit de fonder un commerce.

Nous pourrions appliquer le principe au financement de la culture.

Lorsqu’on parle de mécène, on pense instantanément à ces nobles de la Renaissance qui embauchaient un peintre officiel ou se payaient un poète en résidence. Vision pittoresque, certes, mais totalement stérile. Ce mécénat poussiéreux ne convient plus à une époque où dominent la classe moyenne et le livre de poche.

L’idée est simple: organisons le micromécénat! Aucune ressource alternative ne doit être négligée. Vous avez un chalet à prêter, un coin de bureau, quelques crédits d’épicerie? Faites-en profiter un artiste!

Exercice de la semaine: sortez dans la rue, repérez un écrivain et payez-lui une bière. Il faut bien commencer quelque part.