Nous aimons, au Québec, les écritures spectaculaires. Les auteurs qui jonglent avec les mots, qui crachent le feu, qui triturent la langue. Les écrivains terroristes qui lancent des ultimatums à la grammaire. Les voyous du verbe.<p>Est-ce le désir d'en avoir pour notre argent ou simplement l'angoisse de ne pas pouvoir reconnaître un écrivain lorsque d'aventure nous en croisons un?<p>En ce qui me concerne, j'ai plutôt un faible pour les artisans, ceux qui utilisent des outils d'une extrême sobriété. Ils s'avancent dans le vide, l'air de rien avec leur salopette de mécanicien, et vous bricolent des miracles avec des bouts de ficelle.<p>* * *<p>Ce roman traînait sur ma table de chevet depuis des mois. Un Folio défraîchi, dont le coin avait été amoureusement rongé par un gros carnivore. Je n'arrivais plus à me rappeler qui me l'avait prêté. Nom de Dieu de mémoire. Mon seul indice était ces impressionnantes marques de canines qui s'enfonçaient jusqu'à la page 60.<p>Qui avait bien pu mordiller ce Folio? S'agissait-il des siamois de mon éditeur? Non, trop petites mâchoires. Le chien de ma belle-soeur? Non, pas dans ses habitudes. Les perruches de marraine? Restons sérieux.<p>J'ai finalement décidé d'entamer ce roman. Au moins cette mystérieuse personne ne me l'aurait-elle pas prêté en vain. Je ne savais pas ce qui m'attendait: j'ai passé la nuit debout, aspiré page après page par ce petit bouquin anodin.<p>L'histoire part d'un prétexte bénin: le journaliste Karralo Vatanen et son photographe roulent sur une route isolée de Finlande en plein milieu de la nuit. Vatanen dresse un bilan sombre de sa vie, de sa carrière, de son mariage. Soudain, la voiture heurte un lièvre. Vatanen arrête pour vérifier l'état de la bête. Exaspéré, le photographe prend le volant et abandonne son compagnon sur le bord de la route. <p>À partir de cet insignifiant point de rupture, Vatanen devient un autre homme. Il entreprend un grand voyage en direction du cercle arctique – non pas un de ces grandioses périples initiatiques, mais plutôt une incroyable fuite en avant. Vatanen fera désormais ce qui lui chante, que ça plaise ou non.<p>Le récit est traité avec une simplicité exemplaire. Aucune acrobatie verbale, pas de procédés tarabiscotés, de ruptures spatiotemporelles ou de mises en abyme. Le phrasé est dépouillé, direct, parfois même primitif – au sens de primordial. On a l'impression de lire une histoire idéale, le genre d'histoire qui illustrerait ce qu'est, essentiellement, une histoire. <p>Cette discrétion formelle laisse la belle part au récit, qui nous tire et nous entraîne à travers la Scandinavie. Pourtant, lorsqu'on le décompose, on est encore loin des anecdotes spectaculaires de Gabriel Garcia Marquez. <p>Par quel mystérieux équilibre Arto Paasilinna parvient-il à nous hypnotiser de la sorte?<p>Peut-être les vies étonnantes engendrent-elles les romans étonnants? Paasilinna ressemble en effet à un de ses personnages. Né dans un camion près de l'océan Arctique, transbahuté toute son enfance entre la frontière de l'URSS, la Laponie et la Finlande, il a été tour à tour bûcheron, ouvrier agricole et journaliste au quotidien <i>Lapin Kansa</i> ("le peuple lapon"), avant de se mettre à l'écriture et de publier un roman par année depuis 1972. <p>Pas étonnant que le bonhomme soit apte à porter un regard atypique sur le monde.<p>Mais en fait, le secret de Paasilinna est bien plus simple. Son oeuvre repose essentiellement sur la volonté – qu'occultent souvent les trop grandes ambitions littéraires – de raconter une histoire.<p>* * *<p>J'ai identifié dernièrement la personne qui m'avait prêté <i>Le Lièvre de Vatanen</i>. <p>Ces mystérieuses morsures avaient été infligées par Gallimard, le chien d'Alain et Sophie. (Oui, il s'appelle vraiment Gallimard, ce grand épagneul fou. Et non content de bouffer les livres, il rafle les prix à je ne sais quels concours de beauté canine. Ça ne s'invente pas.)<p>Je me rappelle également pourquoi j'avais oublié la provenance du livre. Les circonstances étaient proprement paasilinnesques: nous avions sifflé deux bouteilles durant le souper et, tandis que je titubais vers la sortie, le regard givré, mes bibliophiles amis ne cessaient de me fourrer des bouquins essentiels sous les bras. <p>- Et tiens, tu dois lire ça, et puis ça. Et puis ça aussi.<p>- Et Arto Paasilinna. Tu ne le connais pas? Alors prends aussi celui-là.<p>Comment diable pouvais-je ne pas connaître Arto Paasilinna?<p>Arto Paasilinna, <i>Le Lièvre de Vatanen</i>, Folio, 203 p.<b></b><p>
Ça dépend de ce que vous entendez par spectaculaire : si vous référez à la truculence qui fait ponctuer un texte de « tabarnak » à chaque fin de phrase, j’abonde alors dans le même sens que vous.
M’est d’avis que l’oralité présente certains avantages tandis que l’écriture en présente d’autres. Si le langage parlé permet la spontaneïté, l’écrit, quant à lui, suscite davantage la réflexion. Bénéficiant de tout le temps qu’il juge nécessaire pour composer son texte, l’auteur aura tout le loisir de consulter autant sa mémoire que les dictionnaires le terme qui sied le mieux à ce qu’il souhaite exprimer. Toute les nuances et connotations propres au mot qu’il utilise serviront à mieux transposer sa pensée. Et s’il n’en trouve pas, il pourra même en inventer. C’est ainsi qu’il nous fera entrer dans son univers. Car l’écrivain n’est pas seulement un communicateur, c’est aussi un artiste !
Alors j’admets que la haute voltige me plaît, tant qu’elle ne sombre pas dans l’abscons. Question d’équilibre.
En ce qui concerne les métaphores, celles d’Elena Botchorichvili m’enivrent ! « Opéra », en outre, me paraît un chef d’oeuvre de surréalisme raisonnable.
Présentement, je suis en train de lire « Le Cavalier Bleu » de Carmen Strano et je trouve qu’elle manie la plume avec une virtuosité toute proustienne !
(J’aime bien faire de la publicité pour les auteurs qui me touchent alors vous m’excuserez si j’utilise votre chronique à cet effet…)
Qu’importe! Ça semble passionnant. Comme rencontrer la liberté, la liberté d’être, libéré de tout oeil critique. Le personnage aurait pu paniquer, il choisit d’être son moi profond. Quoi de plus libérateur que d’arriver à faire ce qu’on a réellement envie de faire sans contrainte. C’est peut-être ça le sens profond de la vie : devenir soi-même, libre de l’être, faisant fi des critiques surtout celles que la vie nous renvoie de l’intérieur de soi, les plus difficiles à se débarrasser parce qu’incrustées.
Je ne vais pas souvent au cinéma; le dernier en date c’est The Mexican avec Brad Pitt et Julia Roberts , c’est tout dire. Je regarde les DVD à la maison . En salle , le son est trop fort , l’image et le montage trop agressifs . On veut me décerveler, THIS IS CRAZY, ça ne marche pas , ça me fait fuir.
Comment décrire et faire ressentir la folie ? En faisant des grimaces diront les comédiens amateurs; trop d’entre eux exagèrent , en remettent , surjouant hélas, croyant faire naturel ( comme dans les films muets).
C’était en 1996. Le Chasseur Zéro , encore l’histoire du père , le kamikaze Tsurukawa Oshi va s’écraser sur le porte-avion Maryland .
« Pascal Roze écrit en piqué des phrase en rafales. Des mots qui criblent la mémoire , touchent au cour sous la griffure de son stylo-mitrailleur; l’espace-temps se disloque. » (Thierry Gandillot )
Francois Nourissier enthousiaste avait écrit de sa phrase :
« La romancière mêle naturalisme et allégorie, raison et déraison avec une virtuosité rare dans un premier récit. Chaque mot est utile, chaque phrase noue davantage l’intrigue, la serre, lui ajoute en mystère. L’auteur excelle à en dire beaucoup sans dire tout, à rester énigmatique en pleine clarté. »
De passage à Québec , Pascale Roze a dit à A.-M. Voisard 29-03-97 :
« J’écris une phrase, je la jette, je la réécris, je la rejette.alors seulement je passe à la phrase suivante , à ce rythme , plus d’une page par jour c’est rarissime » . IS THIS CRAZY ???
Dans LE Chasseur Zéro ,couronné par le Goncourt , la folie passe inaperçue au début , elle s’insinue, grignote de manière imperceptible, elle rampe entre les lignes, mange les paragraphes, donne en fin de récit froid dans le dos , jusqu’à l’asile :
« On entend ici un curieux ronronnement. L’infirmière dit qu’il provient du radiateur » page 164 .
Des amis de Hatley m’avait prêté ce livre; leur chien s’appelait Riopelle.
L’histoire doit nous mener par le bout du nez. Pas si évident qu’il n’y paraît. Se crée une compétition serrée entre la forme et le fond, entre les mots et la raison des mots.
La simplicité admirablement servie par la concision est un exercice ardent et ardu. S’exercer à l’art de la micro nouvelle le prouve hors de tout doute. S’obliger à pondre une histoire et la rendre en quinze lignes, mettons vingt, pour tout ce que l’exercice a de vain. Parce que plusieurs jettent la serviette avant d’essuyer l’échec.
Cela ramène à une question source ; pourquoi écrire de la fiction ? Pour se gargariser de mots, entendre leur musique, jongleur sans jamais en échapper ? L’écrivain voue un amour démesuré pour les mots. Il les vénère, comme les maîtres incontestés de l’histoire. Le roman primitif dans le sens de primordial, comme défendu dans cette chronique, remet mes balises en question : Le mot devrait-il être le serviteur de l’histoire en lieu et place de son maître ?
Pas facile de répondre. Je suis confrontée. Les mots sont souvent, pour moi, une fin en soi, pour leur musicalité. Il y a des romans musicaux, et ils ne sont même plus rares. Je pense à Nelly Arcand et son Putain et sa Folle qui régurgitaient des mots en une longue litanie sonore (elle peaufine ses textes par une lecture à haute voix et l’harmonie des sons est primordiale pour elle) amenait loin qui voulait s’y rendre. Incontestablement, pour cet auteur, se sont les mots qui la mènent par le bout du nez.
Je tire ma révérence par cette conclusion ; pourquoi pas la coexistence des mots maîtres et des mots serviteurs de l’histoire ?
Parlez-vous vraiment de littérature? Il me semble plutôt que vous parlez de cinéma et de télévision. On veut être ébloui. On ne veut être ni ému, ni touché. Ce magnifique libre-marché dont on vante tant les vertus semble avoir réussi à inculquer à beaucoup de personnes la nécessité de la superficialité. Ce qui nous éblouit enveloppe notre corps, mais ne peut le pénétrer. Trop éblouissant, donc trop gros. Alors qu’une bonne histoire, qu’elle soit sur scène (théâtre, danse ou musique), à l’écran (cinéma et télévision, bientôt sur ordinateur) ou sur papier, réussit à pénétrer par les pores de notre corps ainsi que nos yeux et nos oreilles. Comment? Comme il faut prendre son temps pour bien apprécier, cette histoire a donc le temps de s’imprégner en nous. Étant donné que cette jolie histoire nosu fascine, on la laisse pénétrer plus profondément en nous, jusqu’à se placer dans notre coeur ou dans nos tripes, selon nos croyance. C’est à ce moment que monte en nous l’émotion et/ou la remise en question proposées par l’auteur.
Alors, nous serons plus intéressés à conserver le roman, car il nous aura fait vibrer de l’intérieur et le seul fait de le prendre nous rappellera ces beaux souvenirs, ce que ne pourront pas faire les romans d’artifice.
«Nous aimons, au Québec, les écritures spectaculaires.»
C’est comme de dire qu’ici au Québec les gens aiment respirer de l’air frais, partout dans le monde l’air de la campagne est réputée être meilleure. Jusqu’à quel point c’est toujours vrai, ça c’est une autre histoire.
Est-ce que c’est unique au Québec ou pas vraiment ???
Ce matin, j’ai lu un titre spectaculaire dans les nouvelles : «Une femme meurt écrasée par un chargement de laitues.»
C’est certain qu’avec un titre comme celui là, je voulais lire l’histoire pour comprendre ce qui est arrivé à cette femme. À la fois comique et triste !!! C’est un exemple où la réalité a dépassé la fiction.
Le désir d’en avoir pour notre argent ??? Mais tout le monde veut être satisfait, en avoir pour son argent. Seulement le moyen d’y parvenir est différent d’une personne à l’autre puisque les goûts sont différents d’une personne à une autre. Ce que j’apprécie peut ne pas être apprécié de mon voisin. Il y a par exemple des parfums que l’on aime et d’autres que l’on aime moins ou pas du tout. J’aime «Eternity» de Calvin Klein.
Les chiens aussi n’ont pas les mêmes goûts !!! Le chien de mes parents mordille et déchire tout ce qui est en papier, si mes parents oublient un livre ou quoi que ce soit en papier, là où il peut réussir à mettre la patte dessus, là où il peut l’attraper avec sa belle gueule de cocker.
Il n’y a pas de mal, en principe du moins, à remettre sa vie en question… Mais pourquoi se mettre à faire pire ? Pourquoi commencer à faire ce qu l’on finira par regretter un jour ou l’autre ? Et pourquoi se refuser le droit aux regrets, uniquement pour se mentir à soi-même le reste du temps qu’il nous reste à vivre ?
À la lecture de certains livres, on a parfois l’impression de lire une histoire idéale et ensuite… Et bien, ensuite la vie continue…
Conclusion ? Arto Paasilinna a été bûcheron…
Ouvert de mai à octobre, le Musée du Bûcheron est situé dans le village de Grandes-Piles !!!
Bonjour,
Je préfère de beaucoup travailler dans la simplicité. Bon l’équipe de rédaction ne veut pas que je parle de mon roman (Qu’ils ont perdu sans doute) mais peu importe. Est-ce que le spectaculaire est important? Non. L’extraordinaire? Sûrement. Et nous cotoyons quotidiennement l’extraordinaire. Un des commentaires parlait d’une femme tué par des laitues. Ce n’est pas ordinaire. Pourtant l’enchaînement de circonstances qui donne ce résultat est souvent simple. Et c’est là d’après moi tout l’art du conteur.
Le premier roman qui a été écrit au monde est le conte de l’arbre creux au Japon. Il s’agissait d’une tradition orale sur les aventures érotiques d’un prince Japonnais. L’écriture pour qu’elle soit lue doit charmer autant que le conte oral. Et un conte oral donne toujours dans la simplicité. Il faut que l’histoire soit facile à suivre et qu’elle soit aussi rythmée.
C’est pourquoi j’ai toujours des doutes quand on parle de grande littérature et d’images poétiques dans le cas d’un roman. Je me rappelle « les versets sataniques ». Encensé par tous je n’ai pas pu me rendre plus loin que la page 50 si je me souviens bien. Il y avait beaucoup d’image poétiques qui au bout du compte étaient surréalistes. Un homme qui tombe d’un avion qui vole à 20 milles pieds meurt sur le coup. Il ne se met pas à réfléchir sur le sens de la vie. Donc absence de simplicité donne souvent comme résultat une histoire bancale.
Il ne faut pas oublier que le premier roman occidental est « le chevalier à la charette » mettant en scène Lancelot qui vient d’une tradition orale bretonne et qui fait pondre un scénario hollywoodien par année (Environ)
Est-ce que vous voyez à quel point la simplicité est importante? autre exemple: Un des plus grand succès littéraire portuguais: Une biographie d’une femme vivant dans un ghetto de Buenos Aires. Ou encore « Mon tour du monde en 80 ans)
Simplicité!!! Toujours.
Bien sûr, il y a dans tous les styles et genres d’écritures, des «Fashion Victim»! C’est-à-dire, que bien souvent, l’éditeur même conseille, un mode plutôt qu’un autre. Et que le roman «Space Odyssy/ Opera» et plus convoité, que les courtes nouvelles. Et que la poésie pas trop ponctuée, laissant échapper quelques «sacres, ou blasphèmes ici ou là» paraîtra mieux! De plus, ce même éditeur réussira, à vous convaincre, que l’on écrit plus comme autrefois! Or, il faut être obligé de l’admettre, toute personne qui veut éditer (à moins d’avoir une solide réputation, ou de publier à compte d’auteur), devra donc se plier, à certains critères d’admissibilité. Sinon, son tour vient de passer! Je suis d’accord, qu’en «ce qui me concerne, j’ai plutôt un faible pour les artisans, ceux qui utilisent les outils d’une extrême sobriété. Ils s’avancent dans le vide, l’air de rien avec leur salopette de mécanicien, et vous bricolent des miracles avec des bouts de ficelle.» Mais, qui présentement, peut encore se permettre de le faire?
Qui n’a pas découvert ce genre de roman un jour sur « sa table de nuit » ? Que de romans trainants ici … là !? Nous regardons sans les voir pour qu’un beau jour, manque de lecture oblige, nous l’ouvrons avec hésitation, le feuilletons doucement d’un air sceptique, et puis, voilà, commençons la lecture pour découvrir que finalement cette oeuvre ignorée valait la peine d’être découverte.
Ces trésors de nos bibliothèques ou de nos greniers que nous découvrons par hasard nous laissent souvent agréablement surpris. Pourtant, combiens de romans au language ampoulé à l’excès auront retenus notre attention ?
Aucun.
La simplicité aura toujours plus d’impact sur la réflexion que des périphrases étourdissantes.
Encore faudra-t-il, enfin, l’ouvrir le fameux livre de chevet.
C’est une belle surprise que de découvrir qu’un bouquin qui semble anodin ou sans importance puisse captiver notre attention à ce point. Ça arrive plus particulièrement lorsqu’il s’agit de livre prêté et ça s’explique simplement. Quant on achète, on se document et on choisit alors que s’il nous est prêté par quelqu’un, on ne sait pas toujours à quoi s’attendre. Je suis également du même avis que M. Dickner, on a parfois l’impression que les auteurs prennent d’énormes détours pour nous raconter une simple histoire alors que tout ce que nous voulons c’est de passer un bon moment avec un bon livre. Si celui-ci répond à ce simple critère, je l’achète.
Ma simplicité, je l’ai découverte avec Gabrielle Roy. Manipulant parfois la plume comme tout le monde, je me rends compte que je me perds dans les grandes formules. Désir d’exposer mes connaissances? Pas autant qu’excité de voir que je possédais parfois le mot juste. Mais entre choisir le bon mot et alourdir un texte, parfois, même la meilleure des volontés ne permet pas la pureté. Et quand ce n’est pas le choix des mots qui attaque la simplicité, c’est la tournure de la phrase.
Je possédais une vieille édition de Bonheur d’Occasion. Un de ces bouquins qui me fait penser que je me le suis procurer sur le bord de la Seine tant la couverture fait poussiéreuse. Un de ces livres qu’on aime laisser traîner pour montrer à quel point on est un amoureux de l’ancien. Mais comme j’avais vu le film et que je l’avais trouvé un peu mièvre (bien que tourné avec justesse), je n’avais pas de grandes envies de m’attaquer à sa lecture. Jusqu’à un jour semblable à celui qui vous a vu entamer Arto. Un jour semblable aux autres où on se dit: Mais pourquoi pas?
Et tout à coup, j’ai compris ce que voulait dire laisser une histoire prendre le dessus. J’ai compris ce que voulait dire ne pas tenter d’être plus important que son propos. Gabrielle Roy n’a rien de spectaculaire. On se demande même si elle est une grande littéraire tant le propos est succinct, tant l’histoire paraît toute simple. Puis je me suis rappelé que les plus grands sportifs sont ceux qui nous font croire qu’il est facile de faire ce qu’ils font. Et j’ai compris que si je pensais pouvoir faire aussi bien que Gabrielle Roy, c’est qu’elle m’avait leurrer. Elle m’avait fait croire que chacun de ses lecteurs pourraient s’en tirer aussi bien qu’elle. Alors qu’au fond, pour arriver à une telle pureté dans l’histoire, il faut pouvoir la maîtriser à fond. Gabrielle Roy n’a rien à prouver. Elle ne prend pas la plume comme d’autres prennent le micro. Elle nous raconte une histoire. Toute simple.
Je suis heureuse de constater qu’un écrivain comme vous, Nicolas, apprécie les écritures simples et les bonnes histoires. Moi aussi, j’aime bien. Et je ne parle pas à travers mon chapeau, car j’ai lu tous les Paasilinna traduits en français et plusieurs m’ont ravie. Paasilinna a un merveilleux don de conteur qu’il exploite de façon magistrale. Parmi ses meilleurs, je vous recommande Le meunier hurlant et La douce empoisonneuse. Bien que d’un titre à l’autre on reconnaisse souvent les mêmes procédés littéraires, une narration plutôt classique, ses histoires ne sont jamais banales. Il est vrai qu’au Québec on encense le jeu de mots, l’abondance métaphorique et hyperbolique, et certains (jeunes) auteurs s’en donnent à coeur joie tellement ils souffrent du syndrome de Réjean Ducharme, – sans parler des critiques qui en remettent… Paasilinna, lui, nous sert toujours, avec son exemplaire simplicité, une grande leçon d’écriture.
Habituellement dans vos chroniques,vous partez d’une situation particulière pour aboutir à une généralité en passant par un petit développement philosophique mais cette fois,c’est le contraire:vous partez d’une généralité pour aboutir à votre situation particulière en la justifiant de façon philosophique ou plutôt littéraire.Au Québec,on…Qui ça « on »?Comme le « on » exclut la personne qui parle,cela revient à dire que tous sauf vous,aiment les écritures compliquées.Et je me demande quel argument vous fait généraliser à ce point et pré-supposé que les québecois dans leur ensemble apprécient les écritures emberlificotées. Je ne suis pas convaincue que les admirateurs de Michel Tremblay et Yves Beauchemin seraient d’accord avec vous.Il aurait été intéressant que vous citiez quelques exemples autre que Réjean Ducharme.Et si c’est vraiment le cas,il nous faudrait en informer nos cousins les français qui,grâce à un écrivain anglophone de chez nous,nous croient toujours abonnés aux romans du terroir.
Personnellement,si je fais exception de quelques intellectuels qui ont la grosse tête et se prennent trop au sérieux,je pense que nous sommes plutôt des adeptes de bonnes histoires bien racontées.Notre engouement pour les contes en est témoin.
Comme je ne tiens pas à généraliser davantage,je me contenterai de rendre hommage à Gabrielle Roy déjà citée par une internaute et du côté français à Yann Queffélec.La lecture de « Les noces barbares » a été un moment de pure jouissance.Une belle langue,pas un mot de trop et tout ça au service de l’histoire tragique d’un petit mal-aimé…D’ailleurs,comme je suis convaincue que la plupart d’entre nous possèdent de ces livres qu’ils ou elles chérissent, il serait intéressant que Voir.ca crée un espace où nous pourrions partager nos coups de coeur respectifs.Cela pourrait donner de belles suggestions de lecture…
L’écrivain se doit de partager son récit de la façon que le récit veut se faire raconter.
J’ai l’impression qu’un style simplistique n’est pas un choix que l’auteur décide mais plutôt l’état de l’âme de celui-ci au moment de rédiger son récit.
Je ne suis pas écrivaine, mais avec la quantité de livres que je passe, je crois que l’histoire à sa propre vie après un certain point de non-retour, la plume dicte l’écrivain, les personnages s’envolent, les paysages se transforment.
J’avoue que j’ai un faible dans mes goûts littéraires. Je recherche cette simplicité dans les phrases, comme le vécu du quotidien. Il n’y a rien de compliquer à marcher dans la rue alors pourquoi un auteur doit le décrire d’une façon exagérée… (des fois je me demande, pour prendre plus de place que nécessaire?)
D’après moi, un bon écrivain est comme un magicien, s’il réussit à disparaître, et le tour est joué, tant mieux.
Je suis quand même d’accord que les éditeurs influencent les tendances littéraires, par phase on retrouve dans nos librairies un type de roman thématique qui plait à une groupe visée (jeune femme célibatiare comme dans la série Shopaholic), ensuite ce type de roman cède sa place pour une autre goupe visée (comme par exemple des fanatique de réligions avec Dan Brown).
Si la sobriété littéraire pour laquelle vous penchez, cher monsieur Dickner, ne semble pas souvent avoir la cote, cela pourrait bien être parce que cela ne permet pas d’impressionner la galerie. Une galerie trop fréquemment imbue de pédanterie, se complaisant dans les contorsions sémantiques auxquelles elle ne comprend mot – mais qu’elle fait mine d’apprécier à titre de « fin gourmet » de la langue. Mais est-ce alors à dire que l’écriture obscure répond davantage aux goûts véritables des lecteurs que le style préconisé par Nicolas Boileau? On peut sérieusement en douter, mais cela ne fait pas très érudit de reconnaître qu’on aime bien comprendre assez facilement ce qu’on lit…
D’ailleurs, le recours à une phraséologie alambiquée pourra s’avérer un commode écran de fumée pour les auteurs au talent plus chancelant qu’évident. On recourt à l’artifice, on plaque une mince couche de brillant sur un fond terne, et le tour est joué. La galerie fera le reste, avide qu’elle est d’encenser l’inintelligible en prétendant avoir parfaitement saisi ce à quoi l’auteur lui-même ne comprend goutte! En fait, nous avons ici affaire à un mariage de raison entre, d’une part, des auteurs qui n’ont pas grand-chose à dire et qui par conséquent misent sur l’emballage et, d’autre part, des lecteurs généralement assez incultes ravis d’étaler la culture dont ils sont justement dépourvus.
Aussi, je décèle dans notre société un certain attrait pour le flou, le nébuleux. C’est ainsi que les deux dernières questions référendaires étaient amphigouriques à l’extrême. Comme on les aime ici, apparemment. Bien loin de ce que préconise l’écrivain français Henri Beyle (1783-1842), dit Stendhal, lorsqu’il écrit: « la seule qualité à rechercher dans le style est la clarté ». Mais je soupçonne malgré tout que plusieurs ont, comme vous et moi, « un faible pour les artisans », comme vous dites monsieur Dickner. Un faible qu’on n’ose toutefois pas avouer trop ouvertement. Un jour, peut-être.