Je ne sais pas ce qui me prend: me voilà lancé dans un pèlerinage sur les hauts lieux littéraires de cette planète.
Peut-être est-ce l’interminable dérapage autour des accommodements raisonnables qui me donne envie d’aller voir ailleurs si nous y sommes?
Il y a trois semaines, nous nous promenions sur la calle Amazonas, à Lima. La semaine dernière, je vous livrais mes maussades notes de voyage dans Montparnasse. Jamais deux sans trois: je vous propose aujourd’hui une promenade sous le tropique du Cancer.
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Avril 1999, petite fin de siècle caraïbe. L’apocalypse est toujours en aval, Google ne fait pas encore partie des moeurs et il reste six ans avant l’apparition de YouTube.
L’action se passe à Santo Domingo, capitale caniculaire de la République Dominicaine.
Je reviens de passer trois mois à Atalaya, un village de montagne isolé, dans une cabane en planches de cocotier dont la population consistait en dix coopérants canadiens, deux colonies de fourmis et plusieurs douzaines d’araignées géantes. Notre contrat se termine à peine et nous tuons le temps dans la capitale en attendant notre vol.
Or, merveilleux hasard, le troisième Salon du livre de Santo Domingo bat son plein.
Oserais-je l’avouer? Je n’ai jamais mis les pieds dans un salon du livre auparavant. Je plaide coupable: le concept ne me branche pas. Après tout, quoi de moins inspirant qu’un grand gymnase avec du tapis, des fluorescents et des kiosques? Je préfère de loin la bouquinerie de quartier.
Un salon du livre, donc. À Santo Domingo. Pourquoi pas?
Notre petite troupe se pointe peu après le coucher du soleil, sous un ciel de mangue. Première surprise: le salon se déroule à l’air libre. Passé le portail, nous découvrons un vaste champ de foire – à peu près la taille du Salon du livre de Paris – semé de stands, de larges allées et de petits carrefours. Ça grouille de monde, les enfants courent en tous les sens et les perroquets observent la scène, perchés dans les arbres à pain.
Je ne garderai aucun souvenir sonore précis, mais il ne fait aucun doute que les gens parlent fort et que l’on entend, çà et là, des bribes de bachata. Le bruit est une religion, en République Dominicaine.
Nous nous éparpillons entre les stands et découvrons – seconde surprise – que les organisateurs ont une vision pour le moins ouverte de l’événement. Outre les habituels libraires et éditeurs, le salon de Santo Domingo compte moult vendeurs de bricoles, poètes obscurs, consultants en naturopathie tropicale et (ô allégresse) plusieurs bouquinistes qui tiennent des échoppes bordéliques. Rien à voir avec nos présentoirs soigneusement cordés.
Troisième surprise, nous tombons sur un kiosque de relations publiques de la Falconbridge, une compagnie minière ontarienne qui exploite le nickel dans l’arrière-pays dominicain. Dans un salon du livre!
Dans le fond, il n’y a pas de quoi s’étonner. Les Latino-Américains n’entendent pas souvent parler de littérature canadienne. L’industrie minière nationale, en revanche, ils la connaissent très bien. Nos compagnies ont un penchant pour les relations publiques – surtout lorsqu’elles s’occupent à briguer la norme environnementale ISO 14001.
Vous arrivez à visualiser ça, vous, une mine à ciel ouvert écologique? Personnellement, je préfère les salons du livre à ciel ouvert.
Je m’émerveille rétrospectivement devant la variété des exposants – dans le meilleur comme dans le pire. À ce chapitre, nos salons du livre font figure d’amateurs. Le pied carré coûte sans doute trop cher au Centre des congrès.
Cela dit, je ne voudrais pas suggérer que le Salon du livre de Santo Domingo se résume à une sorte de souk pittoresque. L’édition 2007, par exemple, sera dédiée au poète Franklin Mieses Burgos. Vous en connaissez beaucoup, vous, des salons du livre qui mettent un poète à l’honneur?
Je garde un souvenir impérissable de ce pétulant événement. Depuis, tous les autres salons me semblent un peu trop tranquilles, un peu trop propres. Ça manque de désordre, de micro-éditeurs et d’arbres tropicaux.
La Feria del Libro de Santo Domingo fêtera son 10e anniversaire ce printemps, du 23 avril au 6 mai. J’espère qu’il y régnera encore la fraîcheur des premières années. Si d’aventure vous passez dans le coin, soyez gentils: allez y jeter un coup d’oeil de ma part.