Hors champ

La saison des concours obscurs

Une amie qui habite au Japon m’envoyait la nuit dernière un article du International Herald Tribune à propos d’un concours de poésie réservé aux cols blancs nippons. Ah, l’inépuisable diversité culturelle asiatique…

Pour être éligibles, les participants devaient soumettre des senryu – une forme de poème similaire au haïku (3 vers totalisant 17 pieds), mais qui traite spécifiquement de la nature humaine.

Les organisateurs ont reçu quelque 23 179 textes, qui dressent un portrait fascinant de la vie des cols blancs japonais d’un certain âge. Oubliez la majestueuse silhouette du Fuji Yama: on s’intéresse ici à la mésadaptation domestique, aux querelles matrimoniales autour de l’argent ou à de futiles gadgets technologiques. Le ton des textes est décapant. Un concurrent écrit par exemple: "La seule chaleur de ma vie est celle du siège de toilette chauffant". Un autre se plaint: "J’ai beaucoup amassé – mais pas des économies: de la graisse corporelle".

De tels concours ne sont pas intéressants sur le seul plan sociologique: on y découvre aussi de petits bijoux littéraires.

Je me souviens d’un concours de poésie organisé par le quotidien britannique The Guardian où tous les textes devaient être composés et soumis par SMS – vous savez, la messagerie texte par téléphone cellulaire? Cette singulière contrainte enchanta les lecteurs, qui inondèrent le comité organisateur avec plus de 7500 micropoèmes et haïkus déjantés.

N’allez pas croire que la sobriété technique du SMS est une contrainte facile. Vous y arriveriez aisément, vous, à caser un poème en 160 caractères? La plupart des participants se cantonnèrent au cadre traditionnel – anglais impeccable et vers rimés -, mais plusieurs cherchèrent d’étonnantes manières de contourner la grammaire. Le jury décida même d’attribuer un prix spécial pour l’usage le plus créatif des abréviations. (Le poème de la gagnante, Julia Bird, fut publié en version SMS avec traduction anglaise.)

Règle numéro un des concours littéraires: il vaut toujours mieux serrer la vis aux participants plutôt que de leur laisser les coudées franches.

En témoigne d’ailleurs l’initiative du magazine Wired qui, l’automne dernier, lançait à 33 écrivains le défi d’écrire des textes de fiction en 6 mots – fulgurant exercice inventé par Ernest Hemingway. ("À vendre: chaussures de bébé, jamais portées.")

Imagine-t-on la maîtrise de l’ellipse que nécessite pareille miniaturisation? La contrainte semble presque impossible à respecter – et pourtant, les auteurs rameutés par Wired s’en tirent à merveille.

Prenez par exemple ce texte d’Orson Scott Card: "Groupe sanguin du bébé? Essentiellement humain."

Ou celui de Kevin Smith: "Kirby n’avait jamais mangé d’orteils auparavant."

Dans un tout autre registre, les anglophones peuvent participer au 3-Day Novel Contest, qui consiste à écrire un roman complet durant la fin de semaine de la Fête du travail. Fondé en 1977 par une poignée d’écrivains de Vancouver, le concours continue d’attirer chaque automne les têtes brûlées et autres caféinomanes qui veulent se mesurer à eux-mêmes. Pareil exercice doit certainement coûter quelques neurones aux participants (les organisateurs fournissent d’ailleurs un Guide de survie.)

Mais parmi toutes les épreuves littéraires bizarres de cette vaste planète, mon coup de coeur absolu va au Bookseller Magazine qui couronne chaque année, depuis 1978, le titre le plus étrange de l’année.

Parmi les finalistes de l’édition 2006, on trouve: The Stray Shopping Carts of Eastern North America: A Guide to Field Identification ("Les Paniers d’épicerie errants du nord-est américain: guide d’identification") ainsi que Tattooed Mountain Women and Spoon Boxes of Daghestan ("Montagnardes tatouées et coffrets à cuillères du Daguestan").

Est-ce que ça ne vous réchauffe pas le coeur?