Il existait, dans le bled bavarois où j'ai jadis vécu une année, un merveilleux petit cinéma de quartier: le Lichtspielkino. <p>Il s'agissait d'un ancien cinéma porno où l'on projetait désormais des films de répertoire. La salle était décrépite, étroite comme un placard. L'écran était grand comme la main et les bancs grinçaient au moindre mouvement – mais on y présentait la meilleure programmation imaginable. (Le spectateur était en outre autorisé à boire de la bière pendant la projection.)<p>J'ai vu, durant cette année, un nombre incalculable de films yougoslaves et chinois sous-titrés en allemand, de courts métrages berlinois et de grands classiques post-synchronisés dans la langue d'Hoffmann. <p>Seul pépin: mes connaissances de l'idiome local étaient moins que minimales. Aucune importance, je comprenais des bribes de dialogues, déduisais le reste de l'image, raboutais tout ça à la va comme je te pousse – et me bricolais de la sorte une compréhension approximative du film.<p>Une année confuse, en somme, dont je garde un souvenir impérissable.<p>Certains spectateurs s'énervent lorsqu'ils ne saisissent pas tout, tout de suite, aussi le cinéma hollywoodien moderne est-il conçu afin que l'on ne s'y égare jamais. On ne laisse aucune place au doute, et certains personnages ne participent au récit qu'à la seule fin d'expliquer certaines "technicalités" au spectateur. (Il s'agit souvent d'un personnage plus idiot que nature, ce qui ne devrait guère nous rassurer quant à l'idée que se font certains cinéastes de leur public.)<p>Pour ma part, j'aime bien perdre un peu le contrôle. Ne pas tout comprendre. Je m'imagine les développements narratifs les plus sympathiques – et, ma foi, je ne vise pas toujours à côté de la cible.<p>Je discutais samedi soir avec mon oncle Lionel, qui a longtemps gagné sa vie comme mécanicien. Sa compréhension de l'anatomie des voitures dépasse très largement ce que l'on nomme talent ou connaissance: cela frôle le génie.<p>Assis à la table de la cuisine, il me narrait avec moult gestes certains problèmes qu'il avait rencontrés au cours de sa carrière, les expériences qu'il avait menées afin de comprendre des moteurs mal conçus, et les solutions détournées qu'il avait dû imaginer. <p>En l'écoutant, je voyais se dessiner une conception de la mécanique pas très éloignée du travail des mathématiciens ou des romanciers généralistes. Mon oncle pouvait résoudre à peu près n'importe quel problème mécanique, mais certaines solutions le dégoûtaient car elles étaient inélégantes. Du bricolage indigne qui fonctionnait, certes, mais qui heurtait son sens du travail bien fait.<p>Il ne s'agissait pas, en dépit des apparences, de banales anecdotes de mécanicien, mais d'une histoire sur la beauté et l'élégance.<p>Moi qui suis un analphabète de la bielle et du piston, je n'ai suivi que très imparfaitement les subtilités techniques relatives à la pompe du carburateur ou à la synchronisation des pointes – mais ça n'avait vraiment aucune importance. Lorsqu'une histoire est intéressante, on ne s'emmerde jamais.<p><b>ÇA Y EN A BEAUCOUP BROUHAHA POUR RIEN</b><p>Tout le monde s'offusquait, la semaine dernière, qu'une grande librairie de Londres ait retiré <i>Tintin au Congo</i> de la section pour enfants afin de le reclasser dans celle des adultes. On se gaussait (voire s'inquiétait) de cette poussée de rectitude politique.<p>Je suis assez étonné par tout ce brouhaha, à vrai dire.<p>Depuis des années, chacun dénonçait ce chiffon raciste et colonialiste. Or, maintenant qu'on veut le traiter en conséquence, tout le monde s'étonne.<p>En fait, personne, je crois, n'a souligné un truc pourtant fondamental: il s'agit d'un album médiocre. Mal foutu, mal raconté, broche-à-foin. Qu'il faudrait soustraire à l'attention des enfants non seulement à cause de son contenu, mais aussi parce qu'il s'agit d'une véritable catastrophe narrative. <p>N'allez pas me prêter des intentions: je suis un grand amateur de Tintin. Je tiens certains albums du reporter à la houppe pour des chefs-d'oeuvre, et je les relis avec un plaisir sans cesse renouvelé. Mais <i>Tintin au Congo</i> ne présente qu'un intérêt purement anecdotique. Ça n'a même pas valeur de témoignage historique: tout ce que cet album représente, c'est le regard condescendant que portait le Belge moyen d'avant-guerre sur les colonies africaines – et encore faut-il lire ce satané bouquin au second degré pour le comprendre.<p>Je préférerais encore que mes enfants lisent <i>La Mécanique pour les nuls</i>, tiens.<b></b><p>
Une chronique où les uns et les autres vont rendre visite aux voisins : Tintin en Afrique ( on raconte que les Belges seraient , au fond , des Allemands parlant Français ?) , redéployé, recontrôlé , par les Britts, ( la Reine d’Angleterre voit les racines de son arbre généalogique s’étendre et remonter jusqu’au Saxe-Cobourg et Gotha ) , le romancier chez le garagiste et le chroniqueur à Hildesheim . C’est fou ce qu’on voyage .sans se déplacer.
Vous savez mon envie d’aller aux Indes ? Eh bien demain soir on présentera , dans un cinéma d’essai de la région , le documentaire de Claudia Bérubé « Destinations » relatant, caméra à l’épaule , le périple de québécois bien intentionnés, à la recherche de sagesse , de Rishikesh à Gangotri en passant par Haridwar.
J’y serai, d’autant que durant l’été nous n’avons pas de cours de yoga. Ma professeur est une femme-athlète d’une rare beauté , yogini depuis 25 ans et ontarienne d’origine mais d’ascendance allemande.
J’aime bien ses cours et j’essaie de garder le contrôle mais ce n’est pas facile avec toutes ces épaules et mollets et cette voisine de tatami , bien concentrée , qui retire son chandail .. avant de faire la chandelle !!! Il faut bien garder le contrôle !
Ce n’est pas demain, ni en Europe , ni en Amérique qu’un enfant mâle se verra donner le prénom « Adolphe » . C’est dire qu’une grande réconciliation est encore à parachever . Mais voilà n’empêche que nous devons beaucoup de choses au peuple allemand et à son génie créateur. Inutile d’énumérer : les magiciens du violon , du verbe , du Ça , du volant et de l’autobahn.
Dans les livres d’histoire et les encyclopédies , on parle beaucoup de la hantise de ce peuple , de la forêt « noire » et de son envie ancestrale, culturelle , génétique de « perdre le contrôle » .
Malgré toute notre bonne volonté, ce n’est pas à nous que ça arriverait !
Ce que j’en dis de tollé devant le retrait de « Tintin au Congo » de la section enfants ? C’est enocre une preuve qu’il ne faut pas toucher aux icônes. Une icône, c’est un principe juché sur la marche la plus haute du piédestal. Hergé et tous ses Tintins sont intouchables, les bons ou les moins bons, s’entend.
Que les Anglais veulent le retirer de la tablette « enfants » pour le mettre sur la tablette adulte ; et pourquoi pas ? Pourquoi tant de protestations pour si peu ? Le parent qui veut l’offrir à son enfant n’en est pas empêché.
La seule chose avec laquelle je ne suis pas d’accord avec vous prend sa source ici : « Ça n’a même pas valeur de témoignage historique: tout ce que cet album représente, c’est le regard condescendant que portait le Belge moyen d’avant-guerre sur les colonies africaines ». Justement, il y a ici une valeur (mauvaise mais valeur tout de même) historique puisque le Belge moyen d’avant-guerre portait un regard condescendant sur les colonies africaines.
On ne peut nier ses préjugés passés. Même si ça ne nous enchante pas, ils font partie de notre histoire. Que les parents veulent mettre la chose dans son contexte, soit, l’idée est excellente.
Voyez, mon père est mécanicien de formation, je me suis tout de suite sentie interpellée par ces discours qui nous semblent parfois nébuleux quand ils ne traitent pas de nos propres intérêts ou passions… qui semblent encore plus loin de nous quans c’est raconté avec les mouvements et les yeux de l’amoureux du sujet… puisqu’on ne comprends pas toujours. Votre texte m’a fait voir que souvent, moi comme d’autres, oublions de rechercher ce qui soulève une personne quand elle nous parle de quelque chose qu’on ignore, qu’on croit d’abord ne pas aimer ou qui nous semble dépourvu d’intérêt… Mais prêtant l’oreille, observant l’autre comme si c’était nous-même emporté dans nos envies de décrire les beautés et les gâchis que nous côtoyons dans nos domaines respectifs, alors là, c’est vrai, on y perçoit la beauté et l’élégance, la surprise et l’enthousiasme qui possède et traverse l’autre comme il nous traverse quand c’est notre tour.
C’est un peu aussi ce qui m’est arrivé hier: j’ai loué Requiem for a Dream (je sais y’a longtemps que j’aurais dû!), le DVD était en langue originale seulement, pas même de sous-titre pour m’aider un peu. Certes, je comprends l’anglais, je peux le parler s’il le faut et je l’écris encore mieux… Mais dans un film, ce n’est pas comme dans un cours d’anglais où le professeur prononce tous les mots précieusement, non. Il y a des expressions qui me sont moins familières, des tons de voix trop bas, trop peu prononcés, couverts de larmes, de cris, de stress, de rage… Les répliques ne sont donc pas toutes évidentes. Mais comment ne pas comprendre l’histoire de ce film? Comment ne pas ressentir la tristesse, la solitude de ce film? Comment ne pas se sentir tellement humain en l’écoutant, en se laissant pénétrer de sa musique entêtante? On ne peut pas ne pas…
Je vais essayer plus souvent d’enlever les sous-titres… d’écouter ce qui est l’art de l’autre aussi…
merci
Beaucoup plus compliqués que des problèmes de carburateur sont les questions que des romanciers se sont posées sur leur art. Qu’il s’agisse des métaphores de Lewis Carroll dans son Alice au pays des merveilles ou des variations sur un thème polar d’un Paul Auster dans sa Trilogie new-yorkaise, depuis longtemps déjà, les romanciers ont poussé plus loin leurs interrogations à propos d’un genre, le roman, qui plus que la poésie ou le théâtre, mêlait inextricablement le narrateur avec ses personnages.
Mais pour qui voudra voir jusqu’où peuvent aller ces réflexions philosophiques, il n’y aura qu’à lire ce livre mal connu de Louis Aragon, La Mise à mort, pour constater à quel pont ces réflexions plongent dans la réalité historique, celle du monde et celle de la littérature. Avec ce roman dans le roman d’Aragon, les problèmes de techniques se prolongent bien au-delà dans ce qui est la définition d’un romancier au temps de maintenant. Jamais à mon sens la liberté de penser et de questionner ne s’est manifestée avec autant de pertinence et d’aplomb et ce, de la part de quelqu’un réputé pour avoir été obéissant jusqu’à la contradiction de mots d’ordre qu’il plaçait au-dessus de ses intérêts propres.
Les caricatures du monde, qu’elles soient le fait des films hollywoodiens ou des bandes dessinées de l’ineffable Hergé, nous paraissent de bien pâles reflets en comparaison de ces ouvres des romanciers qui nous invitent à passer à leur suite au-delà des miroirs. Aragon est de ceux qui nous invitent aux sauts les plus périlleux et dans le cas précis de ce roman de lui, même les sous-titres qu’il signe tantôt d’un nom, tantôt d’un autre, nous sont de bien peu de secours. Mais au bout du compte, l’histoire qu’il nous raconte est la nôtre, même quand est posée la question de savoir jusqu’à quel point Je est un autre…
Un document littéraire peut aussi nous raconter ce que nos artistes sont devenus.
C`est le cas avec le magnifique récit d`Édith Fournier, auteure, qui nous raconte ce qu`il advient de son célèbre conjoint cinéaste Michel Moreau, atteint depuis quelques années de la maladie d`Alzheimer et de Parkinson.
Elle nous offre J`ai commencé mon éternité, titre très évocateur du récit qu`elle en a fait au travers ces 4 années de pertes et de deuils quotidiens.
Cet ouvrage frappe en plein coeur. Les maladies dégénératives évolutives sont terriblement éprouvantes pour le malade lui-même ainsi que pour son entourage.
Parce que le sujet me touchait particulièrement, j`ai lu ce livre d`un seul jet, en deux jours à peine, parce que j`en ai été profondément bouleversée. Mais cet ouvrage remarquable de générosité et de beauté au niveau du style littéraire et du choix des mots pourrait très bien convenir au terme de livre d`accompagnement quand survient une épreuve à traverser.
J`ai commencé mon éternité de l`auteure Édith Fournier.
Un très très beau livre qui parle de Michel Moreau(Les Ordres).
Que peut-il, donc vraiment y avoir en commun, entre ces trois items? Si, ce n’est que faire ventiler, les plafonniers des matières grises? Ou, de s’attirer, la foudre et le tonnerre, de concepts innovateurs? Tout en pensant, bien foudroyer d’anciens bricoleurs enracinés farouchement, dans le sol. Cependant, on oublie une toute petite chose, pourtant fondamental, à l’élégance du carburateur : est-ce possible, qu’il manque un peu d’huile? Cela grince, dans les coins obscurs des sombres pensées? Mais, voilà eurêka, j’ai trouvé : Tintin, possède un paratonnerre! Qu’importe, la Mécanique pour les nuls, ils seront toujours assez nombreux. Si, vous croyez à de l’incohérence, ne vous en faites pas, je revendique l’absurdité pour tous, et la dérision comme libre choix. En fait, tout se résume par : «Ça y en beaucoup brouhahahahaha pour rien».