<i>Livres Hebdo</i> dévoilait récemment le nombre de romans qui feront la rentrée littéraire en France: 727.<p>Les chiffres grossissent d'année en année. Je suppose qu'après un moment, on cessera de s'étonner pour mieux s'inquiéter du sort des épinettes, que l'on oubliera aussitôt pour décréter la mort du roman – et on reviendra à la charge pour annoncer une nouvelle rentrée record.<p>Passez à <i>Go</i>, réclamez 200 dollars.<p>Au coeur de cette extrême abondance, le moment semble bien choisi pour vous poser une question en forme de pied de nez: quel unique et ultime livre emporteriez-vous sur une île déserte?<p>L'exercice est vieux comme le monde. Je me suis déjà livré à plusieurs versions, avec les épices, les canifs suisses, les disques – et, plus sournoisement, avec les gens. Mais le livre semble l'objet naturel et récurrent de ce jeu. On associe spontanément la lecture à la réclusion, donc aux îles désertes, aux cellules de pénitencier, aux wagons vides du Transsibérien.<p>Il y a quelque chose de sain dans cette tentative de réduire la littérature à l'essentiel. Quelque chose qui force à se recentrer, à se nettoyer.<p>En ce qui me concerne, pas de surprise, j'opterai pour un grand classique: la Bible.<p>Trouvez-moi un autre bouquin qui parvienne à condenser la création du monde et de l'humain, cent guerres intestines, des tractations et des trahisons, des migrations interminables, des cataclysmes, des histoires de famille compliquées, des héros rusés, des génocides sanglants, du cul, de grandes histoires d'amour, un messie, des correspondances subtiles et la fin des temps – tout ça avec une touche de surnaturel et en moins de 3000 pages!<p><b>LA MANIE DU TANGIBLE</b><p>Parlant d'île déserte…<p>Peut-être saviez-vous que <i>Robinson Crusoé</i> avait été inspiré par l'histoire d'Alexander Selkirk, un marin écossais qui passa quelques années en solitaire sur l'archipel Juan Fernández, au Chili, au début du 18e siècle?<p>Or j'apprends à l'instant, grâce à <i>Wikipédia</i>, qu'une île dudit archipel a été rebaptisée île Robinson Crusoé en 1966.<p>Rien ne m'énerve davantage que cette manie de renommer les lieux d'après un bouquin célèbre. On dirait que les gens ne sont jamais repus: ils n'ont de cesse de savoir ce qui, dans une oeuvre, relève de l'authentique, de l'autobiographique, de ce-qui-s'est-bel-et-bien-passé. Et lorsque ça ne suffit plus, ils trafiquent la réalité afin qu'elle ressemble un peu mieux à la fiction.<p>Ai-je assez pesté lorsque, à Québec, en 1992, on débaptisa la côte Franklin afin de la renommer côte de la Pente douce! Je m'en fous joyeusement, qu'il fût question d'honorer Roger Lemelin mort quelques mois auparavant. En cherchant coûte que coûte à faire passer le vernaculaire dans les registres officiels de la ville, on trahit le sens de l'histoire – et, au bout du compte, celui de l'oeuvre.<p>Paraît que l'an dernier, le nom d'Aracataca – le bled natal de Gabriel García Márquez – a fait l'objet d'un référendum. Certains voulaient renommer l'endroit Macondo, d'après le célébrissime village de <i>Cent ans de solitude</i>. Le "oui" a gagné, mais le taux de participation était si faible qu'on a laissé tomber l'idée.<p>J'aimerais aller les embrasser un par un, tous ces braves objecteurs de conscience qui restèrent chez eux!<p><b>LE GYNECEE</b><p>Parlant de <i>Cent ans de solitude</i>…<p>Mon père me racontait, en fin de semaine dernière, comment la ferme familiale des Dickner s'était transmise de génération en génération. Rien de plus fascinant que ces anecdotes du début du vingtième siècle: elles paraissent si lointaines, si étrangères à notre réalité qu'elles en deviennent baroques.<p>Un exemple? Lorsque mon grand-père devint propriétaire de la terre familiale, il s'engagea à prendre la maison telle quelle, avec ses habitants du moment. Or, par des circonstances que je ne m'explique pas encore très clairement, tout un étage de ladite maison était occupé par une quinzaine de tantes et de grand-tantes, veuves et vieilles filles, inlassables tricoteuses oubliées par l'histoire. <p>J'ose à peine imaginer comment ma pauvre grand-mère a pu se sentir en mettant le pied à bord d'un tel gynécée. Vous imaginez un peu l'ambiance? Du véritable García Márquez, mes amis.<p>Exercice de la semaine: au lieu de vous procurer l'un des 727 livres de la rentrée, localisez un grand-père et demandez-lui de vous décrire son jeune temps. Certains sont un peu difficiles à démarrer. Munissez-vous d'une flasque de gin.<p>
sur une île déserte j’emporterais
« Les Filles du Calvaire » de Pierre Combescot ( Paris, Grasset , 1991); ca fait bien 10 fois que je le relis.
Autrefois la rue de Maisonneuvre ( celui qui a planté la croix sur le Mont-Royal ( 233 mètres ) )
s’appelait la rue MIGNONNE.
Ma grand’mère paternelle a « palenté » mon grand’père dans les années 1920 et elle a travaillé , monoparentale pour élever seule , ses trois enfants. Je n’ai pas encore pu retracer la date ni lelieu , du décès de mon dit grand’père, que nous n’avons pas connu ; il est mort seul probablement ; j’ai vu une seule fois une photo de lui; nous avons le même visage à l’identique.
Le livre est essentiel à la vie. Du moins, certains le croient. Par analogie à l’île déserte, la prison est toujours un lieu d’exil plus ou moins volontaire. Remarquez que dans ces institutions qui punissent le mal présumé, les hommes ont droit au livre. Que vous soyez dans un « pen » fédéral pu provincial, vous retrouvez toujours une bibliothèque plus ou moins fournie. Pour des hommes qui se définissent souvent par l’action, le livre doit représenter pour certains un billet d’évasion. Pour les autres, le livre correspond à rien.
Toutes les chambres des motels et hôtels d’Amérique ont une Bible dans un tiroir. Dans ces lieux parfois de solitude, la Bible est souvent peu ébréchée. Pour les propriétaires de ses aires neutres, elle est plutôt jugée comme un talisman contre le malheur.
Revenons maintenant à votre question. Je ne relis jamais un livre; à la limite, seulement quelques passages. C’est un choix personnel, face à la pléthore de publications.
En ce milieu du mois d’août, illuminé par un soleil encore très présent et rafraîchi par des soirées sans nuages et ces millions d’étoiles, » Dieu existe-t-il ? » du théologien, honni par Rome, Hans Küng serait le livre que je prendrais avec moi pour cet exil. Ce penseur prodigieux et libre, ostracisé par sa propre Église, serait un compagnon idéal dans ce voyage qui ne pourrait être qu’intérieur. À partir d’une revue de la pensée des plus grands philosophes, cet homme de lumière réaffirme l’existence de Dieu sans vouloir figer son argumentation de façon définitive.
Le sujet est plutôt sérieux mais le talent et la finesse de Küng me permettront de l’aborder de différentes façons. Ce livre mérite plusieurs relectures et j’aurai de longues heures de réflexion sous le palmier.
Quant à l’amour, l’action, les personnages, la violence et le désir, en fait la grande scène de la vie, j’aurai mes nuits pour y rêver.
J’apporterais sur une île déserte mon dictionnaire encyclopédique Larousse Sélection en couleurs, aux pages grises et écornées, à la couverture maintes fois recollée et souvent déshabillée de sa jaquette.
Mon dico a été édité par M.Claude Augé, lexicographe français (1854-1924), créateur du Dictionnaire complet imagé (1889) qui devint, en 1906, le Petit Larousse illustré. (Mais le précurseur et premier éditeur fut Pierre Larousse qui entreprit la publication du Grand Dictionnaire universel du XIX ième siècle, en 15 volumes (1866-1876).
Je crois avoir trouvé, M.Dickner, une équivalence avec votre Bible. Toutes vos histoires se retrouvent dans mon livre, le germe en tout cas; c’est là la ressemblance flagrante entre
nos deux volumes et en autant que vous ayez un tant soit peu de mémoire ou ou et, de l’imagination, c’est partiiiii en moins de 3000 pages aussi. Pour l’imagination, faites-moi confiance: la folle du logis est toujours présente. La différence de nos choix est que mes sujets sont beaucoup plus diversifiés que les vôtres qui tournent toujours autour de la religion, même quand ça parle de cul, comme vous dites si bien.
Avec mon dico, je pourrais rester longtemps sur l’ île déserte, vu la quantité de la matière. Je préparerais ces jours où je pourrais, comme la devise de la librairie Larousse, «semer à tout vent». Et je verrais arriver le corsaire ou le forban, avec désappointement, peut-être.
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La manie du dé-baptême me frustre au plus haut point. « Plus rien n’est pareil dans ma rue. ».Ça ne devrait pas arriver à aucun mortel, tant qu’il n’a pas attrapé la mort. Et c’est avec la mort dans l’âme qu’il devra s’y résoudre, car ce délire est devenu diarrhéique.
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Vous semblez oublier que les tricoteuses avaient une bouche qui devait s’exprimer en quantité (elles avaient toutes, une vie derrière elles), qu’elles se sentaient utiles et qu’elles ne connaissaient pas l’ennui. Juste vérifier si elles avaient des chaînes…
Je suis d’accord avec Mme Talbot.Sur une île déserte M.Dickner,je préférerais un bon gros dico plutôt qu’une Bible.
Certes,il est vrai que celle-ci regorge d’histoires mais celles-ci sont basées sur une seule lignée qui commence avec Adam et Ève (je ne digère toujours pas que celle-ci provienne d’une côte de ce mollasson incapable de résister),qui passe par Abraham qui n’immole pas son fils et qui après de multiples fils de,fils de… aboutit à Jésus qui demeure sans descendance autre que ses fidèles.
Avec le dictionnaire,c’est d’abord la délectation des mots qui avec leurs synonymes et antonymes permettent de broder un nombre incalculable d’histoires.Autre avantage:je pourrais me donner la satisfaction de réécrire l’histoire avec un grand H.Je ferais dialoguer des personnages d’une même époque qui se sont fait la guerre ou je les ferais s’interpeller d’une époque à l’autre comme dans la pièce sur Descartes par la Cie du Loup Bleu.Si la guerre de 100 ans s’était terminée autrement,si Montcalm avait réussi à bouter Woolf des plaines d’Abraham,si Hitler avait accompli son funeste dessein.Si…si…Comme vous voyez, »the sky is the limit »…Mon esprit serait tellement bien nourri que j’en oublierais de faire comme Crusoë et Tom Hanks dans « Seul au monde » i.e d’assurer ma subsistance…
Il y a un merveilleux livre intitulé « Le mur invisible » de Marlen Haus-Hofer qui imagine une femme seule survivante d’un cataclysme qui doit se débrouiller avec une vache(heureusement enceinte),un chien et 2 chats.Touchant,inspirant et instructif…Il y a aussi les méditations de Thoreau dans sa cabane au fond du bois…
Ce qui me fait dire à propos des 747 livres de la rentrée littéraire française que si les gens s’adonnaient davantage à la lecture et surtout au plaisir de la relecture,ils constateraient vite que l’Histoire se répète et que la leur n’est peut-être pas aussi originale et signifiante qu’ils le croient et qu’elle n’a pas nécessairement besoin d’être écrite…