Je croyais la nouvelle orthographe morte au feuilleton. Erreur! La bête s'est pointée à Verdun en fin de semaine, pendant l'anniversaire d'un neveu, comme un mort-vivant dans une foire agricole.<p>Étrange spectacle, en vérité: tandis que des gamins glycémiques couraient dans tous les sens, les adultes s'indignaient de l'absurdité d'une orthographe bicéphale et de l'intrinsèque laideur du mot "ognon".<p>La grammaire est au langage ce que les statistiques du hockey sont aux sportifs: un ensemble de normes indiscutables qui alimente pourtant d'interminables discussions. <p>Dany Laferrière, lors d'une conférence à la Bibliothèque nationale, racontait comment les Haïtiens, privés par le régime Duvalier de tout sujet de conversation le moindrement politique, se lançaient dans des débats enflammés sur le conditionnel passé deuxième forme. <p>L'exemple est saisissant de vérité.<p>La grammaire constitue le sujet de querelle idéal non <i>en dépit</i> de son objectivité mais précisément <i>à cause</i> de son objectivité. Comment éprouver un sain désaccord si l'on ne dispose pas tout d'abord d'un lieu commun?<p>Je soupçonne d'ailleurs qu'il s'agit du point litigieux de la nouvelle orthographe: en haussant le seuil de tolérance (la réforme implique en effet une coexistence floue et temporaire de deux systèmes), on fissure la norme – et, par conséquent, les possibilités de discussion.<p>Le goût de la discussion mène à d'élégants extrêmes: certaines personnes affirment qu'il ne faut pas réformer la grammaire, mais la manière dont on la comprend. Ces cabalistes classent les verbes en fonction du radical, ou synthétisent l'accord des participes passés en une poignée de règles absolues et définitives. <p>J'admire et redoute ces mathématiciens de la grammaire – mais, pour tout dire, je me lasse assez vite des discussions normatives. À tout prendre, je préfère discuter du langage qui fleurit en marge de la norme, dans ces zones où les lois de la sémantique semblent inopérantes. C'est l'espace du vocabulaire à rayon restreint, du jargon sur mesure et des népologismes – ces mots et expressions utilisés au sein d'une seule famille. <p>Dans <i>Moi, mes souliers</i>, Félix Leclerc raconte que son père concoctait son vocabulaire comme d'autres, leur tabac à pipe. Ainsi disait-il "petit petan" au lieu de "petit à petit", ou "hâle misère" au lieu de "chapelet".<p>Le premier venu pourrait citer plusieurs népologismes de la même farine.<p>Lorsque mes frères et moi dépassions les bornes, ma mère nous assenait une expression venue tout droit des Cotnam de la rue Saint-André: "Je vais te battre avec un chat gelé!" Pareille menace vous enlevait net le goût de jouer le déplaisant. <p>Ma grand-mère Claudia jouait plutôt de l'ironie: elle nommait un gamin malcommode un "petit bâton graisseux".<p>Chez ma grand-mère Yvonne, on appelait "boudreaux" ces tranches de patates qui, posées à même la grille du four, cuisaient en gonflant comme des montgolfières miniatures. (Malgré moult recherches, l'origine de ce mot demeure un mystère complet.)<p>On m'apprenait récemment que mon grand-père Martial nommait "violon" le mélèze laricin (<i>larix laricina</i>), sous prétexte que certains luthiers s'en servaient pour confectionner leurs instruments. J'aime cette poésie pragmatique du bricoleur. J'ai noté le même phénomène dans un minuscule village de la République Dominicaine, où l'on désignait par "<i>escoba</i>" (balai) la moindre touffe d'herbe en forme de brosse.<p>Les exemples qui précèdent datent un peu – mais il ne faut pas croire que la créativité lexicale constitue l'apanage exclusif de nos aïeux. Des cas récents? Mon père fait de la menuiserie dans une "bouderie", et il soulève un objet lourd à l'aide d'un levier et d'un "orgueil". Chez nous, une petite couverture de flanelle se nomme "bois d'oeuvre", et une chose réalisée sans trop de spontanéité est un "oeuf carré".<p>Ces inventions ne sont pas le contraire de la grammaire: elles la précèdent. Fugaces, insaisissables et non cartographiées, elles composent un champ lexical incertain, perpétuellement menacé de disparition. Et pourtant, un seul de ces mots suffit à provoquer de rabelaisiennes discussions étymologiques.<p>Au fond, nous finissons toujours par retourner le langage contre lui-même. C'est dans notre nature: nous ne sommes jamais si merveilleusement humains que lorsque nous nous arrêtons un moment pour considérer nos outils.<b></b><p>
Ouf! Merveilleusement songé votre « Hors Champ » cette semaine, M.Dickner. Si certains trouvent le mot « ognon » bien laid et qui devrait effectivement s’écrire comme cela, d’autres pourraient l’aimer et détester « lépiote » qui pourrait aussi bien s’écrire : LÉPIOTTE.
Je fais partie de celles qui ne veulent pas que les choses changent au dictionnaire et au langage courant. Que cela soit le vocabulaire des noms communs et les conjugaisons des verbes; ou l’histoire, la science, la littérature, les beaux-arts, la religion, la géographie, la biographie des noms propres, je ressens la même chose..
Nous avons investi bien du temps pour apprendre ces notions et quand on change « quelque chose », on le fait souvent par fantaisie, en tout cas, sans excuse valable, et c’est là tout un travail que deux décennies ont pris au sérieux et qu’on vient de démolir.
De grâce, ne touchons pas ni à la syntaxe, ni à la sémantique, ni à la linguistique, ni à la sémiologie, ni à la versification, ni à la morphologie, ni à l’étymologie.
Mais, je suis absolument POUR les népologismes; quel plaisir pour le créateur et pour l’entendeur. Chacun devrait s’inventer un mot dans sa langue maternelle au moins une fois dans sa vie. Il y a des auteurs que l’on connaît qui utilisent ce système : Denise Bombardier en est un exemple.
J’en ai quelques-uns à mon actif, tel : « je le laisse ALUNI » pour « je ne le dérange pas, lui qui est dans la lune ».Et qui maintenant ne connaît pas les « cossins » de Drummondville, « les bobettes » du Saguenay? Et celui-là, il vous dit? « Les gueteurses » dans l’expression : « bouges-toi les gueteurses ».
Au contraire de vous, je pense que « ce champ lexical » est là pour rester ou, à tout le moins, devrait être là pour rester.
Enfin, moi, je l’espère.
Ici, notre savant chroniqueur, Nicolas Dickner, nous évoque Rabelais,
que je me suis farci avec grande jubilation lors de mes ¨estudes¨collégiales.
Inventeurs de mots après inventeurs de mots-de Rimbaud à Jarry
en passant par Ducharme-la langue française s’est enrichie au fil des ans
du génie de nos grands écrivains. Tout en tenant rigueur des règles de
la grammaire, les écrivains inventeurs de mots, sont ceux qui vont justement
remettre en question ces dites règles, qui ne sont pas si immuables que cela.
Un des grands maîtres est sans contredit Réjean Ducharme, qu’on a trop tendance
à reléguer aux oubliettes. La règle d’or justement des grands auteurs, n’est-elle
pas simplement celle de la liberté d’expression. Donc, libre cours à nos
¨népologisateurs¨ en règle avec eux-mêmes! Tant qu’il y aura ces inventeurs de
mots qui remettront en question les règles qui régissent la langue française, on
pourra s’assurer de la santé langagière de cette langue et de sa survie dans
le grand royaume mondial de l’anglo-saxomanie.
Je ne suis pas « prof » de français au secondaire. Le débat sur la réforme du français me semble apporter encore plus de confusion. Or l’orthographe me pose parfois problème. J’ai toujours de la difficulté avec l’accent circonflexe. Encore aujourd’hui, je trébuche avec cet accent, surtout avec les verbes (passé simple, subjonctif, etc.) On décréterait que l’accent circonflexe disparaît demain, je n’en ferais pas un drame, mais j’hésite à appuyer son exécution. Un point sur un i, c’est beau mais l’ajout du chapeau donne du charme à certains mots.
Pourquoi cette réforme de l’orthographe? Veut-on alléger le fardeau de certains cancres. J’ai toujours mon dictionnaire et le « Grevisse » à la portée. Quant aux néologismes, on peut ouvrir la porte un peu; mais attention à tous ces mots anglais qui s’ajouteraient. J’irais au drugstore Jean-Coutu, plutôt qu’à la pharmacie. Ce serait dommage.
J’apporterai ma contribution aux népologismes. Ma mère parlait des « chutons » lorsqu’elle rencontrait des personnes dont les gestes et et langage laissaient à désirer. Le mot venait de la région de Lanaudière, il désignait des individus qui vivaient en bas de la chute.
Somme toute, le changement pour le changement, très peu pour moi. La langue française contient des difficultés orthographiques et grammaticales qu’il ne faut pas mettre sous le tapis sous prétexte que la langue doit se rapprocher de son utilisateur. Ma mère avait une huitième année et je me rappelle sa belle écriture. Par lettres, elle échangeait avec ses soeurs qui vivaient à la campagne. Le téléphone coûtait trop cher, on le réservait pour les grandes occasions. Elle était fière d’écrire et son langage écrit était plus épuré que celui parlé. Vivant à Montréal, elle se reprochait d’utiliser une langue plus contaminée par les anglicismes.
J’aimerais que le participe passé s’accorde toujours avec le sujet, sans exceptions. J’aimerais qu’il y ait toujours un seul n, l, m, t, etc dans tous les mots. Comme ç’est compliqué le français. On a compliqué le français à souhait, volontairement, afin de démasquer les imposteurs, ces gens de basses classes qui se faisaient passer pour nobles. Une seule courte dictée suffisait à trahir leur imposture, car ils n’avaient pas fréquenté les racines latines et greques qui nourissaient le vocabulaire, l’orthographe tarabiscotés.
Pour maîtriser la grammaire et la syntaxe, sans oublier l’orthographe, il fallait une certaine éducation, une éducation que les imposteurs n’avaient pas.
L’espagnol, au contraire, a été codifiée de façon que le roi puisse dialoguer avec tous ses sujets, sans distinction de classes. Quelle différence de mentalité : l’élitisme contre la démocratie, rien de moins. Cela dit, le français est plus riche, plus subtil que l’espagnol. C’est bien navrant. La simplicité a tellement d’attraits.
La vie est injuste.
P s : j’aime bien les népologismes. Quelle inventivité!