Hors champ

La littérature de la surpopulation

Vous vous rappelez Lao She, cet auteur chinois que je me promettais de lire depuis quelques semaines? Son roman, Quatre générations sous un même toit, prenait la poussière sur ma table de chevet, éclipsé par un romancier-américain-dont-je-tairai-le-nom. Je cherchais l’occasion propice pour m’y plonger.

J’ai finalement décidé de l’emporter avec moi au Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean.

Je me trouvais bien futé de trimballer un livre aussi dépaysant dans une ville qui s’était récemment distinguée par l’intervention de son maire à la Commission Bouchard-Taylor. J’étais armé de mon romancier chinois comme d’un vaccin multicuturel.

Comme j’avais tort.

Laissez-moi vous parler de Lao She: Quatre générations sous un même toit raconte la petite histoire d’une ruelle de Beijing pendant l’invasion japonaise, à l’été 1937. Au centre de ladite ruelle habitent quatre générations de Qi, entassées dans une maison mille fois rafistolée que fréquentent plusieurs autres familles et personnages satellites.

Le récit se déroule tout en douceur, sans à-coups – et pourtant, chaque paragraphe semble contenir des détails essentiels, dont l’importance nous échappe. Il faut notamment plusieurs chapitres pour s’habituer aux noms, prénoms et surnoms des nombreux personnages.

Pour tout dire, j’ai dû dessiner un arbre généalogique pour m’y retrouver un peu.

Le personnage central se nomme simplement le vieux Qi. Son fils, Qi Tyaninou, a eu trois enfants: Qi Ruiquan, Qi Ruixuan et Qi Ruifeng. L’aîné de ces fils est l’époux d’une femme sans prénom, qu’il a baptisée Yun Mei – ce qui signifie à la fois "Charme Prunier" ou "Porteuse de Charbon" -, mais que tout le monde appelle simplement "La mère du petit Shunr".

Ajoutez au portrait madame Quian et la jeune madame Quian, les première et deuxième épouses de monsieur Guan (dont la première porte l’agréable surnom de "Grosse courge rouge") et une vingtaine d’autres personnages.

Lao She se situe dans ce que l’on pourrait appeler la littérature de la surpopulation, au même titre que Cent ans de solitude, Les Belles-Soeurs ou la rubrique nécrologique du jour. La généalogie est un langage universel.

Ce qui me ramène à Arvida, PQ.

Au terminus d’autobus, un bénévole du salon du livre m’attendait afin de me conduire à l’hôtel. Chemin faisant, nous avons parlé de tout et de rien. Après cinq minutes, j’ai découvert que mon chauffeur était – suivez bien – l’époux de la cousine germaine du père de l’une de mes anciennes consoeurs de classe. Je me serais cru soudain dans une vieille ruelle de Beijing.

Voilà bien le problème de toute cette histoire d’accomodements raisonnables: on ne sait plus si les immigrants inspirent la crainte parce qu’ils nous ressemblent ou parce qu’ils sont différents.

LES REGLES DU JEU

Je me suis retrouvé samedi midi à une table ronde qu’animait Stanley Péan. Nous parlions d’activités alimentaires, de contraintes économiques et de lucidité.

"Les jeunes écrivains et éditeurs, demandait Péan, se lancent-ils dans une carrière littéraire en toute connaissance de cause?"

On se laisse parfois emporter par le sujet, aussi me suis-je retrouvé à défendre le parti de la naïveté. À quoi bon devenir écrivain ou éditeur, après tout, si on n’ambitionne pas de changer les règles du jeu? Pourquoi diable s’embarquer dans cette galère si on n’a pas un tant soit peu le goût du risque? Il sera toujours temps de faire des compromis par la suite.

Simon Philippe Turcot participait à la table ronde en tant qu’auteur et directeur éditorial de la maison d’édition La Peuplade – une toute jeune boîte qui incarne bien cette envie de réécrire les lois de la physique élémentaire.

La Peuplade est installée très loin de Montréal, à Saint-Henri-de-Taillon, dans la maison ancestrale de Mylène Bouchard, co-fondatrice de la maison. Les compères publient de chouettes petits bouquins à la cadence de trois par année. Leur catalogue compte surtout de la poésie, mais aussi des textes narratifs. Pas encore embarqués dans le giron d’un distributeur, ils promènent leurs bouquins à travers le Québec à bord d’antiques valises renouvelées avec amour.

On peut se procurer leurs ouvrages chez divers libraires indépendants, dont la liste se trouve au www.lapeuplade.com.